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Mohamed Bouabdallah, Villa Albertine : « Nous sommes en perpétuelle invention » 

Mohamed Bouabdallah est arrivé en février 2024 aux commandes de la Villa Albertine. Le nouveau conseiller culturel de l’Ambassade de France aux Etats-Unis endosse un rôle qu’il a peaufiné suite à plusieurs années à la tête des affaires culturelles en Egypte. Après un poste au Quai d’Orsay focalisé sur le Conseil de sécurité des Nations -Unies, le diplomate expérimenté revient à la culture et endosse avec fierté sa mission principale : « renouer l’alliance franco-américaine par la culture, l’éducation, la recherche et les échanges universitaires. » A l’instar de ses prédécesseurs, il souhaite d’ailleurs laisser son empreinte au sein de l’institution, certainement « autour de la question universitaire ».  

Mohamed Bouabdallah, directeur de la villa albertineMohamed Bouabdallah, directeur de la villa albertine
Écrit par Damien Bouhours
Publié le 19 mai 2024, mis à jour le 2 juin 2024

Avant de devenir conseiller culturel de l’Ambassade de France aux Etats-Unis et directeur de la Villa Albertine, vous avez notamment été en poste en Egypte entre 2016 et 2019. En quoi cette expérience vous a préparé à vos missions actuelles ?  

Je suis diplomate de carrière et j’ai eu le bonheur d’être conseiller culturel en Egypte et directeur de l'Institut français d’Égypte. Cette mission était tout à fait fascinante de par l’histoire millénaire de l’Egypte et ses liens profonds avec la France. Il y a une longue histoire d’amour entre l’Egypte et la France, avec ses hauts et ses bas. Cette mission m’a beaucoup appris sur mon métier et sur ses trois piliers : le développement des échanges artistiques, culturels et du débat d’idées, la question éducative notamment la place du français dans les écoles françaises et les écoles égyptiennes, et enfin la coopération universitaire et de la recherche.   

Lors de ma mission en Egypte, nous avons pu conduire une saison culturelle France-Egypte en 2019 à l’occasion des 150 ans du Canal de Suez et nous avons ouvert deux nouveaux instituts français, au Nouveau Caire en 2018 et à Sheikh Zayed en 2020. Nous avons également lancé la construction d’un nouveau campus pour l’Université Française d'Egypte (UFE) qui hébergera 3000 étudiants pour commencer et, à terme, 7000 étudiants. Cette mission était dense et m’a préparé à ces nouvelles fonctions aux Etats-Unis.  

 

Fallen Tree à la Villa Albertine crédit Beowulf Sheehan
Fallen Tree à la Villa Albertine (crédit Beowulf Sheehan)

 

Comment voyez-vous la diversité des échanges franco-américains dans tous les domaines que vous avez évoqués ?  

L’histoire entre la France et les Etats-Unis est plus récente puisque que nous allons bientôt célébrer les 250 ans de l’indépendance du pays. Nous sommes deux pays amis et alliés. La France a joué un rôle décisif pour aider le peuple américain à obtenir son indépendance. Les Etats-Unis ont également été à nos côtés lors des deux guerres mondiales. Nous allons d’ailleurs célébrer cette année les 80 ans du Débarquement. Notre histoire est très forte, même si, là aussi, il y a eu des hauts et des bas. Ces liens se traduisent également dans les champs éducatif, culturel et universitaire. L’exposition Harlem Renaissance, qui a lieu en ce moment au MET, en est un témoignage direct. Elle montre que la « renaissance » de l’art afro-américain est passée par un échange constant avec la France, que ce soit à Paris ou dans les Antilles.  

 

Nos résidences se déploient sur l'ensemble du territoire américain

 

Nous sommes dans un moment de renouvellement des échanges artistiques entre nos deux pays. Ce n’est pas pour rien que, dans le cadre de la Villa Albertine, chaque année, 60 artistes, créateurs et intellectuels français, souhaitent traverser l’Atlantique, pour réfléchir, créer et s'imprégner de ce que sont les États-Unis d'aujourd'hui dans toute leur diversité. Nous avons plus de 500 candidats ! Nos résidences se déploient sur l'ensemble du territoire américain, dans les dix villes où la Villa Albertine est présente, mais également dans le reste du territoire américain : en Alaska, à Porto Rico, dans le désert à Marfa, Texas… Cela renouvelle le regard des créateurs français sur les Etats-Unis mais également, par les liens noués sur place, de nos partenaires américains sur la création française.  

 

Villa Albertine à San Francisco
Villa Albertine à San Francisco (crédit : Leslie Williamson)

 

En quoi votre programme de résidence est une innovation ?  

Le projet de résidence à la Villa Albertine est innovant car nous sommes en perpétuelle invention. Les conditions pour candidater sont très libres afin de permettre aux candidats d’exprimer  leur créativité, dans tous les champs artistiques et intellectuels et sur tout le territoire américain. En contrepartie, le processus de sélection est très rigoureux. Le jury est présidé par le directeur du MOMA Glenn Lowry, immense figure de la scène culturelle américaine et mondiale. Nous comptons également dans le jury d’autres membres prestigieux, comme Laurent Le Bon, le président du Centre Pompidou.  

Les projets sont tous très différents et nous sommes là pour les accompagner et les orienter. Les Etats-Unis sont un pays continent et la variété des sujets proposés reflète cette diversité. Après sa résidence à San Francisco, Alain Damasio, le plus grand auteur contemporain français de science-fiction, a ainsi publié Vallée du Silicium, le premier ouvrage de la collection Albertine aux Editions du Seuil.  

Autre exemple, l’artiste visuel Olivier Beer, travaille, lui, sur une carte acoustique de New York.  

Raphaël Barontini, résident en 2024 à la Nouvelle-Orléans, a fait une exposition remarquée au Panthéon et explore aujourd’hui l'imaginaire des cultures créoles et des parades, afin de créer une performance collaborative dans l'espace public, au croisement des arts visuels et de la musique. 

J’ai beaucoup voyagé depuis mon arrivée. J’ai pu me rendre à San Francisco, à Los Angeles, à Miami, à Chicago, à Washington, à Boston et bientôt à Atlanta, Houston et à la Nouvelle-Orléans. Il n’y a pas une ville semblable. Nous venons d’examiner les candidatures pour 2025 et je peux vous dire que les projets sont tous différents et que les artistes sont en prise avec le temps. A travers une diversité de disciplines (architecture, littérature, musique, cinéma, arts visuels, peinture, spectacle vivant…), ils évoquent des sujets contemporains  : l’écologie, l’urbanisme ou encore les enjeux sociétaux comme les questions de diversité. Dans notre sélection, nous veillons à assurer une répartition sur tout le territoire américain et à respecter la parité.  

 

La carte de la présence de la Villa Albertine aux Etats-Unis
La carte de la présence de la Villa Albertine aux Etats-Unis (crédit Studio Des Signes)

 

Comment coordonnez-vous les actions dans tout le territoire américain ?  

Ma responsabilité première est d’assurer une vision et une stratégie d’ensemble. Les membres de l’équipe de la Villa Albertine sont d’excellents professionnels, aguerris et enthousiastes. Mon rôle, assez modeste, est de faire vivre ce collectif autour d’un projet très fort et fédérateur dont la mission principale est de renouer l’alliance franco-américaine par la culture, l’éducation, la recherche et les échanges universitaires. Et bien sûr de trouver les ressources pour financer nos actions. 

La Villa Albertine est déjà très forte sur le pilier culturel qui continue à repousser les limites de la créativité, de l’échange artistique et du débat d’idées. Pour ne citer que quelques évènements, nous venons ainsi d’organiser deux jours de conférences sur l’intelligence artificielle, un sujet qui fait écho à l’actualité et a réuni des experts internationaux. Du 15 au 21 mai, le festival Oui Design! mettra à l’honneur les métiers d'art et du design.  

Pour ce qui est de l’éducation, l’initiative French for All, lancée par le président de la République fin 2022, fonctionne très bien. Plusieurs centaines d’établissements scolaires publics, de programmes universitaires de français et d’enseignants ou futurs enseignants bénéficient en 2024 de cette initiative qui démocratise l’accès à l’apprentissage du français. 

 

Je souhaite donner plus d'ampleur aux échanges universitaires et de recherche entre la France et les Etats-Unis

 

Je suis au début de ma mission et j’essaye de fixer quelques priorités stratégiques pour que l'institution Villa Albertine puisse continuer de grandir. Je voudrais rendre hommage à mes prédécesseurs car chaque conseiller culturel a apporté sa pierre à l’édifice. Sans remonter très loin dans le temps, Antonin Baudry a permis l’ouverture, il y a dix ans, de la librairie Albertine. Bénédicte de Montlaur, qui lui a succédé, a beaucoup travaillé sur la question de la langue française et notamment la création de filières d'immersion bilingues dans les écoles publiques américaines. Et bien sûr Gaëtan Bruel a été décisif pour la création du programme de résidences de la Villa Albertine. 

De mon côté, je travaille avec mes équipes et nos partenaires et amis pour préciser mon projet, mais je peux vous dire que cela tournera sans doute autour de la question universitaire. Je souhaite donner plus d'ampleur aux échanges universitaires et de recherche entre la France et les Etats-Unis pour rapprocher les penseurs et les leaders de demain : la « next generation » comme on dit ici.  

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