Riche de centaines de discussions, le Forum Économique de Karpacz a, lors de sa 32e édition en septembre 2023, accueilli le panel « Les peuples de la liberté dans les pays post-communiste durant la tentative de restauration de l’Empire Russe : un message de solidarité ». Dans cette discussion, ont été remémorés les actes courageux des opposants aux régimes communistes avant la chute de l’URSS en 1991 ainsi que les messages et valeurs qu’ils ont portés, puisqu’ils sont aujourd’hui de nouveau d’actualité dans le cadre de la tentative de retour à un empire par la Russie. Voici ce que nous en avons retenu.
Qui était présent ?
Modérateur : Maria Przelomiec, journaliste chez TVP info, Pologne
Participants:
- Hege Boman Grundekjon, écrivaine indépendante, Norvège
- Emanuelis Zingeris, Membre de la Diète et directeur de son comité des affaires étrangères, Lituanie
- Boguslaw Sonik, dans l’opposition démocratique pendant la République populaire de Pologne, et actuel député de la Diète, Pologne
- Antoni Macierewicz, dans l’opposition démocratique pendant la République populaire de Pologne député de la Diète, Pologne
- Paruyr Hayrikan, député de l’assemblée nationale arménienne, membre de l’Union pour l’auto-détermination nationale, ancien dissident soviétique et prisonnier politique, Arménie
- Akos Engelmayer, co-fondateur de l’Association de la communauté hongroise en Pologne et membre du mouvement Solidarnosc en 1980, Hongrie
- Branislav Brovsky, ancien prisonnier politique, Slovaquie
- Krzysztof Wyszkowski, membre de l’Institut de la mémoire nationale, Pologne
- Alexander Podrabinek, Prima-News, dissident russe, Russie
Le Forum International de Karpacz 2023 a tenu ses promesses
L’influence du mouvement « Solidarność »
Dans ce panel sont rassemblés des activistes qui se sont opposés aux régimes communistes de leurs pays et ont considérablement contribué à leur chute. Au-delà de leurs combats respectifs, ils sont tous unis par cette même vision, portée par le mouvement « Solidarność » : par une solidarité sociale, un idéal d’indépendance et d’autodétermination des peuples. Au travers de l’héritage de ces combats et de la Première Convention Nationale des Délégués de la Solidarité du 8 septembre 1981, dont le message était de s’allier et combattre pour ses droits, résonne le rappel de l’importance du devoir de mémoire, car l’actualité, avec l’attaque de l’Ukraine par la Russie en février 2022, nous montre que l’histoire se répète.
Ce qu’il fallait retenir : côté russe, que se passe-t-il ?
M. Alexander Podrabinek, dissident russe, a partagé son point de vue de citoyen russe ayant vécu sous le régime de Vladimir Poutine et sur la réalité de la vie quotidienne, dans ce pays qu’il a été forcé de quitter pour pouvoir parler sans mettre sa vie en danger.
L’erreur d’analyse de l’Ouest sur la notion d’Empire
Ainsi, selon lui, il faut mettre les choses en perspective : l’Ouest pense que la Russie a aujourd’hui encore des ambitions impérialistes. C’était vrai au 20e siècle, lorsque partout autour de la Russie, il y avait ce que Moscou considérait comme des empires. Le Kremlin nourrissait donc cette propagande impérialiste. Sauf que, d’après A.Podrabinek, ce n’est plus le cas aujourd’hui, les Russes ne rêvent plus de conquête, ça ne reflète plus la réalité de la population, mais ça arrange l’Ouest de croire que le peuple soutient la volonté du gouvernement.
« Le but du pouvoir, c’est le pouvoir », déclare-t-il. Les autorités en place en Russie gardent le pouvoir pour sauver les apparences et garder leurs alliés, et rajoute, avec une émotion qui fend l’armure, que « La répression n’a pas été aussi forte depuis Staline ».
« La répression n'a pas été aussi forte depuis Staline », Alexander Podrabinek
A.Podrabinek exprime d’autre part un regret, celui que la nation ait loupé le coche de la démocratie au début des années 1990, car selon lui, la nation était trop « bête », et a élu des politiques lâches et ont décidé de devenir esclaves des autorités. C’est donc pour ces raisons que selon lui, il n’y a pas d’opposition au régime de Poutine. Les Russes sont trop effrayés pour parler ou pour fuir.
La dictature de Poutine : une part de responsabilité occidentale ?
Il estime aussi que l’Ouest a une part de responsabilité dans l’intensité de la dictature de Poutine, argumentant que si les sanctions en cours aujourd’hui avaient été mises en place il y a 25 ans, la dictature serait moins forte. Aujourd’hui, c’est trop tard pour agir. Mais si l’Ouest n’a pas bougé, c’est aussi et surtout à cause de sa dépendance aux ressources russes, et notamment au gaz, transporté depuis la Russie sous les sols européens via les gazoducs qui passent sous les terres polonaises au nord, mais aussi plus au sud de l’Europe.
Malheureusement, sa conclusion a de quoi glacer, car, pour lui, la guerre en Ukraine ne s'arrêtera que lorsque la Russie deviendra démocratique.
Quel regard sur la guerre en Ukraine du côté russe ?
M. Akos Engelmayer, de l’Association de la communauté hongroise en Pologne, a interrogé M.Alexander Podrabinek sur le nombre de morts russes sur le front ukrainien : comment était-il possible que les Russes soutiennent encore la guerre et pourquoi ne se révoltent-ils pas, comme ils l’avaient fait pour la guerre en Afghanistan, cette action mettant un terme au conflit.
M. Antoni Macierewicz, militant de l’opposition démocratique en République populaire de Pologne (PRL) dans les années 1968-1989, cofondateur du Comité de défense des travailleurs et du Comité d’autodéfense sociale « KOR », a quant à lui, demandé quelle était la position de l’élite russe, puisqu’une élite oppositionniste collaborait avec les pays d’Europe de l’Est dans les années 1990 ou a-t-elle disparu ?
Les réponses d’Alexander Podrabinek sont éloquentes et enfoncent le clou : les Russes vivent dans la peur constante, il n’y a pas de soutien, pas de support à l’échelle nationale, mais il n’y a pas non plus de conscience civile au fond de l’âme des Russes. Il n’y a pas d’opposition « liberté/autorité », ils n’ont pas la possibilité de parler, de dire ce qu’ils pensent.
M. Emanuelis Zingeris a alors évoqué les manifestations à Moscou dans les années 1990, se révoltant pour la liberté des pays baltes et du Belarus, mouvements qui ont aujourd’hui disparus puisqu’il n’y a plus de résistance en Russie. Il a ensuite demandé si les Russes avaient un sens de responsabilité concernant les actions de leur armée en Ukraine.
A.Podrabinek a répondu que les civils ne s’opposaient pas par peur de la répression, ces structures de révoltes ont été détruites par le régime autoritaire. Il ajoute aussi : « Pourquoi se sentir responsable quand on ne peut rien faire puisque l’on n’exerce pas le pouvoir ? »
« Pourquoi se sentir responsable quand on ne peut rien faire puisque l’on n’exerce pas le pouvoir ? » A.Podrabinek
Quid de l’influence russe en Arménie, le point de vue de Paruyr Hayrikan ?
C’est au travers de son histoire personnelle, en tant que prisonnier politique à la fin de l’ère soviétique que M. Paruyr Hayrikan a abordé la question de l’influence russe en Arménie.
À l’origine, il était en prison parce qu’il se battait pour l’indépendance et pour ses idées. En tant que prisonnier politique, il a été envoyé en Afrique au bout de quelques années puis une fois là-bas, a été renvoyé au bout de 18 mois.
N.D.L.R : Le panel a eu lieu le 6 septembre 2023, la situation arménienne n’a pas été évoquée. Des manœuvres nommées « Eagle Partner 2023 » se sont déroulées du 11 au 20 septembre au centre d’entraînement ZAR. Les 19 et 20 septembre, l'offensive de 24 heures lancée par Bakou a poussé sur la route plus de 100.000 habitants du Haut-Karabakh, fuyant vers l'Arménie par crainte de représailles de l'Azerbaïdjan. Au moment où nous écrivons ces lignes, l'enclave séparatiste du Haut-Karabakh a capitulé face à l'Azerbaïdjan.
Qu’est-ce que Poutine peut utiliser contre nous, l’Europe et l’Ouest en général ?
Cette question de Mme Maria Przelomiec, sur les atouts qu’aurait Poutine pour attaquer l’Occident a fait réagir M. Branislav Brovsky..
Selon lui, tout ce que la dictature souhaite, c’est que la liberté soit la dernière chose à traverser l’esprit des gens. Les peuples doivent acquérir une liberté intérieure : « Les gens ne peuvent pas oublier ce que le régime communiste signifiait et ce que signifie le régime de Poutine ».
Pour M. Akos Engelmayer : «il n’y a pas de résistance majeure en Hongrie, cette si renommée opposition n’est pas vraiment révoltée» et d'ajouter, « En Pologne, vous pouvez entendre de plein de sources différentes que Orban est le suppôt de Poutine ». Par ailleurs, il ne comprend pas la récente visite hongroise en Belarus, ce n’est pas acceptable, selon lui.
« En Pologne, vous pouvez entendre de plein de sources différentes que Orban est le suppôt de Poutine » Akos Engelmayer
Enfin, Mme Hege Boman Grundekjon a souligné qu’à l’époque Mikhaïl Gorbatchev avait charmé l’Ouest, et que Vladimir Poutine en avait fait de même après lui, mais que l’Europe, elle avait changé. Si le charme de Gorbatchev était efficace à l’époque, aujourd’hui, c’est plus compliqué. Les pays baltes, les pays d’Europe de l’Est et Centrale et la Norvège bordent la Russie. Ils ont un passé, une histoire commune chargés de peur, d'amitié et d’échanges. On s’est récemment rendu compte que durant plusieurs années, il y avait des espions russes dans ces pays , et les bonnes relations avec la Russie se sont récemment dégradées.
Qu’en conclure ?
La population russe devrait être séparée des actions de son gouvernement, puisqu’elle-même le subit au quotidien. Dans ces temps sombres, où reviennent du passé des démons que l’on pensait enterrés, il est important, comme l’ont fait les panélistes, de scruter l’actualité et de se remémorer les événements anciens, afin de mettre en corrélation ces comportements récurrents et d’éviter de tomber dans une infinie boucle du temps.