La Turquie attire chaque jour de plus en plus d’expatriés. Malgré les multiples modes d’obtention du permis de séjour et des possibilités de naturalisation, l’achat d’un bien immobilier est le moyen le plus coûteux, mais le plus sûr, pour résider en Turquie.
En vertu de la loi n° 6458 relative aux étrangers et à la protection internationale (article 31, §1, b et § 2), les étrangers qui possèdent un bien immobilier en Turquie peuvent obtenir un permis de résidence pour 2 ans renouvelables. Attention, avec l’ordonnance du ministère de l’Intérieur de juin 2022, certains quartiers ont été fermés aux premières demandes de permis de séjour. Donc si vous achetez un bien situé dans un de ces quartiers, vous ne pourrez pas obtenir de permis de séjour.
De même, en vertu de l’article 20 de la Directive n° 2010/139 relative à la Nationalité Turque, les étrangers qui acquièrent un bien immobilier d’une valeur d’au moins 400 000 dollars américains (ou l’équivalent dans une autre devise que la livre turque) peuvent obtenir la nationalité turque, et cela sans condition de résidence minimum préalable.
L’achat d’une maison ou d’un appartement apporte donc de nombreux avantages aux acheteurs étrangers. Néanmoins, il serait opportun de bien connaître les enjeux et les conséquences avant d’acheter un tel bien immobilier.
Contrairement à la France, les ventes de biens immobiliers en Turquie se font seulement par le biais d’une passation d’acte de propriété devant le cadastre compétent territorialement, selon l’adresse du bien immobilier à acquérir. Bien qu’une nouvelle loi octroie cette même compétence aux notaires (Article 61/A de la loi sur le notariat, amendé par la loi n° 7413), celle-ci rentrera en vigueur seulement en janvier 2023. Actuellement, les notaires turcs n’ont pas encore le droit, ni les moyens matériels, pour céder des titres de propriété.
La procédure d’acquisition d’un bien immobilier en Turquie peut être divisée en 5 étapes :
. Le choix du bien immobilier
. La demande de rapport de valorisation du bien
. La demande de la vente du bien
. La passation de l’acte au cadastre et l’impression du nouveau titre de propriété
. Les tâches administratives post-achat
Le choix du bien immobilier
La première étape consiste à choisir la maison idéale par le biais des annonces publiées sur les sites internet tels que sahibinden.com ou encore hurriyetemlak.com. Les vendeurs professionnels, comme les particuliers ont accès à ces sites d’annonces. Il est fréquent que les annonces soient publiées par les agents immobiliers eux-mêmes (en turc "emlakçı", même si "emlak danışmanı" – conseiller en immobilier – est le terme plus à la mode ces temps-ci…).
Bien que de nombreux acheteurs travaillent avec des agents immobiliers, il faut savoir que ces derniers proposent en principe seulement les biens de leur portefeuille. Or si le travail d’un agent immobilier est de trouver le bien idéal pour l’acheteur (son client), l’agent devrait également proposer des biens pour lesquels il aurait le risque de partager sa commission…
En pratique, les agents immobiliers aiment "s’octroyer" la gestion exclusive d’un bien immobilier. Il arrive également que les propriétaires n’accordent pas d’exclusivité à un seul agent, dans le but d’augmenter leurs chances de vente.
En dehors de l’aspect commercial et du talent de marketing des agents immobiliers en Turquie, nombre de ceux-ci manquent de professionnalisme et de connaissance en langues étrangères. En effet de nombreux agents ne connaissent pas forcément les détails en lien avec le bien qu’ils commercialisent, comme notamment les charges mensuelles, si le bien est une œuvre classée, le montant du cadastre annuel (impôt foncier), ou encore le montant des factures de consommation comme le gaz ou l’électricité.
Il est donc très important d’effectuer des recherches sur le bien proposé à la vente, de se renseigner sur une éventuelle hypothèque sur le bien, connaître l’identité des propriétaires (si ces derniers n’ont pas de tuteurs -ce qui peut arriver après un décès où l’héritier, co-propriétaire du bien, n’est pas majeur ou bien s’il est handicapé).
Dans le but d’éviter tout malentendus, il est fortement conseillé de signer une promesse de vente (entre parties ou bien devant le notaire – dans ce cas-là, il faut payer des droits aux notaires) avec le vendeur et l’agent immobilier. En effet cette promesse viserait à identifier les parties et leurs renseignements personnels, l’adresse exacte du bien à acheter, le montant de la caution à payer, le moyen de paiement des droits de cadastre (ces droits s’élèvent à 4% du prix de la vente – à noter qu’il arrive fréquemment que le vendeur fasse payer l’entièreté de ces droits à l’acheteur).
La demande de rapport de valorisation du bien
Une fois que vous aurez choisi la maison de vos rêves, et que vous aurez serré la main du vendeur, si vous n’avez pas la nationalité turque, vous devrez faire appel à un expert qui valorisera le bien à l’acquéreur. En effet le but est de protéger les étrangers lors des achats, d’empêcher les vendeurs de vendre aux étrangers des biens survalorisés.
La demande de ce rapport de valorisation du bien se fait sur le site internet "web-tapu" (accès grâce au code "E-devlet"). C’est au vendeur de faire la demande. Une fois celle-ci faite, le vendeur doit payer le prix du rapport, qui s’élève à environ 3 000 TL (une somme en principe prise en charge par l’acheteur étranger). Le système propose une liste conséquente d’experts, et vous pouvez choisir celui que vous souhaitez. L’expert désigné se présentera à l’adresse du bien à vendre, prendra des photos, puis visitera les archives du cadastre compétent pour ensuite rédiger un rapport. Une chose est sûre, le prix de vente mentionné ne peut pas être inférieur au prix donné par l’expert. Voici une discrimination face aux étrangers, qui sont tenus de respecter la valorisation d’un expert, alors que les acheteurs turcs doivent seulement respecter le prix minimum désigné par la Municipalité ("rayiç bedel", un prix au moins de 20 à 30 % moins élevé en pratique, par rapport à la valorisation effectuée par l’expert).
La demande de la vente du bien
La demande de la vente du bien se fait également sur le site internet "web-tapu" par le vendeur, qui y insère tous les renseignements relatifs aux parties ainsi que le prix de vente.
Une fois que la demande est acceptée par un officier du cadastre, les parties (acheteur / vendeur) reçoivent un sms en lien avec les droits de cadastre à payer ("tapu harcı"). Ce montant représente donc 4% du prix de la vente du bien. En principe le coût est partagé entre le vendeur et l’acheteur (chacun 2%). Cependant en pratique, les vendeurs font souvent payer cette somme entièrement à l’acheteur. Outre ces droits de cadastre, cette même administration requiert le paiement d’un frais de dossier ("döner sermaye") à partir de 500 TL (frais pouvant aller jusqu'à 2 000 TL, selon les quartiers).
Si la vente devait être annulée, les parties pourraient demander le remboursement des droits de cadastre et des frais de dossier. Cela prendrait en principe 1 mois, et ce serait à l’administration fiscale d’effectuer ledit remboursement.
La passation de l’acte au cadastre et l’impression du nouveau titre de propriété
Une fois que la demande est faite et que les droits de cadastre et de dossier sont payés, les parties reçoivent un sms qui leur notifie un rendez-vous au cadastre compétent où se situe le bien immobilier.
Le "jour j", les parties (ou leur représentant légal) doivent se présenter au cadastre avec l’original de leur carte d’identité (et procuration s’il y a) pour enfin assister à la passation de l’acte. L’officier en charge du dossier les reçoit, leur lit les détails relatifs au bien à vendre, les informe sur l’état des charges, des hypothèques et autres spécificités qui pèsent sur le bien. Le même officier va demander si le paiement du prix a été effectué. C’est au vendeur de confirmer que le paiement a été réalisé. L’administration ne requiert donc pas de preuve de paiement écrit. Ce paiement peut être fait en liquide, par virement ou par chèque. En pratique, sachant que les montants sont conséquents, il est plus judicieux de prévenir sa banque pour qu’elle prépare les sommes à transférer.
Lors du virement bancaire, assurez-vous bien de mentionner dans la catégorie "commentaires", les détails du bien à acheter, le nom de l'acheteur, n° de parcelle, etc.
Une fois que le contrat de vente est signé au cadastre devant l’officier, ce dernier imprime l’acte de propriété ("tapu") au profit de l’acheteur. Cet acte contient les coordonnées cadastrales du bien, mais aussi le nom du nouveau propriétaire.
Un exemple de tapu
Attention, si l’acheteur n’est pas turc, en vertu du circulaire n° 2022/1 du ministère de l’Environnement et de l'Urbanisme, les paiements directement en devise (euro, dollar) sont interdits. C’est alors que l’acheteur étranger doit d’abord (sauf exception) transférer son argent en devise étrangère sur son compte en banque en Turquie (par exemple en euro), puis exiger de sa banque de vendre les devises à la banque centrale, qui va ensuite délivrer un certificat de "vente prise de devise" ("döviz alim belgesi" – DAB). Lors de la passation de l’acte auprès du cadastre, ce dernier exigera ce certificat donné par la banque centrale turque, et en outre, demandera la preuve du virement bancaire du prix de vente au vendeur en livres turcs (TL). L’acheteur doit donc prouver ces 2 documents (reçus) pour effectuer la passation de l’acte. Cela garantit d’une part à la banque nationale une entrée de devises étrangères en liquide, et d’autre part, empêche les ventes fictives où notamment, un membre de la famille pourrait vendre son bien à un autre membre de sa famille sans pour autant recevoir de l’argent…
Les tâches administratives post-achat
Suite à l’achat d’un bien immobilier, l’acheteur doit enregistrer le bien en son nom auprès de l’administration communale ("belediye"). En effet c’est cette déclaration qui sera prise en charge pour le paiement de l’impôt foncier annuel. Cet impôt doit être payé tous les ans, aux mois de mai et de novembre (à noter que si le bien immobilier est classé, le propriétaire est exonéré de l’impôt foncier).
En conclusion, on peut constater que, contrairement à d’autres pays, la vente d’un bien immobilier en Turquie se fait assez vite. Par contre, cette célérité peut comporter des risques pour les acheteurs comme pour les vendeurs. Il est donc essentiel de ne pas sauter d’étapes et de bien rédiger les documents juridiques nécessaires pour la protection des deux parties.
Ihsan Osman Yarsuvat, Avocat au Barreau d’Istanbul
www.yarsuvatlegal.com / ioy@yarsuvatlegal.com
Osman vous propose une rubrique juridique régulière, grâce à laquelle vous pouvez trouver des réponses aux questions que vous vous posez sur vos droits en Turquie.