L´instauration du confinement de la population portugaise le 19 mars dernier par le gouvernement portugais, à l´instar de la plupart des pays dans le monde, pour faire face à la propagation du Covid-19 a déclenché une crise économique sans précédent. Du point de vu social les conséquences se sont vite fait sentir chez les plus défavorisés. Isabel Jonet, présidente de la banque alimentaire au Portugal a accordé une interview au Lepetitjournal où elle nous confie que : « le futur proche va être très dur et il est essentiel de maintenir la cohésion sociale »
Isabel Jonet est économiste de formation. Après un séjour de 8 ans en Belgique où elle a travaillé au Comité Économique et Social, elle revient au Portugal en 1994 et commence en tant que bénévole à la banque alimentaire qui venait d'être constituée à Lisbonne. Elle a ainsi contribué à bâtir une grande organisation et un modèle de gestion qui a permis de reproduire 20 banques alimentaires supplémentaires au Portugal. Elle a été présidente de la Fédération Européenne des banques alimentaires dont le siège est à Paris, de 2011 à 2016. En 2004 elle a fondé Entrajuda, une association qui aide d'autres associations de solidarité en leurs apportant des méthodes de gestion et de formation et qui contribuent à développer leurs compétences dans le domaine du bénévolat. Elle est actuellement la présidente de la Fédération portugaise des banques alimentaires.
Lepetitjournal : Pouvez-vous rappeler à nos lecteurs comment ont été créées et se sont développées les banques alimentaires, en particulier au Portugal ?
Isabel Jonet : La banque alimentaire est née à Lisbonne en 1991 à l´initiative de José Vaz Pinto en s´inspirant des banques alimentaires françaises et avec le support de Bernard Dandrel qui en est le fondateur en France. Sa mission est la lutte contre le gaspillage alimentaire pour restaurer l'homme en détresse, et ceci toujours en partenariat avec des associations caritatives. A l´heure actuelle il existe au Portugal 21 banques alimentaires qui aident à nourrir 4% de la population portugaise démunie avec des accords de partenariats établis avec 2600 associations. Plus de 120 tonnes de produits sont distribués chaque jour parmi lesquels des denrées fraîches et non périssables.
Quelle est l'origine des dons et pouvez-vous nous donner une valeur moyenne annuelle de ceux-ci?
Il y a plusieurs sources d'approvisionnement : l'industrie agro-alimentaire, les marchés, la distribution, l'agriculture et également les collectes en supermarchés avec des bénévoles deux fois par an en mai et en novembre. Plus de 26.000 tonnes de produits sont collectés tous les ans.
Quelle est la place du « Banco Alimentar » aujourd´hui dans la société portugaise et plus particulièrement dans le contexte actuel ?
La banque alimentaire est bien reconnue aujourd'hui par la société civile portugaise qui la reconnaît comme une association crédible et transparente. C'est la plus grande organisation du pays qui fonctionne en régime de travail bénévole et avec un processus logistique bien défini.
Pouvez-vous nous parler aussi du projet « Entrajuda » lié au « Banco Alimentar » ?
Entrajuda est né en 2004 car nous savons que les associations caritatives sont souvent gérées avec le cœur mais ne profitent pas de tout le potentiel qu´une bonne gestion permet de développer. L'idée est de les aider à être plus efficaces avec un personnel de bénévoles qualifiés, et d´apprendre à utiliser au mieux les équipements informatiques et autres types de matériels mis à la disposition du réseau par des entreprises dans le cadre du Banco de Bens Doados (www.bancodebensdoados.pt). Par ce bais, il est possible d´obtenir des milliers de produits alimentaires et de les redistribuer dans la chaîne de solidarité que représente les banques alimentaires.
A quoi correspond en mars 2020, la création de « Rede de Emergência Alimentar » que vous avez mis en place ?
Entrajuda a décidé de créer un réseau d'urgence alimentaire, pour apporter une réponse structurée à une réalité qui s'aggravait de jour en jour à ce moment-là, suite aux mesures gouvernementales indispensables prises pour empêcher la propagation de la COVID19. Cette réalité a créé des situations extrêmement difficiles et de grand désespoir parmi les populations les plus défavorisées. Il fallait se prémunir contre les risques de situations de rupture de soutien alimentaire, d'isolement et de désespoir qu´entraînaient :
- la fermeture des structures d'appui de soutien social normalement fournies par plusieurs Institutions Privées de Solidarité Sociale (IPSS), telles que les crèches, les garderies pour les plus petits « jardins de infância », les structures de colonies de vacances « ATL », les centres d´accueil de jour pour les plus âgés « centros de dia » et d´autres lieux de socialisation.
- la réduction du nombre d´agents qui collaboraient dans ces Institutions, dont la grande majorité sont des femmes, qui, en raison de la fermeture des écoles et du matériel scolaire ont été et sont encore obligés de rester à domicile pour aider la famille, empêchant ainsi la continuité des prestations de services des soutiens sociaux;
- et, enfin, la restriction voire la totale impossibilité d´accès des bénévoles qui collaboraient avec ces institutions. Il fallait, en effet, éviter la contagion des bénévoles et de leurs proches ainsi que celle des usagers dans le cas des maisons de retraite, par exemple.
Comme il était essentiel de respecter les recommandations des autorités de santé publique, visant à lutter contre la propagation du nouveau coronavirus, il était important de structurer un réseau de distribution alimentaire qui, tout en préservant l'hygiène et la sécurité permettait de continuer à apporter un soutien alimentaire et à soutenir les populations les plus défavorisées en lien avec les banques alimentaires.
Concrètement, la « Rede de Emergência Alimentar » a permis et permet toujours l'enregistrement des besoins sur une plateforme informatique, les renvois vers un point de livraison de nourriture proche de chaque domicile (association caritative ou municipalité locale), et mobilise un réseau de volontaires. Ces derniers sont parfaitement protégés et remettent dans un lieu et à une heure précise les repas préparés ou distribuent des produits jusqu'aux points de livraison ou au domicile des personnes les plus vulnérables. Le nombre de personnes en circulation est ainsi moindre et est graranti l'approvisionnement des denrées alimentaires dans le cadre de nos structures.
Quel est votre ressenti face à la crise sanitaire qui s´est installée due au Coronavirus et comment voyez-vous les prochains mois dans le pays ?
La pandémie a provoqué des situations très difficiles auprès de familles de la classe moyenne qui ont perdu leur emploi ou des revenus car elles sont pour la plupart au chômage partiel, « lay off ». Le plus important est de les aider à avoir une vie digne et à ne pas perdre l'espoir. Le futur proche va être très dur et il est essentiel de maintenir la cohésion sociale.
Avez-vous un message plus particulier que vous désirez transmettre à nos lecteurs ?
La communauté française au Portugal est la bienvenue à la banque alimentaire et nous accueillerons volontiers tous les bénévoles qui ont envie de participer à cet engagement solidaire ainsi que les dons alimentaires et financiers qui pourraient être faits. J´en profite pour souligner que fin juin une opération de crowfunding solidaire a été menée par la communauté française en faveur de la banque alimentaire. L´association UFE-Lisbonne a en effet recueilli par ce biais des fonds destinés à nos actions.
L´ambassadrice de France au Portugal, madame Florence Mangin a également organisé, cette année, un 14 juillet solidaire et à cette occasion, le 16 juillet, la banque alimentaire s´est vue offrir 60 repas destinés à ses bénévoles. Nous remercions toutes les personnes et les institutions qui contribuent à faire vivre nos actions solidaires auprès de ceux qui sont dans le besoin et qui voulant garder leur dignité, souvent n'osent pas demander de l´aide.
En savoir plus ici : www.bancoalimentar.pt