Installé dans la ville de Surakarta, souvent appelée Solo (de son ancien nom), le Tumurun Museum est un musée privé consacré à l’art moderne et contemporain Indonésien qui a ouvert ses portes au public en 2018.
A l’origine de ce musée, un collectionneur acharné
Riche en histoire et traditions, notamment celle du batik, Solo est encore et toujours un des grands centres de production textile de l’archipel. Et c’est justement le batik qui est à l’origine de la fortune de M. Iwan Lukminto, collectionneur aguerri et fier promoteur des artistes de son pays. Businessman de succès, il a su perpétuer et agrandir Sritex, l’entreprise familiale fondée en 1966 par son père.
Dans un anglais parfait, ce quadragénaire humble et chaleureux nous raconte qu’enfant, lors de ses voyages en Europe et aux États-Unis, il s’amusait à repérer l’art Indonésien dans les collections des grands musées occidentaux. Il y trouvait bien certains objets dans les collections ethnographiques, mais peu ou rien dans les collections d’art. “Ne connaît-on donc pas l’art moderne et contemporain Indonésien ? Pourquoi la vision occidentale de notre art est-elle si limitée ?” Ces questions l’ont longtemps travaillé. En 2017, il s’est alors mis en tête de constituer une collection, de créer un musée ouvert au public, de faire des expositions et de publier des livres. Depuis, rien ne l’arrête, il fréquente les galeries et les foires de Jakarta et de la région, il participe aux enchères et passe commande aux artistes.
Il souhaite ainsi contribuer au développement des arts visuels en Indonésie et promouvoir, à la fois les artistes, la recherche sur l’art indonésien et l’éducation à l’art. Car, en effet, "il ne suffit pas d’avoir de bons artistes, il faut des galeries, des critiques, des historiens, tout un écosystème pour les encourager, les défendre et promouvoir leurs œuvres à long terme."
D’où le nom du musée : Tumurun de “turun temurun” qui signifie “héritage” : l’héritage qu’il a reçu de son père, passionné de batik et de voitures anciennes, dont certaines sont aussi exposées dans le musée, mais surtout celui qu’il entend offrir aux nouvelles générations par le biais de l’éducation. L’accès au musée est gratuit et les visiteurs sont accompagnés d’un médiateur qui les guide.
Visite guidée du musée
Bien que Solo ne soit pas une grande capitale de l’art, c’est la ville natale d’M. Iwan Lukminto et une ville ayant une histoire culturelle très riche qu’il souhaite faire revivre. Avec l’ouverture de ce musée, il espère donc que les écoliers, étudiants et professionnels, ainsi que les touristes aient accès à un espace de liberté et de réflexion sur ce qu’est l’art aujourd’hui. Au rez-de-chaussée on trouve un aperçu de sa collection d’art contemporain avec des artistes bien connus comme Heri Dono, Christine Ay Toe et Aditya Novali. Mais selon lui, les trois artistes contemporains à suivre de près actuellement sont Syaiful Garibaldi, Albert Yonathan Setyawan et Kei Imazu, jeune artiste japonaise basée à Bandung.
A l’étage le musée organise des expositions temporaires bi-annuelles. En ce moment et jusqu’au 8 avril 2023, l’exposition Rayuan Pulau Kelapa emprunte le titre à la chanson d'Ismail Marzuki où il fait l’éloge du paysage indonésien. L’exposition présente une sélection d’une trentaine de paysages de périodes et tendances diverses exaltant la beauté de l'archipel.
Un grand nombre des œuvres exposées sont liées au Mooi Indië, cette tendance qui n’a pas vraiment un style défini mais qui réunit des œuvres mettant en avant la beauté tropicale des Indes Orientales néerlandaises, qu’elles soient naturalistes, réalistes ou impressionnistes.
On y trouve une magnifique tempête romantique de 1840 de Raden Saleh, un Paysage avec volcan de 1921 de Raden Mas Pringadie, peintre du Service Archéologique de Batavia, qui a étudié l’aquarelle avec Fredericus van Rossum du Chattel - auteur de l’ensemble d’aquarelles titré ‘Mooi Indië’ qui a donné l'origine au terme, aujourd’hui associé aux paysages de style colonial.
On peut également admirer quelques œuvres de Theo Meier, Arie Smith ou Leo Eland, tous les trois fascinés par la lumière tropicale et les sujets exotiques. Mais on trouve aussi Pura, 1979, un temple Balinais par S. Sudjojono, l’auteur de la critique anti-Mooi Indië, ainsi que des œuvres au style magique-décoratif de Widayat, qui fait appel à des éléments et motifs traditionnels et de Srihadi Soedarsono, qui dans un expressionnisme abstrait véhicule des valeurs philosophiques ancrées dans la culture javanaise.
L’exposition est précédée d’une frise chronologique sur l’histoire de l’art en Indonésie. Elle débute avec l’arrivée, au 16ème siècle, d’artistes peintres et dessinateurs européens chargés de cartographier le territoire des Indes Orientales et de documenter la faune, la flore, les natifs et leurs temples pour en faciliter l’exploration. Elle se concentre ensuite sur la fin du 19ème et le 20ème siècle survolant les publications, expositions, groupes d’artistes et tendances qui ont marqué l’histoire de l’art dans l’archipel.
Autant de fragments de l’histoire de la peinture Indonésienne qui retracent des dynamiques historiques complexes allant de l’appropriation au rejet des nouveautés artistiques européennes, en passant par l’éveil d’une conscience nationaliste non sans conflits idéologiques. Une jolie exposition qui rappelle que la peinture et notamment le paysage sont une expression importante dans le processus d’appropriation du territoire et dans la formation de l’idée de nation.
Si l’envie vous prend de découvrir Solo, ses palais, ses temples et ses batiks, et en bonus cette belle exposition, vous ne serez pas déçus !
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