Michel Peyramaure, auteur d´une centaine d´ouvrages, nous raconte dans son dernier livre La scandaleuse les mémoires romancés de Louise Labé, personnage atypique du seizième siècle français, poétesse surnommée «La Belle Cordière», figure de proue de la poésie à Lyon pendant la Renaissance.
Qui est donc Louise Labé ?
Certaines voix s´interrogent encore de nos jours si Louise Labé était bel et bien la femme cultivée, connaissant le latin et l´italien, la musique et l´équitation que la postérité a retenue ou, bien au contraire, une courtisane sans grande envergure. A-t-elle d´ailleurs vraiment existé ou n´était-elle qu´un canular, une fiction élaborée par un groupe de poètes autour du célèbre Maurice Scève ? Les thèses ont fleuri au fil des époques. Toujours est-il que les poèmes qu´on lui attribue révèlent une sensibilité qui va de pair avec les données biographiques qu´on lui prête.
Née, d´après plusieurs sources, vers 1524 à Lyon et morte le 25 avril 1566 à Parcieux-en Dombes où elle fut enterrée, Louise Labé fut une poétesse française surnommée «La Belle Cordière» en raison du métier de cordier de son père Pierre Charly et puis de son premier mari aussi, Ennemond Perrin. Avec Maurice Scève et Pernette du Guillet, Louise Labé appartenait au cercle dit de l´école lyonnaise quoiqu´ils n´eussent jamais à vrai dire constitué une école au sens où La Pléiade en était une. Louise Labé aurait collaboré avec nombre de ses contemporains comme Olivier de Magny ou Jacques Peletier du Mans autour de l´atelier de l´imprimeur Jean de Tournes.
Michel Peyramaure, écrivain et journaliste
Figure intrépide, femme libre en avance sur son temps, Louise Labé a inspiré une belle fiction -parue en septembre 2020 aux éditions Calmann-Lévy- à Michel Peyramaure, intitulée La Scandaleuse. Michel Peyramaure, né le 30 janvier 1922 (mais oui !) à Brive-la-Gaillarde en Corrèze, est un écrivain et journaliste, auteur d´une centaine d´ouvrages (des romans historiques pour la plupart), qui en 1979 a reçu le Grand Prix de Littérature de la Société des Gens de Lettres (SGDL) pour l´ensemble de son œuvre. Une œuvre qui s´est considérablement enrichie par la suite et qui fut récompensée par d´autres prix littéraires : le prix Alexandre Dumas, le prix du Printemps du Livre ou le prix de la ville de Quimper. Dans ce roman, l´auteur se met dans la peau de Louise Labé et nous brosse un remarquable portrait au travers des mémoires romancés d´une femme hors du commun.
La scandaleuse
Parfois accusée de sorcellerie et souvent traitée de catin, Louise Labé -qui a appris le maniement des armes auprès de son frère et l´a accompagné, travestie en homme, dans une campagne militaire- était avant tout une femme d´une rare sensualité qui a su cultiver un art de vivre empreint de tolérance dans la tourmente des guerres de Religion.
Les guerres de Religion qui ont intensément sévi dans la région de Lyon entre catholiques et protestants sont dépeintes dans ce roman avec un exceptionnel souci de la perfection à travers la voix de Louise Labé. Ce sujet est présent dès les premières lignes alors que Louise est exilée dans son domaine du château de la Grange-Blanche, à Parcieu, près de Lyon, en août 1565, moins d´un an avant sa mort : «À l´heure où j´écris ces quelques mots, avant ma grande confession, la guerre est aux portes de Lyon, des milliers d´habitants chaque jour prennent la fuite par les fleuves ou la montagne, quitte à se jeter dans la gueule du loup en tombant sur les bandes huguenotes du baron des Adrets ou celles, papistes, du sieur de Maugiron». Du baron des Adrets, François de Beaumont, homme particulièrement violent, Louise Labé fait un portrait sans concession en mettant en exergue toute la cruauté de sa démarche : «La guerre occupait une grande part de sa vie, à égalité avec la religion. En fréquentant Calvin à Genève, il pensait avoir trouvé son ignoble chemin de Damas et l´avait semé de cadavres avec une exaltation mystique inébranlable (...) Ses coups de main, ses massacres, ses sacrilèges contre la Sainte Église, étaient connus de tous et redoutés. On reconnaissait le passage de ses bandes aux pendus accrochés aux arbres, au sang qui souillait le seuil des chaumières, à l´odeur de fumée et des cadavres pourrissant aux branches. À Montbrisson, dans les montagnes du Forez, il s´était offert un divertissement digne des temps barbares en jetant ses victimes du haut des remparts, sur les lances brandies par sa troupe».
Les amours de Louise Labé et les passions qu´elle a suscitées sont aussi abondamment décrites dans ce roman, aussi bien que son amitié avec des noms prestigieux de la littérature de l´époque comme –outre Maurice Scève et Pernette de Guillet déjà cités- François Rabelais, Clément Marot, Clémence de Bourges ou Étienne Dolet, écrivain –imprimeur qui profitait de la liberté dont bénéficiait la ville de Lyon, moins soumise à la censure ecclésiastique ou à la surveillance de la Sorbonne. Pourtant, cette liberté ne lui a servi à rien lors de son effroyable mise à mort.
Au dernier chapitre, l´épilogue, l´auteur se met pour une fois dans la peau de Thomas Fortini, le deuxième mari de Louise Labé, qui raconte la façon dont il a voulu exaucer tous les désirs de feu sa femme et préserver son héritage.
D´une plume élégante et maniant avec force détails toutes les données biographiques de son personnage, Michel Peyramaure a su nous restituer on ne peut mieux la figure d´une héroïne d´une incroyable modernité et tout un pan de la vie lyonnaise du seizième siècle.
Un sonnet de Marceline Desbordes -Valmore (de l´œuvre Les Pleurs de 1833) choisi par Michel Peyramaure comme une des trois épigraphes du roman est sans doute une des meilleurs définitions qui soient de la figure de Louise Labé : «Comme une nymphe triste au milieu des roseaux/Louise tu chantas dans les fleurs et les eaux/Fauvette à tête blonde, au chant libre et joyeux/et tu chantas l´amour : ce fut ta destinée…».
Michel Peyramaure, La Scandaleuse (le roman de Louise Labé), éditions Calmann-Lévy, Paris, septembre 2020.