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The Zone of Interest, intérêt du film polono-anglais sur la Shoah Grand Prix à Cannes

Produit à la fois aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Pologne, le long-métrage The Zone of Interest du réalisateur Jonathan Glazer a été récompensé par le Jury du 76e Festival de Cannes, le 27 mai 2023. Ce film, qui traite des atrocités de la Seconde Guerre mondiale, a en effet épaté le jury par son originalité. Ce projet de mémoire constitue désormais une victoire pour l’équipe de production multinationale au sein de laquelle la Pologne s’affirme fièrement. The Zone of Interest sert-il le devoir de transmission ?

Festival de Cannes - 2023 - Cinéma - Jonathan GlazerFestival de Cannes - 2023 - Cinéma - Jonathan Glazer
Youtube Capture - Tapis rouge, l'équipe de The Zone of Interest, Festival de Cannes 2023. La productrice polonaise Ewa Puszczyńska, l'actrice Sandra Hüller, le réalisateur Jonathan Glazer, l'acteur Christian Friedel et le producteur James Wilson
Écrit par Anaëlle Andrier
Publié le 15 juin 2023, mis à jour le 16 février 2024

The Zone of Interest : la Shoah avec pudeur - de l'autre côté des barbelés

L’expression “zone d'intérêt” (Interessengebiet en allemand) était utilisée pour définir l'espace autour de l'infâme camp d’extermination d’Auschwitz (l’ensemble des camps Auschwitz I, Auschwitz-Birkenau, et Auschwitz III) : une zone grise séparant la mort du monde extérieur. Le film est centré sur la vie de famille du commandant du camp d’Auschwitz, Rudolf Höss qui, en plein milieu de cette “zone d’intérêt”, avec sa femme, construit une vie de rêve pour leurs enfants. 

L’Holocauste était un processus planifié et financé par l’État de persécution et de meurtre de six millions de Juifs européens par le régime nazi allemand et ses alliés et collaborateurs. Sous diverses formes, il s’est déroulé dans toute l’Europe entre 1933 et 1945. Dans le camp d'Auschwitz-Birkenau, véritable usine de mise à mort, ce sont plus d'un million de déportés qui ont été victimes de la "solution finale" entre 1942 et 1945, parmi lesquels 90% de Juifs, 70 à 75.000 Polonais, 21.000 Tsiganes, 15.000 Russes, principalement des prisonniers de guerre.

Inspiré du roman Zone of Interest de l’écrivain britannique Martin Amis, Jonathan Glazer a tout de même pris des libertés quant à la représentation de la vie de famille au côté du camp. Dans le roman de 2014, Martin Amis décrivait le quotidien du camp d’Auschwitz à travers une farce outrancière qui laissait la solution finale complètement hors champ. 

Le réalisateur britannique s’est totalement réapproprié l'œuvre, effaçant les thèmes comiques d’adultères et de quiproquo. Dans une tentative plus réaliste, il tente au travers de sa caméra de bâtir une esthétique dépouillée de la nature humaine. Son film est entièrement tourné en Pologne, à Auschwitz, dans un Allemand à la grammaire et au phrasé daté, caractéristique des soldats nazis.

 

Le spectateur est pris aux tripes par une dualité dérangeante et glaçante : l’horreur avec subtilité 

« The Zone of Interest est probablement le film sur l’Holocauste le moins ouvertement traumatisant jamais réalisé, pourtant dévastateur de la manière la plus silencieuse » souligne Time Magazine, dans un article du 21 mai.

Questionnant l’indifférence de cette famille pour le massacre voisin, Jonathan Glazer travaille sur l’invisible de l’horreur avec des scènes glaçantes telles qu’un plan sur un champ de fleurs et d’abeilles, bercé au loin par les cris des déportés.

D’un côté, le couple cultive avec affection son jardin. De l’autre, une fumée noire s’échappe des cheminées du camp, accompagnée des vrombissements des fours crématoires, de va-et-vient de trains, de hurlements et de coups de feu.

Les horreurs de la Shoah ne nous sont présentées qu’en arrière-plan. Mais nous les ressentons dans notre chair encore plus profondément.

Dans un climat d’indifférence, où la famille voisine au camp vit heureuse dans son pavillon paradisiaque, l’horreur suit son cours. Ce film est le témoin d’une réalité concentrationnaire échafaudée dans l’ordinaire de la vie quotidienne. Ainsi, Jonathan Glazer veut dénoncer la banalité de ce massacre. 

Dans cette villa jouxtant l’enfer, la famille Höss vit les camps au quotidien. Le spectateur de 2023 se demande pour quoi une telle indifférence ? Seule l’une de leurs enfants semble souffrir de la présence voisine d’Auschwitz puisqu’elle assiste, dans des rêves en noir et blanc, aux atrocités du camp. 

 

L’explication philosophique d’Hannah Arendt

Dans son ouvrage  Eichmann à Jérusalem : Rapport sur la banalité du mal publié en 1963, la politologue et philosophe allemande Hannah Arendt introduit le concept de « banalité du mal » après le procès d’Adolf Eichmann - qui s’est tenu en 1961 à Jérusalem. Selon Hannah Arendt, les nazis n’étaient pas d’immondes bêtes furieuses, mais plutôt de médiocres petits fonctionnaires : le mal ne réside pas dans l’extraordinaire, mais plutôt dans de petites choses, comme une banalité quotidienne, celle de commettre les crimes les plus atroces, par exemple. 

 

Au sujet de la littérature essayant d’humaniser les nazis, Hannah Arendt répondait à l’écrivain français Roger Errera en 1973 :  « Je pense qu’elles ont une signification. Elles montrent que ce qui s’est passé une fois peut arriver à nouveau. »


Un projet de mémoire auquel la Pologne a généreusement participé

Concernant la production de ce film, la participation polonaise n’a pas été moindre. Sur le tapis rouge à Cannes, nous avons pu apercevoir la productrice polonaise Ewa Puszczyńska et le directeur de l’Institut polonais du film Radosław Śmigulski, au côté du réalisateur Jonathan Glazer. Nous pouvons aussi compter, parmi les membres de l’équipe polonaise de production, les directrices artistiques Joanna Kus et Katarzyna Sikora, le photographe Łukasz Żal, la directrice de production Małgorzata Bereźnicka, le coproducteur Bartek Raiński, le responsable maquillage Waldemar Pokromski ou encore le directeur de la photographie Stanisław Cuske. 

Dans un effort artistique commun, les équipes polonaises, britanniques et américaines se sont surpassées pour créer un long-métrage digne de rester dans les mémoires.

 

De l’humanité de la nature humaine… 

The Zone of Interest est un film sur les atrocités les plus ignobles de la Shoah. Mais c'est aussi un film sur la vie humaine en général ; sur l’amour marital, sur l'envie de fournir le meilleur à ses enfants (mais à quel prix ?) et sur l’obsession de suivre les règles, de travailler dur pour se sentir légitime d'obtenir le mieux dans la vie… l’ambition aveugle. 

Ce film traite de la nature humaine, de ce que la plupart des gens désirent, mais qui ici, s'entremêlent avec l'horreur, l’inimaginable, l’impensable, l’inacceptable.

Ne cherchant pas à rendre la famille Höss sympathique pour le spectateur, ce film nous amène à interroger la réalité de l’orchestration d’un tel massacre. 

Jonathan Glazer nous rappelle subtilement que, derrière toute atrocité, un groupe bénéficie. Le malheur des uns peut terriblement être source de bonheur pour les autres. À condition que ces derniers réussissent à ignorer les dégâts qu’ils ont causés - ou les cauchemars qui viennent les hanter.

 

 

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