Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

« Chez Vous, Sans Moi » : L’hospitalité Virtuelle d’Alexandra Morris

Traiteur Alexandra MorrisTraiteur Alexandra Morris
Alexandra Morris
Écrit par JC Agid
Publié le 23 juin 2020, mis à jour le 25 juin 2020

Le 29 Juin prochain, le FIAF propose avec Tastings et Vranken Pommery America un webinar-diner, vin et champagne. L’occasion pour nous de mieux faire connaissance avec la fondatrice de Tastings, Alexandra Tierno-Morris.

New York on Pause. Depuis plus de 100 jours les restaurants sont endormis, un silence abrutissant de fourchettes dans cette ville-capitale gastronomique. Certains rêvent de ventes à emporter, d’autres de terrasses animées. À des milliers de kilomètres de là, dans le village de Montecatini, perché au sommet d’une colline toscane, le parrain de la restauration new-yorkaise, de l'élégance et de la crème brûlée s'est discrètement éteint à l'âge de 88 ans. Sirio Maccioni, le fondateur du restaurant Le Cirque, a été le symbole de la restauration new-yorkaise pendant plus d’un demi-siécle. Sirio n'était pas un chef, mais un maître d'hôtel, un expert dans l’art d'accueillir les riches, les célèbres, les Sinatras et nous tous, invisibles amateurs de bons plats. Lorsqu'il était à Manhattan, il ne se passait pas un repas sans qu'il soit assis à l'entrée de son restaurant jusqu'à ce que Le Cirque ferme définitivement ses portes en 2018. Au cours de sa carrière, Sirio s’est entouré des meilleurs chefs. Il les ‘volait’ parfois à d'autres s’il découvrait un immense talent. Ce fut le cas avec Daniel Boulud en 1986.

 

Alexandra morris

Alain Ducasse, Sirio Maccioni, Jean-Georges Vongerichten et Daniel Bould ©️FIAF / Tony Behar 

 

« C’était une légende, » raconte Alexandra Morris, la glamoureuse, espiègle, ambitieuse et pourtant discrète fondatrice de deux bistros dans le quartier d’East Harlem et de Tastings—un des traiteurs les plus renommés de New York.

Le jour où les restaurants se réveilleront complètement de ce New-York confiné, normalement début juillet, la ville se sera métamorphosée. Les anciens raconteront peut-être l’histoire de Sirio Maccioni, cet italien né dans le même village qu’un certain Ivo Livi devenu à Paris Yves Montand. Ils se demanderont ce que Sirio aurait fait pour s'adapter à la nouvelle scène gastronomique et à la disparition temporaire des cocktails et des galas flamboyants. Alexandra Morris a déjà imaginé sa nouvelle relation savoureuse avec ses clients, en créant le restaurant à la maison et les fêtes numériques. Cela s’appelle Tastings 2.0.

 

Alexandra Morris

Illustration : Alexandra Morris ©️Marion Naufal

 

Merci de ne pas m’accueillir chez vous, Alexandra. Les restaurants et les bars sont fermés. Il n’y a plus aucune soirée et événement où le tout New York se presse. Le monde de la restauration, celui de Sirio, votre monde, a été bouleversé. Le temps est à la créativité, à l'invention de nouvelles façons de nous rassembler autour de cocktails et de dîners virtuels. Comment vous êtes-vous préparée ?

Dès l’annonce du confinement et de la fermeture des restaurants et des boutiques « non-essentiels », mon mari, mon fils et moi avons décidé de nous réfugier dans notre pied-à-terre de Miami, où Tastings est également présent. Avec mon équipe, nous avons refusé de paniquer lorsque les commandes ont été annulées. Au lieu de cela, nous nous sommes réunis tous les jours sur Zoom. Nous avons analysé, une par une, toutes nos options. Aucun d'entre nous n'était effrayé ou timide. L’ambiance était plutôt, ‘Acceptons cet état des choses’. Nous avons réfléchi à différents concepts et avons retenu un projet, ‘Tastings 2.0’, un service de traiteur adapté aux réunions virtuelles amicales ou professionnelles.

 

Le compagnon gastronomique d'une vidéo Zoom !

Les gens sont maintenant habitués à se rencontrer par écrans interposés, soit pour un apéritif entre amis, soit avec des collègues. Nous avons mis en place un service spécial pour leur offrir un cocktail complet, voire un dîner, avec du vin, du champagne et des fleurs, afin que l'expérience soit davantage partagée, inclusive, plus amusante et facile à organiser. Tout le monde peut ainsi déguster le même repas, on transforme ainsi une invitation de groupe en un festin en nous demandant de livrer à tout le jour même des repas et des amuse-bouche préparés en toute sécurité. Une idée simple que nous avons pu mettre au point après quelques tentatives de cuisson et de livraison.

 

En plus de proposer des événements virtuels sur mesure, vous voulez également créer le restaurant d’appartement !

Les temps changent et nous nous y adaptons. Nous livrons beaucoup plus que des simples repas. Nous voulons partager un style de vie, une atmosphère, une émotion. Tout est question de détails, que ce soit la mise en place de la table, les fleurs, les bougies, le mobilier si nécessaire, tout ce qui pourrait faire de ce moment un repas exceptionnel. Nous avons ainsi livré il y a quelques jours un dîner d'anniversaire complet. Nous avons également mis en place un service d'abonnement pour nos amis des Hamptons et du sud de la Floride—et nous avons bien sûr adapté notre site internet.

 

Vous l’avez fait, mais dès le début, vous avez aussi décidé d’aider votre communauté.

Se nourrir est devenu un défi pour de nombreux enfants le jour où les écoles ont fermé. Près de la moitié des parents de New York ont déclaré avoir sauté un déjeuner, un diner ou diminué les portions de nourriture à cause de la pandémie. Je ne me voyais pas utiliser ma cuisine, occuper mon personnel et préparer de beaux repas tout en ignorant cette tragédie qui existe partout aux États-Unis. Nous donnons donc 20 % des bénéfices des dîners virtuels au programme "Skip Lunch Fight Hunger" de City Harvest. C'est le moment de penser aux besoins de chacun d’entre nous.

 

« S’adapter » est le verbe que tout le monde devrait avoir à l'esprit ici.

À nous tous, individus et entreprises, de nous adapter. Notre clientèle n'a pas disparu. Ils vivent, personnellement et professionnellement, exactement la même souffrance que nous. Ils doivent eux aussi s'adapter : comment la distribution de luxe va-t-elle conserver la loyauté de ses employés et ses propres clients ? Comment les gens vont-ils se recevoir entre eux ou déguster un dîner livré et prêt à l'emploi s’ils doivent passer davantage de temps à la maison, même après la réouverture des restaurants ? Les New-Yorkais vivent à l'extérieur ; ils doivent maintenant s'adapter à un mode de vie "intériorisé et éloigné" les uns des autres. En concevant Tastings 2.0, nous avons voulu créer une expérience sûre, légère et amusante ; nous avons voulu nous adapter aux côtés de nos fidèles amis et créer un nouveau service de réception à domicile pour eux.

 

Vous n'avez jamais cessé d'être curieuse et de vous réinventer. Professionnellement bien sûr, mais aussi culturellement. Le fait que vous soyez une américaine d'origine italienne devenue une citoyenne française en cours de route résume tout !

Je suis née et ai passé les 10 premières années de ma vie à New York avant de grandir dans le nord du New Jersey, avec une forte tradition italienne. La famille de mon père avait émigré de la magnifique Côte Amalfitaine, Naples, Portofino et Salerne, un paradis gustatif.

 

Et puis il y a la France !

Mon amour pour la France remonte aux années 70 lorsque mes grands-parents se sont installés à Orlando. Le parc Epcot venait d'être inauguré à Disneyworld. En le visitant, je suis tombée sur le pavillon qui permettait aux visiteurs de faire le tour du monde. Un film sur Paris et la France m'a hypnotisée, la beauté de Baudelaire, la musique, les vues aériennes de la Côte d'Azur—était-ce Cannes ou Nice ? Je ne m'en souviens pas, mais je me suis tout de suite sentie envoûtée. J'ai attendu d'avoir 18 ans avant d’aller à Paris pour la première fois. Quelques années plus tard, j'ai découvert Nice et Villefranche. Je me suis promenée sur la Promenade des Anglais, hypnotisée par le ciel étoilé ; j'ai découvert le marché du cours Saleya, respiré les parfums et les couleurs des fleurs, goûté des pêches et des fruits dont j'ignorais l'existence, des légumes et des poissons aussi, chacun d'entre eux me rappelant les saveurs italiennes. Tout cela était magique. Je savais que je devais apprendre à parler français, que je finirais par devenir française ; je savais que la France venait de devenir ma deuxième maison, mon autre famille.

 

Sur le plan professionnel, la nourriture a été au cœur de votre vie. Vous avez commencé votre carrière dans la publicité, mais...

J'ai commencé par travailler dans la mode, puis j'ai choisi une autre voie. La communication et le marketing étaient en plein essor dans les années 1980. J'ai fait un stage chez Perry Ellis à l'époque où Marc Jacobs s'est lancé dans la mode. J'étais chargée de coordonner un défilé avec pour la première fois sur scène, Cindy Crawford.

 

Alexandra Morris

Illustration ©️Marion Naufal

 

Pourtant, votre véritable passion se cachait dans un livre que vous aviez toujours sur vous, le guide des restaurants Zagat, l'ancêtre des Trip Advisors, des critiques amateurs des restaurants et hôtels sur Instagram et Pinterest. Vous souvenez-vous du premier restaurant où vous êtes allée sans vos parents ?

Comment pourrais-je l'oublier ? J'étais encore au lycée. Ma meilleure amie Jill et moi sommes allés déjeuner à La Grenouille sur la 52e rue. J'ai trouvé l'endroit très chic et nous avons été merveilleusement bien traitées. Nous avons commandé le soufflé et un plat français très classique que nous nous étions offerts sans compter—je gagnais déjà mon argent. Je suis retournée à La Grenouille l’an dernier avec une autre de mes meilleures amies françaises et nous avons déjeuné exactement à la même table de mon adolescence, près du bar, presque en dessous de l'exubérante composition florale.

 

Vous aviez une passion pour découvrir des restaurants ?

Mes parents nous emmenaient, ma sœur et moi, en ville pour visiter le Musée d'Histoire Naturelle, aller à Broadway et dîner dans des restaurants comme le Lutèce d'André Soltner.

 

L'époque du Cirque bien sûr, mais aussi de Lespinasse, de La Caravelle, de La Côte Basque...

La Côte Basque sur la 55e rue, maintenant le Bistro Benoit. Vraiment, seule La Grenouille a survécu au temps.

 

Est-ce avec un Zagat dans la poche que vous avez su que vous vouliez vraiment travailler dans la restauration et les services ?

J'ai toujours voulu m'occuper des autres, faire tout mon possible pour que quelqu'un se sente chez lui. Je ne sais vraiment pas comment je me suis retrouvée dans la restauration. À la fin des années 80 et au début des années 90, les chefs sont devenus des célébrités. Puis est arrivée une nouvelle génération de chefs et avec eux, l'idée du service, de l’authenticité, de la loyauté, d'aimer servir les gens. C'était ma vocation.

 

Vous avez attendu longtemps avant d’ouvrir vos deux restaurants, Gaudir et Mountain Bird !

Je ne savais que je finirais un jour par le faire. Je n’ai jamais eu de plan de carrière. J’ai préféré mettre un pied devant l’autre en m’inspirant des personnes qui m’entourent. J’ai besoin d’échanger des idées avec les personnes en qui j’ai confiance et avec mon équipe. Un projet en a toujours ouvert un autre et un matin, je me suis réveillée à la tête d’un, puis deux restaurants.

 

Qui plus est, dans un quartier qui éclot à peine, celui d’East Harlem.

Ce n’était pas non plus volontaire. Mon mari Blake avait trouvé un immeuble sur East 145th street dans lequel nous pouvions non seulement avoir nos bureaux mais aussi une nouvelle cuisine. Nous savions que nous pouvions faire autre chose que simplement du service traiteur avec cette cuisine. Un jour, un de mes chefs et moi avons donc tenté l’expérience d’un restaurant pop-up dans ce quartier si authentique.

 

Alexandra Morris

Tastings ©️Tastings

 

Le restaurant Payard, où vous aviez fait vos débuts dès son ouverture en 1987, a été une destination dans l’Upper East Side pendant longtemps. Le show numéro un de HBO à l’époque, Sex and the City, l’avait même mis à l’honneur dans une scène durant laquelle Carrie Bradshaw (Sarah Jessica Parker) déjeune avec ses trois amies et dit en voix-off : ‘Le jour d’après, au dessert, je ne pouvais toujours pas croire que mes chaussures m’avaient lâchées. C’étaient des Manolos toutes neuves, je n’ai même pas eu le temps de faire un tour de scène…’ Ce qui n’était pas le cas du Bistro Payard, devenu une institution. Comment ce restaurant a-t-il créé Tastings ?

Le dirigeant de Longchamp aux États-Unis, Olivier Cassegrain—et vous également, lorsque vous travailliez aux Services Culturels—êtes venus nous voir en nous demandant si vous pouviez servir le foie gras de notre chef Philippe Bertineau et des petits-fours comme cela est fait en France’ pour vos événements. Tout fut une question de serendipity.

Normalement les traiteurs sont juste des traiteurs, ils n’ont rien à voir avec la restauration, mais nous avons adossé le nôtre à partir d’un restaurant. Parmi nos premiers clients, les Services de l’Ambassade de France à New York ont joué un rôle clé. Cela a généré une clientèle française et de l’Upper East Side d’une incroyable loyauté. Ils m’ont sans cesse encouragée à aller de l’avant. Pour cela, j’aime la France, son soutien sans bornes et ses traditions si vivantes. Vive la France !

 

Nous partageons tellement de souvenirs de ce travail au début des années 2000 à la Payne Whitney Mansion, dernier ouvrage de l’architecte Sanford White, dressée sur la 5e avenue entre la 79e et la 78e rue, là où se trouvent les Services culturels de l’Ambassade de France et la librairie Albertine. Je me souviens comment vous aviez joué le jeu d’une soirée en blanc, hommage à Stanford White justement, pour célébrer la culture et l’amitié franco-américaine. Tous les canapés devaient être… blancs !

A cette époque, les traiteurs New-Yorkais étaient très traditionnels. Les soirées-cocktails et les dîners assis étaient classiques. Cette ‘White’ Party annonçait l’arrivée d’un autre type d’événements, davantage centrés sur une expérience mémorable. C’est à peu près à ce moment que nous avons réalisé que nous pouvions nous mesurer aux plus grands traiteurs de la ville.

 

Vous avez même été recrutée pour organiser des événements avec des personnages politiques de premier plan !

Tastings a remporté le budget d’un événement en l’honneur de Nicolas Sarkozy et de Carla Bruni, une soirée pour 3000 invités au lieu des 200 que nous servions d’habitude. Notre staff comprenait 350 personnes. Il a fallu les interviewer, les former et les adapter au protocole officiel des réceptions françaises. Mon fils était alors un bébé et toute cette organisation me rendait très nerveuse. Mais nous y sommes arrivés. Nous avons également organisé des soirées pour le Président Clinton, pour Hillary lorsqu’elle était Secrétaire d’État, pour les filles de Georges W. Bush, et pour le candidat à la Maison Blanche, Barack Obama, qui avait pris le temps de très gentiment passer du temps en cuisine pour remercier chacun des membres de mon équipe.

 

Comment avez-vous obtenu le contrat pour une soirée de levée de fonds avec Obama ?

Grâce à une de mes clientes de l’Upper East Side. Son mari occupait des fonctions importantes à Washington D.C. Tout ce que je fais repose sur la confiance, la loyauté et l’amitié. Nous entrons dans l’intimité de nos clients, de leurs maisons ; nous devons offrir beaucoup plus qu’un service.

 

Alexandra Morris

Alexandra Morris

 

Vous avez également organisé beaucoup de dîners et de réceptions dans des boutiques comme cette soirée avec Diana Ross chez Harry Winston. Ce doit être un sacré défi de transformer une bijouterie de luxe pour y servir un dîner hors du commun. Vous avez aussi métamorphosé des espaces historiques, le Gotham Hall, la New York Public Library, le Consulat de France ou encore la Frick Collection. Est-ce que les grandes soirées new-yorkaises sont toujours organisées dans ce type de lieux ?

Toutes ces destinations sont uniques. Le diner chez Harry Winston a eu lieu au sous-sol de la boutique, derrière le coffre ! Si je préfère les lieux historiques New-Yorkais pour un événement—avec une préférence pour la Frick Collection qui me fait penser au musée Jacquemart à Paris—nos clients recherchent davantage des lofts pour y créer des expériences tout à fait originales. La soirée elle-même et le lieu ne sont plus suffisants pour exprimer sa différence. À nous de concevoir des expériences innovantes pour raconter l’histoire de nos clients et les aider à partager leur message, leur vision, d’une façon efficace et contemporaine.

 

De nouveau, vous vous étiez adaptée, comme vous le faites aujourd’hui.

Les gens ont devant eux une toile blanche pour se réinventer. C’était vrai en février dernier. Plus que jamais aujourd’hui, nous devons peindre un nouveau présent, rédiger une nouvelle histoire pour New York et au-delà. Adaptons-nous et allons de l’avant !

 

Plus d’informations sur Tastings 

Pour participer au Webinar présenté par le FIAF le 29 juin prochain

Pour lire cet article en version anglaise

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions

    © lepetitjournal.com 2024