Sans se définir comme un artiste, Sébastien Tayac est l’une des figures incontournables de la scène artistique de Chiang Mai et un homme aux multiples casquettes: historien, professeur, curateur et auteur.
Originaire d’Albi dans le sud de la France, Sébastien Tayac posé ses valises à Chiang Mai en 2003, une ville où il est arrivé un peu par hasard mais qu’il n’a plus jamais quittée. Historien et historien de l’art, professeur d’histoire de l’art au département des Beaux-arts de l’université de Chiang Mai, curateur, conseiller culturel de l’Alliance française, et auteur de plusieurs publications sur l’art en Thaïlande, Sébastien accumule les casquettes.
Le meilleur endroit pour le rencontrer est lors des vernissages. Le quadragénaire n’en manque pour ainsi dire aucun et surtout pas ceux de la galerie Seescape. Ami de longue date avec le propriétaire des lieux, l’artiste Thaïlandais Torlarp Larpjaroensook, Sébastien a vu le lancement de la galerie en 2008. Il a cru plus d’une fois qu’ils devraient fermer le lieu, avant de devenir curateur de la galerie en 2013.
C’est d’ailleurs à Seescape, sa deuxième maison, que Lepetitjournal.com a rencontré le Français pour revenir sur son parcours, son arrivée à Chiang Mai et son exploration de plus de 600 temples.
LEPETITJOURNAL.COM: Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
SEBASTIEN TAYAC: Je suis originaire d’Albi, j’ai étudié l’histoire et l’histoire de l’art à Bordeaux. Au cours de mes études, je me suis toujours intéressé à la place de l’homme dans l’oeuvre d’art, quitte à mettre l'œuvre de côté. Avant de m’intéresser au bouddhisme, j’ai travaillé sur la peinture symboliste du 19ème siècle, je voulais voir ce que les peintres symbolistes, que l’on décrit comme des gens décalés de la société, pensaient de la société ou de la politique et ce que le politicien pensait de l’art. J’aime inverser les perspectives. En général, on demande aux politiciens ce qu’ils pensent de la politique et aux artistes ce qu’ils pensent de l’art, mais il y a peu de croisements.
Pour me définir, je suis historien et historien de l’art, professeur aux Beaux-arts, et curateur, il m’est déjà arrivé de réaliser des oeuvres. Pour autant, je ne me considère pas comme un artiste. Je dirais que je suis multicasquette et, en même temps, quand les gens me demandent ce que je fais, la première réponse qui me vient est : je ne sais pas!
Qu’est-ce qui vous a amené en Thaïlande ?
Une amie qui était en stage en Thaïlande m’a dit que des gens cherchaient un tuteur pour leur fille. J’ai accepté et j’ai fait ce boulot pendant un an avant d’entamer ma thèse de doctorat.
À la base, je n’étais pas spécialement tourné vers l’Asie. À Bordeaux, il y a une forte communauté de gens d’Amérique du Sud, j’étais donc plutôt censé partir là-bas. Après ce sont les opportunités qui peuvent influencer. Dès mon arrivée à Chiang Mai, j’ai rencontré Louis Gabaude et c’est un peu lui qui m’a orienté pour ma thèse “La commande des peintures bouddhiques dans les monastères de la province de Chiang Mai”.
Pour cela, j’ai visité 600 temples, j’ai une base de 25.000 photos de peintures murales dans les temples prises entre 2005 et 2010! Des fois, je me dis que cela m’intéresserait de retourner visiter certains temples pour voir ce qu’ils sont devenus parce que l’un des problèmes, c’est la destruction.
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Dans le christianisme, il faut garder ce qui est ancien alors que dans le bouddhisme, étant donné qu'il faut faire des offrandes pour avoir des mérites, quand un temple est fini, il arrive qu’on le détruise pour pouvoir faire de nouvelles offrandes. En un sens, le tourisme, s’il peut avoir des aspects négatifs, a aussi des effets positifs dans la préservation de certains temples ou certaines peintures murales. Aujourd’hui, circule cette idée qu'il faut avoir des peintures ou des atouts particuliers pour attirer les visiteurs et se différencier.
Pourquoi avez-vous choisi de vous installer à Chiang Mai ?
Avant de venir en Thaïlande, j’ai passé trois mois en Inde. J’y ai rencontré un gars qui voyageait beaucoup et qui m’a dit : “fais attention parce que Chiang Mai à la réputation d’être une ville dont on ne revient pas”. Et c’est vrai que c’est une ville où l’on reste toujours plus que prévu!
Tout en faisant ma thèse, j’ai commencé à enseigner l’histoire au département de français de l’université de Chiang Mai et pendant un an aux Beaux-arts. Ensuite j’ai arrêté pour terminer la rédaction de ma thèse, je suis rentré en France pour la présenter en 2010 puis juste après je suis revenu ici et pendant deux ans, j’étais professeur invité aux Beaux-arts avant de passer à temps plein en 2013. Cela fait 7 ans que j’y suis et a priori je peux y rester jusqu’à ma retraite, je suis donc un fonctionnaire thaïlandais.
Quelles différences y a-t-il entre enseigner en Thaïlande et en France ? Dans quelle langue enseignez-vous ?
J’essaye d’enseigner en thaïlandais tout en gardant un accent chantant. Louis Gabaude m’a donné des cours de thaïlandais, il a abandonné l’idée de modifier mon accent!
Je n’ai jamais enseigné en France. En fait, je n’avais jamais pensé à être enseignant avant de venir, cela me semblait quelque chose de difficile, c’est beaucoup de responsabilités comme de mettre des notes. Je n’aime pas noter des oeuvres, je vais plutôt évaluer le concept, la manière dont l’étudiant à développer son idée, les recherches qu’il a fait, etc.
Quand on enseigne, il n’y a pas vraiment de manuel. La première année, on essaye ensuite on change. La perception de l’enseignement c’est qu’il y a le professeur qui donne et l’étudiant qui reçoit, ce n’est pas vraiment naturel pour les étudiants de poser des questions, c’est pourtant possible, mais c’est à l’enseignant de mettre des choses en place.
Vous êtes également curateur à la galerie Seescape, comment à démarré cette collaboration ?
À la base, c’est une relation amicale. Je connais Torlarp Larpjaroensook, le propriétaire, depuis 14 ou 15 ans. À l’époque, ce n’était pas la même galerie que maintenant et Torlarp n’était pas encore l’artiste connu qu’il est aujourd’hui. Quand il a ouvert Seescape il y a 12 ans, nous discutions beaucoup. J’étais un peu en arrière et puis à un moment il m’a poussé devant. Puis en 2013, il m’a demandé de devenir curateur. Pour chaque exposition, nous discutons beaucoup, ce qui est bien c’est que Torlarp va plutôt vers des oeuvres lumineuses tandis que je suis plus sombre et donc, au final, il y a une complémentarité qui se reflète dans la variété des expositions que nous proposons.
Nous avons passé la quarantaine tous les deux, et je pense qu’il serait temps de faire un ouvrage sur Torlarp. C’est intéressant parce qu’il est artiste et propriétaire d’une galerie qui, sur les 5 premières années, n’a pas vendu une seule oeuvre. Et en même temps, il n’a jamais privilégié un rôle par rapport à l’autre.
Vous faites également partie du nouveau comité de l’Alliance française de Chiang Mai ?
C’est tout nouveau en effet. L’Alliance française (AF) n’est pas encore officiellement autonome et donc moi non plus. Actuellement, je suis conseiller et ce qui m’intéresse particulièrement c’est de mettre en place toute la partie culturelle. Il y a une nouvelle salle d’exposition, il faut la dynamiser. Jusqu’à maintenant, l’AF était sous la coupelle de Bangkok. Mais avec le développement de Chiang Mai, l’accroissement de la communauté francophone à Chiang Mai, c’est une bonne chose que l’AF devienne plus indépendante. Il se passe beaucoup de choses à Chiang Mai, c’est une ville qui a explosé ses dernières années, une ville tiraillée entre le monde contemporain et ses traditions.