Début mai, la Chambre franco-espagnole de commerce et d'industrie (CFECI) organisait sur le campus de l'ESCP Madrid une conférence particulièrement significative, tandis que les chiffres du tourisme de part et d'autre des Pyrénées retrouvent leur volume pré-pandémique.
À cette occasion, plusieurs responsables d'entreprises du secteur et d'organismes institutionnels sont intervenus pour évoquer les pistes permettant de promouvoir un tourisme qui remplace progressivement l'objectif de masse par l'objectif de qualité. Au cours d'un déjeuner organisé dans la foulée devant les membres du Club d'Affaires, Miguel Ángel Sanz Castedo, Directeur Général de TURESPAÑA a évoqué l'importance de repenser l'activité touristique et le choix des indicateurs de mesure de cette dernière.
La nécessité d'une offre touristique durable transversale
Aujourd'hui, l'Espagne comme la France manquent d'une offre touristique durable à caractère transversal, qui permette une lecture simple et pratique pour l'usager. L'administration territoriale, les entreprises du transport, de l'hôtellerie ou du loisir, pour citer quelques uns des acteurs impliqués dans la chaîne de valeur d'un secteur qui représente près de 12% du PIB au sud des Pyrenées, si elles sont toutes à l'origine d'initiatives visant à un respect accrû de l'environnement, ont le défi de mettre ces dernières bout à bout et de "packager" leur offre.
Le voyageur fera le choix de l'Espagne plutôt que celui des destinations concurrentes du pourtour méditerranéen seulement si le surcoût du voyage implique une expérience plus respectueuse des critères de durabilité -et plus sûre.
En France, on peut ainsi énumérer toute une série d'initiatives originales et de destinations garantes de cette dynamique, mais l'offre garde un caractère encore trop morcellé : depuis la plus grande ferme urbaine en toiture d'Europe, Nu-Paris, jusqu'au Musée Subaquatique de Marseille, accessible uniquement en plongée sous-marine, en passant par les 11 parcs nationaux répandus sur le territoire, mais aussi le label étoile verte des guides Michelin, les "Plus Beaux Villages de France", les apellations "Agriculture Biologique" ou les habitats membres de la Clef verte, pour n'en citer que quelques unes, l'écosystème du tourisme durable s'est considérablement enrichi au cours des dernières années mais doit désormais se structurer. "On aimerait pouvoir mobiliser nos partenaires pour proposer un produit clé-en-main, qui allie transport doux à logement responsable et restauration durable", évoquait ainsi la Directrice Europe du Sud de SNCF Voyageurs, Caroline Chabrol.
L'importance croissante du critère de durabilité
Il n'en reste pas moins que, avec le touriste de demain dédiant au critère "durabilité" une importance croissante, il est essentiel pour les destinations que l'image qu'elles transmettent correspondent à cette attente. Le voyageur fera le choix de l'Espagne plutôt que celui des destinations concurrentes du pourtour méditerranéen seulement si le surcoût du voyage implique une expérience plus respectueuse des critères de durabilité -et plus sûre. En 2022, le nombre de touristes étrangers ayant visité le pays de Cervantes a atteint 95% des niveaux records enregistrés en 2019, avant l'épidémie de Coronavirus. Ce n'est pas qu'une bonne nouvelle, c'est une prouesse presque inimaginable si on met ces chiffres en perspective de l'arrêt total de l'activité au printemps 2020 et des restrictions aux déplacements de 2021, partiellement contournées via le passeport Covid, à l'initiative notamment de l'Espagne.
Pour Miguel Ángel Sanz Castedo, Directeur Général de TURESPAÑA, l'indicateur est néanmoins en passe de perdre de sa pertinence pour analyser le secteur, au profit d'autres KPIs plus adaptés à l'air du temps : la dépense moyenne, le nombre de nuités, l'emploi généré, la récurrence des voyages, deviennent des critères essentiels à l'heure d'évaluer le succès de la saison touristique. "Le nombre de visiteurs a cessé d'être un indicateur qui reflète la bonne marche du tourisme", défend-il dans une interview réalisée par la CFECI.
Le tourisme durable constitue donc une stratégie claire, pour consolider la place de l'Espagne comme leader mondial du secteur. C'est aussi une stratégie, on l'a vu, que la France a dans le viseur. Dans le cadre de l'Agenda 2030 de l'ONU, le développement du tourisme durable est en outre inéluctable, mais il requiert un financement et un investissement en technologie, en infrastructures et en ressources humaines à la hauteur des enjeux. C'est donc autour de ce sujet que les représentants de la SNCF, d'Atout France, d'Air France, d'Accor, mais aussi d'IFEMA ou de PwC ont débatu à l'invitation de La Chambre. "Investir dans la durabilité a de l'impact pour l'ensemble des acteurs du secteur et permet à l'entreprise de conserver un positionnement compétitif", estime La Chambre, qui a su mobiliser une audience impliquée sur la question. L'enjeu est aussi clairement bilatéral: en 2022, selon Atout France, 5,9 millions de touristes espagnols ont visité l'Hexagone, soit 27% des voyageurs en provenance de l'étranger, devant le Portugal et l'Italie. Sur la même période, 71,6 millions de touristes internationaux étaient recensés en Espagne, dont plus de 10 millions de français, 2e pays d'origine derrière le Royaume-Uni et devant l'Allemagne.