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Faut-il élargir l’OTAN à l’Est ?

Riche de centaines de discussions, le Forum Économique de Karpacz a, lors de sa 32e édition en septembre 2023, accueilli le panel « Le flanc Est de l’OTAN et les perspectives pour un plus grand élargissement. » Cette discussion, a permis de revenir sur l’actuelle situation de l’OTAN, qui fait face à de nouveaux défis et de nombreuses questions ont été soulevées quant à son avenir, et en particulier, sur la marche à suivre pour prochaines années. Avec la guerre en Ukraine comme clef de voûte, comment arrêter ce conflit et faut-il intégrer à l’alliance les pays à l’Est de l’Union européenne ? Retour sur les échanges ; pour l'occasion, nous avons également interviewé Jozef Hrabina.

Panel « Le flanc Est de l’OTAN et les perspectives pour un plus grand élargissement. » Forum Economique de KarpaczPanel « Le flanc Est de l’OTAN et les perspectives pour un plus grand élargissement. » Forum Economique de Karpacz
Panel « Le flanc Est de l’OTAN et les perspectives pour un plus grand élargissement. » crédit : Forum Ekonomiczne
Écrit par Margot Calisti
Publié le 13 novembre 2023, mis à jour le 17 novembre 2023

Qui était présent ?

Modérateur : Donald Arleth, journaliste, TVP World, USA

  • Viktoriia Voronina, ancienne ministre adjointe chargée des territoires temporairement occupés et des personnes déplacées de l'Ukraine (Minister for Temporarily Occupied Territories and IDPs of Ukraine), directrice générale du Center for Security Studies, Ukraine
  • Jozef Hrabina, qui était Analyste en chef au Conseil des exportateurs slovaques, fondateur de GeopoLytics, Slovaquie, au moment du panel
  • Juha Pyykonen, ancien Président Général de brigade du groupe de défense de l'interopérabilité des partenaires de l'OTAN (PIAG) ancien Général de brigade des forces de défense finlandaises, analyste sécurité chez Security Analysis Ltd, Finlande 
  • Jessica Berlin, chercheuse invitée du German Marshall Fund of the United States, Membre du conseil d'administration d’EuropaNova, USA

 

La peur russe : l’OTAN comme barrière à la guerre

Deux dates clés de l’élargissement de l’OTAN sont le témoignage de la réussite d'une percée à l’Est. D'abord, en 1991, l’URSS chute, pour l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord), ce sont des portes vers de nouveaux membres en Europe Centrale qui s’ouvrent. Cet évènement permet à l’OTAN en 1999 d'accueillir la Hongrie, la Pologne et la République Tchèque, et en 2004, les trois pays Baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), la Slovénie et la Slovaquie, la Bulgarie et enfin la Roumanie. Entre 2004 et 2023, plusieurs conflits ont éclaté dans différentes parties de l’ex-URSS (Arménie, Ukraine, Géorgie), sans jamais toucher les nouveaux pays membres de l’OTAN. Ce n’est qu’après le début de la guerre en Ukraine (24 février 2022) que la Suède et la Finlande rejoignent l’OTAN, et c’est cette même guerre qui a fait réaliser à l’OTAN l’importance de la Pologne pour la sécurité de l’Est de l’alliance.

 

Nouveaux candidats potentiels et tentative d’opposition russe 

Dans des perspectives d’élargissement de l'OTAN vers l’Est, on pense aujourd’hui à l’Ukraine, la Géorgie et l’Arménie, tous les trois pays de l’ex-URSS et dont les relations avec la Russie se classent sur une échelle allant de complexe à la guerre.

[ NDLR : Le panel a eu lieu le 6 septembre 2023, la situation arménienne n’a pas été évoquée. Des manœuvres nommées « Eagle Partner 2023 » se sont déroulées du 11 au 20 septembre au centre d’entraînement Zar. Les 19 et 20 septembre, l'offensive de 24 heures lancée par Bakou, a poussé sur la route plus de 100.000 habitants du Haut-Karabakh, fuyant vers l'Arménie par crainte de représailles de l'Azerbaïdjan. Au moment où nous écrivons ces lignes, l'enclave séparatiste du Haut-Karabakh, a capitulé face à l'Azerbaïdjan. ]

D’après Juha Pyykonen, ancien Président Général de brigade du groupe de défense de l'interopérabilité des partenaires de l'OTAN (PIAG) ancien Général de brigade des forces de défense finlandaises et analyste sécurité chez Security Analysis Ltd, en Géorgie et depuis 2008, la situation n’a pas évolué, l’OTAN n’a pas fait de la Géorgie une priorité d’intégration. La priorité est à l’intégration de l’Ukraine, aujourd’hui en guerre, par la suite seront considérées l’Arménie et la Géorgie. La Russie tente d’empêcher tout élargissement de l’OTAN vers l’Est, comme dans un élan de guerre froide résistant depuis 1991, mais ça ne fonctionne pas comme prévu. 

 

Guerre russo-géorgienne, ou seconde guerre d’Ossétie du Sud, 2008 : Du 7 au 16 août 2008, en Géorgie, dans la province séparatiste d’Ossétie du Sud, s’est déroulé un conflit opposant la Géorgie de Mikheil Saakachvili à la région séparatiste soutenue par la Russie de Dmitri Medvedev. Le conflit s’est étendu à la province séparatiste d’Abkhazie. Le cessez-le-feu est prononcé le 16 août.

 

Jozef Hrabina, qui, au moment du panel, était Analyste en chef au Conseil des exportateurs slovaques et fondateur de GeopoLytics, affirme que dans cette tentative, la Russie essaie d’offrir un bassin économique et social attractif. Malheureusement pour la Russie, l’Union Européenne est beaucoup plus efficace lorsqu’il s’agit de la diffusion de ses valeurs. 

Il ajoute : « La Géorgie a choisi l’OTAN et la Russie ne peut rien faire contre ça à part user de la manière forte. » , ce qu’elle a fait en 2008, avec le même modèle qu’en Ukraine, à savoir user de la force pour « libérer de l’emprise » du pays en question, une ou plusieurs régions séparatistes. Selon Jozef Hrabina :

« La Géorgie a avoué que la Russie était une menace à sa souveraineté. »

Jessica Berlin, chercheuse invitée du German Marshall Fund of the United States, Membre du conseil d'administration d’EuropaNova, relance en expliquant que les plus vieux membres de l’OTAN se doivent aussi de prendre leur part de responsabilité. Selon elle : « on a laissé faire la Russie, tant qu’il y avait un conflit en cours, il n’y avait pas de changement ».

Pour que cela change, il faut mettre davantage d'efforts dans la résolution du conflit en Géorgie, et par la même occasion, tous se renforcer contre la menace russe.  

 

Quels besoins pour l’OTAN ?

De quoi l’OTAN a besoin aujourd’hui pour continuer d’assurer la protection de ses membres et envisager de futurs élargissements ?

Selon Jessica Berlin, il y a deux conditions à l’amélioration de l’OTAN, d’une part s’assurer que tous les membres paient leur contribution et que les nouveaux candidats soient capables de le faire avant l’intégration, d’autre part, il faut renforcer les exigences quant à la démocratie et à l’anti-corruption. Il est, selon elle, important de faire attention, car les différentes présidences des pays membres suscitent l’inquiétude : « Le manque de coordination et de préparation a coûté beaucoup de vies en Ukraine ». 

Jozef Hrabina ajoute :

« Si l’invasion de la Russie en Ukraine nous a montré quelque chose, c’est que nous devons être mieux préparés ».

Il est nécessaire de décider maintenant de quel OTAN on veut pour le futur selon lui.  

Viktoriia Voronina, ancienne ministre adjointe chargée des territoires temporairement occupés et des personnes déplacées de l'Ukraine et directrice générale du Center for Security Studies décrit la Russie comme un défi clé. Elle considère que pour pallier à ces lacunes de coordinations, l’OTAN devrait collaborer avec l’Ukraine, qui peut partager son expérience et les différentes structures exploitables.

 

Balayer devant sa porte et changer ses méthodes

Selon Juha Pyykonen, toutes ces solutions devraient être appliquées immédiatement. Il faut arrêter de se cacher derrière le principe : « L’OTAN n’impose rien à ses membres ». Pour lui, l’urgence n’est pas à l’élargissement :

« Au lieu d’un élargissement, à part pour l’Ukraine j’espère, nous devrions simplement consolider l’OTAN existant. »

La priorité est pour lui, avant de protéger les autres, de se protéger soi-même, il faut se renforcer et demander de l’aide à l’Union Européenne pour ce faire. Il affirme que depuis 1997, s’il y a un impératif politique d’élargissement à l’OTAN, c’est pour des raisons politiques et pas militaires, donc sans prendre en compte les réelles capacités des états à respecter les conditions d’intégration, ni prendre en compte la capacité de l’OTAN et de ses structures à accueillir un nouveau membre.

Jessica Berlin dans cette même lignée, ajoute : « nous avons vraiment besoin de réparer et nettoyer notre propre maison ». En attendant, il est possible de se tourner vers les Nations Unies si de l’aide est nécessaire quelque part. 

Pour Jozef Hrabina, il faut absolument gagner la guerre en Ukraine, car si la Russie gagne, l’OTAN et l’UE vont s’effondrer.

 

Gagner quoi qu’il en coûte : une solution envisageable ?  

Gagner à tout prix, quoi qu’il en coûte, c’est une solution que beaucoup seraient prêts à envisager, mais ils posent pourtant des limites, qui font qu’aujourd’hui ce n’est pas réalisable. Plusieurs facteurs entrent en jeu, tels que le fait que les Nations Unies ne soient pas prêtes, ou que la Chine soit une menace par ses relations proches avec la Russie par exemple. 

Selon Jessica Berlin, les allemands ont, pendant des années, été complices avec la Russie, que ce soit au niveau des décisions économiques (dépendance plus forte de l’Allemagne au gaz russe, Nord Stream II…) ou politiques (multiples accusations de complaisance de l’ancienne Chancelière Angela Merkel à l’égard de Vladimir Poutine).  L’Allemagne doit admettre qu’elle a eu tort, encore et encore, pendant 40 ans. D’après elle, la plupart des membres du gouvernement allemand serait aujourd’hui prêt à le faire, mais Olaf Scholz n’avouera jamais. 

Elle continue en affirmant que du côté des USA, la principale préoccupation est la Chine. Pour eux, si la Russie perd trop vite et trop fort, elle tombera dans les bras de la Chine. Mais Jessica Berlin n’est pas d’accord avec ce constat, selon elle, c’est déjà le cas, la Russie est déjà sous la coupe de la Chine, et il est absolument nécessaire d’agir vite pour prouver que l’OTAN est véritablement capable d’action, même lorsque la menace en face est également nucléaire. 

Pour Jozef Hrabina, le principal élément qui empêche d’agir quoi qu’il en coûte, c’est la peur de la guerre nucléaire. Il affirme que dans l’esprit de Poutine et de son gouvernement, la chute de son régime équivaut à la chute de l’Etat russe tout entier, et que donc une attaque nucléaire russe en cas d’action violente de l’OTAN est une véritable possibilité. 

Ainsi, bien que l’élargissement à l’Est ne soit pas la priorité et que la victoire à tout prix n’est pour l’instant pas envisageable, les panélistes proposent quand même des alternatives. En effet, Jessica Berlin pense que :

« L’OTAN devrait s’ouvrir aux démocraties qui acceptent de payer leur entrée, même si elles ne sont pas dans la région de l’Europe ».

Elle ajoute : « nous avons notre club, et les portes sont fermées ».

Pour elle, si les pays du Sud soutiennent autant les BRICS, c’est parce qu’ils sont délaissés par l’OTAN, donc si l’OTAN s’ouvre, ces pays n’ont plus de raison de se rapprocher des BRICS. 

Enfin, pour Juha Pyykonen, l'élargissement peut aussi vouloir dire celui des structures, on peut prêter et se faire prêter des structures, ouvrir la capacité de l’OTAN à quelqu’un d’autre, dans un système d’échange ou de location afin d’une part de ne pas exploser le budget de l’OTAN et ne pas changer l'entièreté de son organisation trop vite, mais aussi pour se créer de nouveaux alliés sans pour autant les intégrer à l’alliance et donc ne pas avoir à subir les changements conséquents à une intégration. 

 

Entretien avec Jozef Hrabina

 

Lepetitjournal.com : Nous nous entretenons plusieurs semaines après ce panel, Jozef Hrabina, quel est votre retour sur ces échanges qui ont eu lieu à Karpacz ? Voulez-vous ajouter quelque chose que vous n’auriez pas eu le temps de développer ? 

Jozef Hrabina : En ce qui concerne la qualité du panel, je pense que nous avons vraiment essayé d’aborder le problème le plus urgent, à savoir la trajectoire de développement de l’OTAN, puisque l’ordre libéral fait face à de nombreux défis et que l’OTAN en tant qu’épine dorsale de sa sécurité doit réagir en conséquence.

J’ai personnellement aimé l’idée d’une compartimentation de l’OTAN basée sur les intérêts régionaux en réponse à la multipolarisation du système international.

Répartir les tâches entre les dirigeants régionaux et les membres de l’OTAN actifs dans leurs régions respectives, permettrait non seulement d’adopter une approche approfondie des questions régionales souvent nuancées, mais aussi de disposer de la flexibilité nécessaire pour s’adresser à de multiples difficultés en même temps, en créant des alliances régionales ad-hoc nécessaire à la promotion des intérêts de l’OTAN.

 

Il y a eu des élections en Slovaquie, qui ont conduit à la victoire du parti Smer-SD, le 1er octobre 2023. Durant la discussion, vos collègues panélistes et vous-même avez abordé les possibles difficultés que l’OTAN pourrait rencontrer avec les présidences et gouvernements des membres de l’alliance, causée par la différence d’opinion politique. Pensez-vous que les récentes élections vont changer les choses entre la Slovaquie et sa relation à l’OTAN ? 

Pour l’instant, je ne vois aucun signe qui indiquerait un changement d’attitude du gouvernement slovaque à l’égard de l’OTAN. La Slovaquie dépend de l’alliance qui est la pierre angulaire de sa sécurité.

Potentiellement, la Slovaquie pourrait éventuellement changer sa position sur la guerre russe en Ukraine, mais ce changement serait seulement symbolique puisque la Slovaquie n’a pratiquement plus de matériel militaire.

Nous avons essayé d’aborder ce sujet dans le panel aussi, les alliés européens de l’OTAN devraient commencer à renforcer leurs capacités militaro-industrielles afin de se préparer à la compétition entre les grandes puissances qui va perdurer comme l’une des caractéristiques principales du système international multipolaire. 

 

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