Il y a des mots qu'on croirait venus de Rome ou Milan alors qu'ils n'y ont jamais été entendus. Mais l'étymologie embrouille parfois plus qu'elle ne dévoile…
Il y a des mots qu'on croirait venus de Rome ou Milan alors qu'ils n'y ont jamais été entendus. Des mots d'allure Nespresso, comme ceux dont la marque de café a paré ses capsules pour un port et un goût éminemment italiens, volluto, fortissio ou sa machine à café barista. Sauf qu'on dit velluto (velours), fortissimo (très fort) et que barista, qui indique en français un barman préparateur d'expresso, existe bien en Italie mais pour désigner un barman tout court. Soit, un barman transalpin est par nature un génie du café, mais bon. Quant à macaroni, le mot Nespresso le plus couru de nos foyers, il n'existe nulle part dans la Péninsule malgré ses airs cent pour cent italiens. Rien dans les livres, rien dans les journaux, ni à la radio ni dans les cuisines. Pour macaronis, on ne changera qu'une syllabe, ce n'est pas énorme mais on ne suscitera au moins aucun sourire en coin, et on dira maccheroni.
L’histoire compliquée du macaroni
Le macaroni, nature ou tomates ou fromage, le plat du pauvre par excellence, a une histoire compliquée. Emprunté à l’italien du Sud maccherone, il remonterait au grec makaria voulant dire « banquet funèbre ». Gulp. Voulant dire aussi « soupe d'orge », celle que l'on servait lors des funérailles. Évoquant aussi Makaria, double divinité de la mort et de la béatitude. Allons bon. L'étymologie embrouille parfois plus qu'elle ne dévoile. Sans compter que, tout étrange que cela puisse paraître (et même si l'oreille le donne comme évidence) macaroni et macaron, c'est la même chose. Comment peut-on associer une assiettée de pâtes et une gourmandise chic chic ? En fait, rien ne s'y oppose: le mot pasta signifie bien à la fois pâtes et petit gâteau.
En italien, macaron reste macaron (avec le r un peu roulé, le on un peu chanté), c'est que l'immense succès de la petite meringue (relancée par les créateurs pâtissiers Pierre Hermé et Ladurée) laisse penser qu'elle a toujours été française. Perdu. C'est oublier le très traditionnel macaron italien, le fameux amaretto (à cause des amandes amères de sa recette). Sa popularité est telle qu'amaretto a fini par désigner, dans les deux langues (en français avec le r un peu coincé, le to accentué), une couleur jouant sur un ton d'amandes, pour les cheveux, les fonds de teint, la lingerie, là où nos macarons multicolores ne peuvent rivaliser sauf en période de carnaval.
Plutôt gnocco ou plutôt nouille ?
Tous, pas tous, les Français passent pour des amateurs de grenouilles et d'escargots, les Italiens pour de grands mangeurs de pâtes. Macaroni ! fut donc le lazzi tout trouvé à jeter contre les immigrés italiens au début du siècle dernier. C'est vrai qu'avec les pâtes, on ne distribue pas beaucoup de compliments : le western spaghetti, western all'italiana, a du sarcasme entre les lignes. Pas très obligeant non plus le maccherone dont l'Italien affublait toute personne stupide et molle ; aujourd'hui, gnocco (singulier de gnocchi) est plus en vogue. Pas mieux ni beau le nouille dont le Français traite le gros niais et le borné. Et là, aïe aïe, c'est le moment ou jamais de le dire : non, les noms de pâtes ne sont pas tous d'origine italienne. Notre nouille par exemple. Elle vient de l'allemand nudel qui s'entrevoit dans canederli (sorte de gnocchi de l'extrême nord italien). Quant à traduire « nouille » en italien, pas facile. On hésite entre spaghetti, tagliatelle ou simplement pasta (pâtes). A-t-on déjà déposé un nouilla imaginaire ? Un nouilla... macaronique ?
La langue macaronique, un genre burlesque reconnu
Parce que la langue macaronique, de l’italien maccheronico, montre, d'abord, qu'on sait mal dire les choses : parler français comme une vache espagnole se dit justement parlare un francese macaronico, latin de cuisine se dit latino maccheronico. Mais la langue macaronique est aussi un genre burlesque reconnu, sorte de parler barbouillé de latin, d'italien, de dialecte que le fabricant de macaronis (d'où son nom) d'une très vieille histoire piémontaise fut le premier à bafouiller. Plus près de nous, le dramaturge Dario Fo en reprit les caprices et libéra sur la scène des énergumènes inspirés de la commedia dell'arte, loufoques, bavards et agités, qui se racontaient en grammelot (ou grommelot, de grommeler, parler entre ses dents), dans un à-peu-près de mots et d'onomatopées piémontais, français ou anglais. Lexique estropié, grammaire malmenée, prononciation écorchée, un pataquès de folie ! Tout faux ? Tout juste ! Car l'intonation et la mimique accomplissaient un authentique miracle : absolument tout était compris à l'instant. Cette langue de foire se faisait alors universelle sans qu'on ait besoin de passer par son apprentissage.
Voilà macaroni. Un mot de rien du tout farfelu sur les bords, qui sent la sauce tomate et la meringue, le paysan et le salon de thé, le baragouin et l'espéranto. Toujours se méfier des apparences, et si c'était la morale de la fable de son histoire ?