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VOIX & SAVEURS DE FEMMES D’ISRAËL - Tova Kaufmann, la dame du bus

Tova KaufmannTova Kaufmann
Crédit photo : Raphaëlle CHOËL 
Écrit par Lepetitjournal Tel Aviv
Publié le 24 octobre 2017, mis à jour le 29 novembre 2020

 

 

J'ai rencontré Tova Kaufmann à l'arrêt du bus 90 qui nous menait d'Herzliya à Tel Aviv un matin de septembre 2016. Je demandais mon chemin en anglais et dans une langue de Shakespeare plus que correcte, la dame me confia qu'elle se sentait en réalité plus à l'aise dans celle de Molière. Nous avons conversé pendant le trajet ; je lui ai rendu visite quelques jours plus tard pour écouter son histoire, celle d'une enfance sans insouciance, celle d'un parcours de la résistance et de l'amour familial aussi?

Tova est en réalité née Gerda Sternlieb à Vienne en 1931, d'une mère et d'un père eux-mêmes nés en Pologne, mais arrivés en Autriche après la première guerre mondiale. L'Allemand en poche, son Papa David ouvre en 1928 un petit magasin de vaisselle, porcelaine et de cadeaux pour la maison en face de la place du marché. Ses parents se rencontrent à cette époque-là et se marient l'année suivante. Ils  vivent dans l'arrière-boutique dans un deux-pièces. Le couple a rapidement deux filles, Claraen 1930 et Gerda en 1931, ainsi qu'une petit frère quelques années plus tard qui ne survivra malheureusement pas à une maladie infantile. Pendant la journée, Sarah, la mère de Gerda, aide son mari, secondée à la maison par deux bonnes autrichiennes pour les enfants. Les samedis sont remplis de joie, la petite famille se retrouve chez les grands-parents dans une maison pleine de vie car la maman de Gerda est la première mariée d'une fratrie de sept? autant de jeunes oncles et tantes débordant d'affection pour Gerda et sa s?ur. Le Shabbat est un véritable jour de fête, on y déguste l'excellente cuisine polonaise de la grand-mère Hudie. Parmi les souvenirs gourmands de Gerda, de réconfortants Latkes, ces pommes de terres râpées mêlées à la farine et aux ?ufs et frits à la poêle, ou les Crouve Memoulé, du chou farci à la viande et au riz dont Tova garde encore aujourd'hui un souvenir ému. Les plats fument d'arômes, les poêles crépitent, le tout dans le bonheur et la bonne humeur. Les dimanches, la famille se retrouve en petit comité et part en excursion, au cinéma ou au théâtre.

Tova évoque son père avec une infinie admiration et un immense respect. Au-delà de ses compétences techniques et ses capacités manuelles, elle ne tarit d'éloge sur sa voix : David chante merveilleusement bien les Zemirot Shabbat*, si bien qu'on lui demande parfois d'être Chazan** à la synagogue. Grand sioniste également, David Sternlieb a toujours beaucoup aidé financièrement le peuple juif via le fonds Keren Kajemeth***, un fonds d'entraide à vocation internationale destiné au peuple juif. La vie passe ainsi dans une relative douceur jusqu'à l'arrivée d'Hitler en Autriche. 

L'arrivée d'Hitler : une enfance amputée

Le Führer investit le pays en novembre 1938.  Ce mois-ci, les SS débarquent à la boutique de David qu'ils scellent de plomb avant de pénétrer dans l'appartement à la recherche d'or ou de quelconques trésors. Devant les yeux de David à qui l'on administre coups et blessures sans répit, tout est saccagé : les draps sont découpés, le sucre et le sel répartis sur le sol au cas où ils dissimuleraient d'éventuels diamants? Les SS embarquent le jeune père de famille avec violence et humiliation - il doit lécher le sol - et finissent par le relâcher au bout de 48 heures. A peine rentré chez lui, « semi-mort », David prend avec lui sa femme, ses filles qui ont tout juste l'âge de raison, et tout ce que leurs poches peuvent contenir. La famille s'enfuit au Luxembourg aidée d'un passeur puis arrive en Belgique à Anvers où Gerda a de la famille qui a quitté Vienne peu avant elle. Inscrites à l'école flamande, les deux petites filles s'intègrent aisément et David aux mains d'or trouve rapidement un travail de menuisier, ce qui permet à la famille de survivre, bon an mal an. 

Une routine qui ne durera qu'une petite année : en 1940 Hitler entre en Belgique, la famille doit fuir à nouveau au retentissement des bombardements sur la ville. Ils embarquent avec leur grand-père, un oncle et d'autres réfugiés à bord d'un train pour la France, accompagnés de la Croix-Rouge qui offre du lait et quelques vivres aux familles parties trop vite. Le voyage durera une semaine car entrecoupé de haltes dès que survient un bombardement. A chaque arrêt les petits enfants doivent se cacher sous le train en attendant le signal d'alarme signifiant que le train peut repartir. La famille arrive en France à Fronton (près de Toulouse) au bout de huit jours, accueillis par un fermier qui met à leur disposition un petit coin cabane dans une étable en échange de menus travaux dans les champs. Gerda, sa s?ur et sa maman y feront leurs premières vendanges. L'expérience agricole sera, elle aussi, de courte durée : arrêtée par les soldats allemands, la famille est envoyée dans un camp de travail à Agde, puis dans un camp de concentration à Rivesaltes près de Marseille. 

Du camp de Rivesaltes au grand départ

David travaille en cuisine, ce qui lui permet de glisser dans sa poche quelques vivres pour la famille. Gerda attrape la jaunisse, elle est évacuée dans un autre site accueillant les maladies contagieuses. Elle y reste deux longues semaines seule à pleurer avec pour voisines de chambre des gitanes qui, elles, vivent en revanche de chanson. Le camp de Rivesaltes est entouré de champs d'artichauts que les prisonniers cultivent assidûment. Inutile de préciser que l'artichaut est le plat unique des prisonniers, l'eau de cuisson faisant office de soupe et le légume de plat principal. Si le légume est bel et bien considéré comme un met délicat de nos jours, Tova confie aujourd'hui son dégoût pour ce plat auquel il lui est inimaginable de re-goûter. 

Nous sommes en 1941, soit quelques mois après l'arrivée au camp. Cette date signe le moment du grand déchirement : recueillies par l'OSE (?uvre de Secours aux Enfants), Gerda part seule avec sa s?ur, laissant derrière elles leurs parents conscients de la triste justesse de ce dilemme inhumain. Les jeunes filles rejoignent une Maison d'enfants au Château du Masgelier dans la Creuse où elles sont accueillies chaleureusement et avec une immense attention. Très organisées, les journées sont rythmées par l'école,  les excursions, les cours de chant, le tout mené de main de maître et dans la plus grande joie possible par un formidable professeur alsacien. L'OSE veille à rendre le quotidien de ces enfants blessés par la vie un peu plus doux, mais le manque est bien là et le chagrin douloureux pour ces frêles âmes de dix ans à peine. Un jour, à leur immense surprise, David rend à ses filles une visite impromptue. Un plaisir intense mais de courte durée car ordre lui a été donné de ne pas s'éterniser ; ce sera la dernière fois que les petites verront leur Papa?

Transfert avant l'enfer

Pendant que leurs filles sont élevées par l'OSE, David et sa femme sont transférés à Rivel près de Perpignan où, ironie du sort, le jeune homme travaille pour une fabrique de munitions. Le 5 février 1943, David est blessé pendant son travail, il est envoyé à l'hôpital puis quelques jours en repos chez lui où il est aussitôt attrapé par les SS qui n'ont aucune pitié de son état. A peine jeté dans le train, il en saute pour s'échapper mais se blesse à nouveau ; il sera à nouveau renvoyé dans un camp le 22 février 1943. Sans force et les mains tremblantes, c'est de ce jour précis que date la dernière carte écrite à sa famille. Il est envoyé à Drancy le 4 mars 1943 avec 950 personnes puis à Auschwitz dont il ne reviendra pas. 

Les petites filles continuent leur petite vie française ; aidée par un passeur, elles quittent en pleine nuit dans la forêt le Château du Masgelier pour rejoindre Saint-Paul-en-Chablais, près du lac de Genève en Suisse, où se trouve une maison d'enfants provisoire. De Genève, elles se réfugieront à Lucerne chez leur tante, elles ont alors une douzaine d'années et resteront en Suisse jusqu'à la fin de la guerre, date à laquelle elles montent dans un train de réfugiés pour retrouver enfin et avec une immense joie leur Maman à Bruxelles. Elles vivront ensemble à Anvers quelques années? A 15 ans, Gerda trouve un poste de découpe dans une fabrique de diamants, autre expérience qui s'avérera de courte durée du fait de la crise boursière. Se retrouvant sans travail, la jeune fille est embauchée dans un home d'enfants juifs orphelins, elle y travaillera en tant que monitrice jusqu'à son départ en Israël en octobre 1948. C'est à ce moment-là que les jeunes filles adoptent leur nom hébreu : Gerda devient Tova, Clara est baptisée Chaya. Tova arrive en Terre Promise à l'âge de 17 ans, elle trouve aussitôt une activité de comptable en français dans une entreprise de confection de poussettes. Elle se forme ensuite au secrétariat et rencontre à 18 ans son mari Viki, chauffeur de taxi, lors d'une course en ville ! Mariés deux ans plus tard en 1951, ils mettent au monde deux fils tandis que Tova continue de gravir les échelons du secrétariat, de la mairie d'Holon jusqu'au ministère du logement où elle assiste le directeur général, avant de terminer sa carrière dans le secteur bancaire.

Une retraite où peu à peu l'amertume a laissé place à une relative douceur de vivre 

Veuve depuis 4 ans, Tova vit aujourd'hui dans une luxueuse maison de retraite de la communauté d'Herzliya à 15km de Tel-Aviv. Elle a six petits-enfants à qui elle ne cesse de répéter que la Vie est un cadeau à préserver à tout prix. Quand ils lui demandent quels étaient ses hobbies ou ses souvenirs de petite fille, elle leur répond avec une justesse aussi triste qu'implacable qu'elle n'a pas eu d'enfance, que l'insouciance n'avait pas voix au chapitre. Quand ils lui demandent ses recettes de petite fille, très peu de souvenirs également, hormis les plats de Shabbat de sa grand-mère Hudie.  

*chants traditionnels du Shabbat

**personne qui chante à la synagogue 

***fonds permettant de financer une partie de l'agriculture et des plantations en Israël

 

Les recettes de Tova

> LATKES <

traditionnellement servis pendant Hanouka, les latkes sont aussi un accompagnement idéal de salades ou de barbecues

Ingrédients: 450 g de pommes de terre, non épluchées mais grattées et coupées en morceaux, 1 ?uf, 1 petit oignon, coupé en 4, 2 cuillères à soupe de farine, 15 g de beurre mou, 1/2 cuillère à café de sucre, 1/2 cuillère à café de sel, une pincée de poivre.

Préparation : hacher les 3/4 des pommes de terre dans un robot ménager. Ajouter le reste des ingrédients puis mixer jusqu'à obtenir un mélange homogène.

Râper le reste des pommes de terre et les mélanger à la préparation. Utiliser une cuillère à soupe pour faire des petits tas de pâte que l'on posera dans une poêle à frire généreusement graissée. Retourner les galettes lorsque les bords sont bien dorés.

Version moderne revisitée "façon brunch à la new yorkaise" : servir les latkes avec de la crème fraîche, de la compote de pommes, des ?ufs brouillés et des toasts beurrés.

> CROUVE MEMOULE <

Ingrédients : 8 grosses feuilles de chou frisé, 350 g de farce à saucisse ou de b?uf haché, 1 ?uf, 25 cl de coulis de tomates, 150 g de riz cuit, 2 cuillères à café d'huile d'olive, sel, poivre, 1 cuillère à soupe de marjolaine.

Préparation : blanchir les feuilles de chou dans l'eau salée frémissante pendant 2 minutes puis réserver. Mélanger la viande, le riz, l'?uf et la marjolaine dans un saladier à l'aide d'une spatule. Saler et poivrer. Si la farce est trop liquide, ajouter un peu de chapelure.

Prendre une feuille de chou, la farcir avec la préparation, refermer la feuille et la maintenir fermée avec un fil de cuisson. Préparer ainsi toutes les feuilles.

Dans une cocotte, faire chauffer l'huile et y mettre les feuilles de chou farci. Colorer de toutes les faces. Arroser de 7 cl d'eau et ajouter le coulis de tomate.

Laisser cuire 30 minutes à couvert puis rectifier l'assaisonnement. Servir avec purée de pomme de terre faite maison.

Version moderne revisitée : agrémenter de condiments type chutney de figues ou confits d'oignon.

 

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