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L. Gabaude: "Nous vivons sur une arnaque intellectuelle depuis le 19e"

Louis Gabaude bouddhismeLouis Gabaude bouddhisme
Catherine Vanesse - Louis Gabaude dans les jardins de l’École française d’Extrême-Orient de Chiang Mai qu'il a dirigée de 1995 à 2005
Écrit par Catherine Vanesse
Publié le 5 octobre 2020, mis à jour le 14 mars 2024

Spécialiste du bouddhisme theravada d’Asie du Sud-Est, Louis Gabaude vit depuis 50 ans en Thaïlande, et plus précisément à Chiang Mai. Érudit, chercheur, passionné, Louis Gabaude est surtout un passeur d’histoire. 

Par où commencer lorsqu’il s’agit de présenter Louis Gabaude ? Installé en Thaïlande depuis 1970 et depuis 1973 à Chiang Mai, Louis Gabaude est, pour beaucoup, LE spécialiste français du bouddhisme theravada d’Asie du Sud-Est. Originaire du Tarn, né en 1942 à Burlats, Louis est l’auteur de nombreuses publications sur le bouddhisme. Diplômé de l’Institut Supérieur de Théologie des Religions de Paris, de l’École Pratique des Hautes Études en section Sciences historiques et philologiques, titulaire d’un doctorat en études indiennes ayant pour titre "Introduction à l'herméneutique de Buddhadasa Bhikkhu", Louis Gabaude peut être qualifié de véritable érudit, même si en toute modestie, il tente de réfuter ce terme. 

C’est d’ailleurs avec une simplicité désarmante que le chercheur évoque les raisons qui l’ont poussé à venir s’installer en Asie, qu’il décrit le bouddhisme d’aujourd’hui et son influence sur la politique ou encore qu’il compare le christianisme et le bouddhisme. Peu importe les sujets abordés, leur complexité, c’est comme si d’un coup tout devenait plus clair et puis au détour d’une phrase, il confie qu’il a sorti quelques chansons dans sa jeunesse et que dans un même temps, il refuse de citer les langues qu’il maîtrise. 

Lepetitjournal.com/chiang-mai a rencontré, Louis Gabaude pour tenter de connaître un peu plus celui qui fût le directeur du Centre de l’École française d’Extrême-Orient de Chiang Mai de 1995 à 2005 et de sa bibliothèque jusqu'en 2007. Il a par ailleurs été l'un des fondateurs de l’Informal Northern Thai Group, un club qui organise des réunions tous les mois autour de différents sujets. 

Qu’est-ce qui vous a amené à quitter la France ?

Quand je revois mon passé, il y a plusieurs choses qui m’ont marqué sans que je ne me rende compte à l’époque. Mon père était un fils de paysan, né en 1900, il a évité la guerre de 1914. En 1920, il a dû faire son service militaire et il a été envoyé en Allemagne. Plus tard, il répétait souvent "que quand on a 20 ans, il faut quitter la France" parce qu’on n’en revient pas le même. Je trouvais cela assez extraordinaire de sa part puisqu’aujourd’hui, il y a beaucoup de Français qui ne veulent pas lever leurs fesses de la France! Et c’est vrai que l’on ne revient pas le même, moi qui suis parti à l’étranger, je confirme, on change. 

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Louis Gabaude en 1965 à Paksane au Laos

J’ai eu 20 ans en 1962, à l’époque de Gaulle venait de terminer la guerre d’Algérie et comme il avait des jeunes gens beaux et vigoureux, il a copié John Kennedy qui avait créé le Peace Corps en permettant à de jeunes diplômés de partir dans un pays du tiers monde. À l’époque, je voulais aussi devenir missionnaire, et j’ai finalement opté pour ce type de volontariat. J’avais proposé trois pays : l’Algérie, pour essayer de comprendre ce qui s'était passé, le Pérou parce que j’étais passionné de civilisation précolombienne et les pays de l'ancienne Indochine. 

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J’ai finalement été envoyé en Asie en 1964. J’ai enseigné pendant deux ans au Laos, à Paksane, en aval de Vientiane, et cela a été marquant pour la suite. J’aimais bien marcher pour prendre des photos, j’ai assez vite commencé à baragouiner le lao ce qui me permettait d’avoir des conversations avec les novices et les bonzes dans les monastères bouddhiques. C’est comme cela que j’ai commencé à avoir des contacts avec les bonzes et donc le bouddhisme. 

Qu’avez-vous fait après ce séjour au Laos ?

À mon retour à Paris, je me suis inscrit à l’École Pratique des Hautes Études pour préparer un diplôme d’études des religions, sans encore avoir l’idée d’en faire mon métier. Je suis venu en Thaïlande en 1970. Entre temps, il y a eu une période où je me suis mis à écrire des poèmes, et à composer, chanter et enregistrer des chansons. Naturellement, tout ne tient pas la route dans ce que j'ai écrit! 

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Louis Gabaude à Paris en 1969 alors qu'il enregistre quelques chansons

En 1970, j’ai étudié la langue thaïe et en 1971, je suis retourné au Laos jusqu’en 1973 où je suis revenu en Thaïlande et me suis marié. Je n’avais pas vraiment de compétences particulières, la seule chose que je pouvais faire c’était d’enseigner le français à l’Alliance française de Bangkok. Et puis j’ai atterri à Chiang Mai parce qu'un jeune homme de bonne famille, maintenant écrivain, était coopérant à l’université de Chiang Mai et pouvait tenir des discours aux étudiants qui ne plaisaient pas à la direction de la section de Français. A un moment donné, le conseiller culturel de l’ambassade de France s’est retrouvé avec un coopérant qui lui avait pété dans les doigts. Il s'est donc mis à chercher quelqu’un qui ne dirait pas de conneries en classe. J’ai alors enseigné pendant 6 ans à l’université de Chiang Mai tout en préparant ma thèse de troisième cycle. Et en 1980, j’ai été nommé à l’EFEO.

Combien de livres, d’articles et de comptes-rendus sur le bouddhisme ou la région avez-vous publiés ?

Je n’ai pas écrit beaucoup! Avant ma thèse, j’avais déjà écrit des articles ainsi que des comptes rendus dont certains étaient un peu stupides. Mon professeur nous avait dit d’être sévères. Il nous demandait de démolir un livre sur lequel quelqu’un avait passé des années à bosser dessus alors que nous ne savions rien. Ce n'était pas très malin. Certes, je n’ai pas démoli tout le monde, mais j'aurais pu être plus modéré dans mes formulations. 

Pendant cette période, j’ai écrit “Les cetiya de sable au Laos et en Thaïlande”, un livre sur les rituels des stupas de sable que l’on fait au Nouvel An d'avril. Mon travail a consisté à chercher des textes qui expliquaient ces rites. En sus du lao et du thaï que je connaissais déjà, J’ai donc dû apprendre à lire et à traduire des textes écrits en trois autres alphabets—l'écriture "bouddhique" du Laos ou "tham", l'écriture du Nord de la Thaïlande et l'ancienne écriture khmère des textes bouddhiques de Bangkok. 

La liste des publications de Louis Gabaude

Vous parlez combien de langues ?

Oh, nous n’allons pas parler de cela, je n’en parle pas beaucoup. Mais ce que je regrette, c’est de ne pas en avoir appris davantage comme le khmer vivant et le birman. Aujourd’hui, il y a tellement de choses qui m’intéressent que je ne suis plus assez motivé pour apprendre ces langues, je le fais juste un petit peu pour comprendre l’origine des mots thaïs parce que beaucoup de ces mots viennent du khmer. Cela m’amuse.

Vous êtes un spécialiste des religions et encore plus du bouddhisme et vous nous dites que, plus jeune, vous aviez envisagé de devenir missionnaire: vous considérez-vous plutôt chrétien ou bouddhiste ?

Bouddhiste, non. Chrétien? un mauvais chrétien alors. Mais il y a beaucoup de choses à dire là-dessus. Qu’est-ce que c’est qu’une religion? Je trouve que nous avons vécu sur une arnaque intellectuelle depuis le 19ème siècle. Les religions seraient les seules à consister en des dogmes qui ne sont pas prouvables. Et pour défendre ces dogmes, les religions seraient les seules à utiliser une langue de bois. Effectivement, si vous parlez à un bonze, il va vous donner une réponse de bonze, cela ne va pas être un discours absolument personnel. Si vous posez une question au pape, il ne va pas vous dire de vous prostituer ou de pratiquer l’avortement, il ne peut pas. On considère donc que sa réponse est du préfabriqué sans rapport avec la vie réelle.

Les dogmes, la langue de bois et les rites permettent de structurer et de verrouiller une communauté. L'arnaque intellectuelle, c'est de laisser croire que les mouvements politiques ne fonctionnent pas comme les religions. Ils ont des dogmes ou des valeurs qu’ils prouveront quand ils seront au gouvernement. En général, quand ils arrivent au gouvernement, ils ne les prouvent jamais et parfois font le contraire. Ensuite, comme les religions, ils parlent également un langage de bois. Des mouvements politiques aux francs-maçons en passant par les écologistes, les féministes, etc., tout cela fonctionne sur un mode religieux. Vous avez partout un système de croyances, avec un système langagier qui formule la croyance et la diffuse puis vous avez un système de rites qui permet de distinguer les bons pratiquants des mauvais, et vous avez enfin une police de la pensée qui envoie en enfer. 

Vous avez pris votre retraite de l’EFEO en 2007, pourtant vous y venez encore souvent, quels sont les sujets sur lesquels vous continuez de travailler ?

Je ne viens plus que le mercredi à l’EFEO, mais c’est vrai que je ne m’arrête pas. J’ai travaillé récemment sur le problème de l’ordination chez les bouddhistes. Je dois finir un article là-dessus, mais je trouve toujours autre chose à faire. J’ai aussi promis un article sur l’équivalent des indulgences dans le bouddhisme.

Vous êtes un membre fondateur de l’Informal Northern Thai Group qui organise des conférences tous les mois dans les locaux de l’Alliance française, ces réunions ont été interrompues à cause du Covid-19, vont-elles reprendre prochainement 

Sans doute que cela reprendra quand la situation sanitaire sera stabilisée. C’est difficile de faire sortir les gens le soir, pourtant quand on compare avec la Siam Society à Bangkok, notre Informal Northern Thai Group réunit entre 15 et 70 participants, c’est pas mal pour Chiang Mai. Avec le recul, je me dis que c’est assez incroyable que, sans argent, nous ayons survécu de 1984 à 2020. Au début nous n’y croyions pas. Maintenant à Chiang Mai, il y a davantage de choses qui se passent sur le plan culturel, mais à l’époque, il n’y avait pas grand-chose. 

Quels sont certains des grands changements que vous avez pu observer à Chiang Mai ?

La circulation et la hauteur des immeubles, c’est ce qui saute aux yeux. Lors de ma première visite en 1972, les plus hauts bâtiments n’avaient que quatre étages. Quand mon père expliquait certains changements qu’il avait vus, cela prenait plus de temps: le vélo, l’électricité, la voiture, le téléphone, la radio, la télévision... En Thaïlande, dans les années 1980, quand l’électricité arrivait dans un village, le changement était direct, brusque: du jour au lendemain, les gens avaient une télévision, un frigo, etc. D’une manière générale, ici, ils se sont mentalement adaptés plus vite qu’en France. 

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