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Comment les restaurateurs français à Chiang Mai survivent-ils ?

Un restaurateur français à Chiang MaiUn restaurateur français à Chiang Mai
Catherine Vanesse - Pour Jean-Jacques Thiné, propriétaire et chef au restaurant La Terrasse, la pollution a fait fuir les touristes de Bangkok mais aussi les nomades numériques
Écrit par Catherine Vanesse
Publié le 5 avril 2021, mis à jour le 2 juillet 2021

Pour beaucoup de restaurateurs sur Chiang Mai, l’année 2020 a été une “grosse claque”. Fermeture, ré-investissement, relocalisation, les restaurants français de Chiang Mai n’ont de cesse de devoir s’adapter et patienter

Un peu plus d’un an après la mise en place de l’état d’urgence en Thaïlande pour lutter contre l’épidémie du coronavirus, les restaurateurs français de Chiang Mai tentent vaille que vaille de tenir le coup après des mois de vache maigre. La Thaïlande a commencé à subir les premières conséquences de l’épidémie du coronavirus dès le mois de janvier 2020 avec une baisse du nombre de touristes chinois, suivis un peu plus tard par les touristes occidentaux avant l'arrêt net des arrivées fin mars. 

“Avant le Covid-19, les touristes et en particulier les Chinois représentaient 50% de ma clientèle pendant la haute saison”, confie Jean-Jacques Thiné, propriétaire et chef au restaurant La Terrasse. “Le mois de février était habituellement notre meilleur mois de l’année. En 2020, cela a été le pire mois, nous pouvions sentir que le Covid-19 était à nos portes”, se souvient le sexagénaire. 

Un premier coup dur auquel se sont ajoutées l’interdiction de manger sur place et l’interdiction de consommation d’alcool de la fin du mois de mars 2020 au mois de juin 2020. Après une phase de légère éclaircie, et alors que l'activité commençait à reprendre avec le tourisme local, la découverte d’un foyer épidémique à Samut Sakhon à la mi-décembre 2020 a amené les autorités à remettre en place des mesures restrictives pour plusieurs semaines.

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Selon, l’Association des restaurants et bistrots de Chiang Mai, 10% des restaurants de la province auraient fermé depuis le début de l’épidémie du coronavirus. “La province de Chiang Mai compte à peu près 12.000 restaurants et environ 1.200 d’entre eux ont définitivement fermé”, a indiqué à Lepetitjournal.com Thanit Choomsang, président de l’association et propriétaire du restaurant Goodview. 

Ce chiffre peu sembler relativement modéré compte tenu du brusque ralentissement de l'activité touristique sur plus d'une année, mais la reprise s’annonce lente et lointaine, d’autant que la pollution atmosphérique ajoute ces temps-ci un poids supplémentaire aux difficultés des restaurateurs. 

Lepetitjournal.com/chiang-mai a interrogé plusieurs acteurs francophones dans la restauration, ils font part de comment ils arrivent à gérer cette crise. 

Du jamais vu

Pour Cyril Humez, certainement le plus ancien restaurateur français de Chiang Mai, la situation est clairement exceptionnelle et proche de la catastrophe. “En ce moment, je dois faire en moyenne 15 couverts par semaine alors qu’avant le Covid-19, c’était le nombre que nous avions lors d’une petite journée. Du jamais vu en 18 ans!”, confie le propriétaire du restaurant Franco Thai qui propose une cuisine familiale française. 

Avec une clientèle composée principalement d’expatriés, Cyril enregistrait depuis deux ou trois ans une baisse de fréquentation de son établissement pointant une fuite de ses clients vers d’autres pays comme le Vietnam qui offre des conditions d'accueil de plus en plus avantageuses pour les retraités que la Thaïlande. Il ajoute également que de nombreux expatriés ont dû à un moment donné rentrer dans leur pays et ne sont, à ce jour, pas encore revenus.

“Je pense que certains ne reviendront jamais. En attendant, je survis parce que nous vivons ici (dans les mêmes locaux que le restaurant, ndlr), que nous sommes une petite structure familiale et aussi que j’ai des chambres en location. Sans mes trois locataires, j’aurais fermé”, relate-t-il. 

De son côté, Jean-Jacques Thiné avoue se "prendre la plus grosse claque" depuis qu’il a ouvert La Terrasse. “Depuis nos débuts il y a 12 ans, nous enregistrions une croissance constante. Aujourd’hui je dirais que mon chiffre d’affaires a diminué de 60%, j’espère que nous allons pouvoir tenir bon, car j’ai bien peur que cette année soit elle aussi difficile”, s'inquiète cet ancien comptable reconverti dans la cuisine en s’installant en Thaïlande. 

“Ne pas arriver à vendre Léon de Nimman, cela m’a mis une bonne baffe”, raconte d’emblée Sébastien Bianco. Il y a quatre ans, l’homme originaire de Nice ouvrait son restaurant avec un succès immédiat l'amenant rapidement à une moyenne de 60 à 100 couverts par soir. “À Nimman, notre clientèle provenait à 90 pour cent de touristes. Après le confinement de mars à juin, nous avons essayé de rouvrir en misant sur la communauté locale, mais ce n’était pas suffisant. J’ai tenté de vendre le restaurant, sans succès et du coup, je n’ai pas pu me refaire une trésorerie, c’est une perte sèche", précise Sébastien.

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Hugo Ardisson a perdu gros depuis l'arrivée du Covid-19 en Thaïlande, il espère tenir encore un peu mais le risque d'un retour en France se fait sentir. Photo Catherine VANESSE

Pour Hugo Ardisson, la perte est rude également. Arrivé à Chiang Mai il y a 10 ans, le Monégasque de 36 ans était gérant de cinq guesthouses et de trois restaurants. Aujourd’hui, trois guesthouses sont parties aux oubliettes tandis que les autres sont en sursis, un restaurant est fermé depuis un an, un autre n’a jamais ouvert et le dernier, le Renegade est passé sous le seuil de rentabilité.

“J’ai ouvert le restaurant Ugo il y a 10 ans juste en face de Thapae Gate. Au départ nous servions une nourriture thaïlandaise et internationale. Il y a cinq ans, j’ai pris le virage en direction des touristes chinois, et nous faisions jusqu'à 400 couverts par soir! De plus, j'étais en pleine phase d’investissement avant le Covid-19, nous étions sur le point d’ouvrir un nouvel établissement au début de l’année dernière à côté de la rue Loy Kroh. Pour le moment, je ne sais pas s’il faut arrêter ou continuer à se battre, j’ai 12 millions de bahts qui se sont envolés rien que sur ma part personnelle”, détaille le jeune homme. 

Survivre et s’adapter

Si la période est difficile pour tout le monde -les restaurateurs interviewés enregistrent en moyenne une baisse de 60% de leur chiffre d’affaires-, tous ne sont pas touchés de la même manière, selon la localisation, le type de cuisine, la taille du restaurant ou le public visé. 

C’est ainsi que Jean-Marie Veillard, copropriétaire depuis 2013 du Paris Restaurant, charmant petit restaurant ouvert sur une ruelle de la vieille ville, constate l’arrivée de nouveaux clients dans son établissement, ce qui lui permet de compenser un petit peu l’absence de touristes.

“J’avoue que les touristes commencent à me manquer, on ne s’habitue pas à avoir moins de clients, par contre nous avons beaucoup d’expatriés qui nous ont découverts parce qu’il y a moins de restaurants ouverts! Dans l’ensemble, nous sommes toujours dans le positif, il faut dire que nous n’avons pas trop de charges fixes vu que nous vivons au-dessus du restaurant”, commente le Versaillais.

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Jean-Marie Veillard a peu de charges, ce qui lui permet de tenir. Mais comme pour beaucoup d'autres restaurateurs, il a dû se séparer de certains employés. Photo Catherine VANESSE

De l’autre côté des douves, à l'extérieur de la vieille ville, La Terrasse a profité du confinement pour effectuer des travaux et ajouter un espace “magasin” qui vend des fromages et de la charcuterie à la découpe. “J’avais ce projet en tête depuis longtemps, le Covid-19 a finalement accéléré les choses. Aujourd’hui, cela représente 25% de mon chiffre d’affaires”, précise Jean-Jacques à qui son propriétaire continue d’accorder une réduction de 50% sur le loyer de La Terrasse. Une aide précieuse, selon lui. 

Le Covid-19 a également été propice aux changements pour Thierry et Viviane Holemans, un couple de Belges qui a repris en août 2019 le restaurant French Garden situé dans le quartier de Chiangmai Land. En perte financière depuis plusieurs mois, le couple a décidé d’aménager une salle climatisée pour attirer un public plus thaïlandais et a modifié son menu pour proposer des plats franco-belges qu’on ne trouve pas ailleurs. “Pour moi, je dirais que le restaurant n’est réellement ouvert que depuis le mois de décembre 2020. Après avoir perdu 50.000 bahts par mois pendant un an et demi, depuis deux mois nous sommes à l’équilibre et je pense que d’ici un an je serais rempli tous les jours”, déclare Thierry Holemans avec optimisme.  

Pour survivre dans les crises longues et intenses comme celle du Covid, la gestion de la trésorerie est un élément clé. Pour cela, les restaurateurs cherchent à réduire leurs coûts en obtenant par exemple une réduction exceptionnelle de loyer, en se séparant d'une partie du personnel ou encore en réduisant les horaires d’ouverture.

Frédéric V., gérant du restaurant Link, situé dans le "carré", le choix a été de fermer purement et simplement en mars 2020 en attendant le retour de sa clientèle essentiellement des touristes asiatiques. "En fait, nous perdons moins d'argent en fermant, plutôt que de vivoter", dit le Mazamétain qui avait un restaurant en Chine avant de s'installer en Thaïlande il y a un peu plus trois ans. Il ajoute que les.patrons du Link, qui ont aussi un restaurant à Samui, ont prévu de tenir ainsi jusqu'en décembre prochain.

Olivier Guilmain, chef de cuisine pour Le Bistrot de Chiang Mai n’est ouvert que pour le service du soir : “cela ne sert à rien d’ouvrir le midi. Nous ne faisons pas beaucoup d’argent en ce moment, mais nous n’en perdons pas, le plus important est de ne pas perdre mon affaire, de nous maintenir à flot sans s’épuiser et d’être toujours là lorsque cela redémarrera”. 

Sébastien Bianco a aussi décidé d’investir et de tenter d’ouvrir un nouveau restaurant dans un autre quartier. Son nouveau projet, Peperino, propose depuis le mois de novembre 2020 une cuisine italienne avec quelques classiques qui ont fait le succès de Léon de Nimman dans le quartier de Nong Hoi dans le sud-ouest de Chiang Mai, à Plaza 89. “Je pense que c’est un quartier qui va se développer, un quartier beaucoup plus local et où il y a un grand parking, un élément indispensable pour attirer la clientèle thaïlandaise”, explique le Niçois. 

Marco Arigo a toujours visé une clientèle locale thaïlandaise pour son restaurant Chez Marco. Une stratégie qui lui permet de tenir le coup et de rester optimiste. “Aujourd’hui, nous faisons entre 3 et 80 couverts par jour, avant nous étions entre 50 et 80​, la variation est beaucoup plus grande et imprévisible qu'avant. Le plus difficile, c’est la gestion des produits frais, j’ai dû faire quelques adaptations sur la carte. En ce moment, ce qui nous tue, c’est la pollution, les Bangkokois ne viennent plus”, explique le quadragénaire originaire d’Antibes.

À emporter

Depuis un an, les habitudes de consommation de la population ont changé et la livraison de plats à emporter a explosé. Foodpanda, Grab Food, Lineman sont les principales sociétés à se partager le marché, mais ce sont surtout les acteurs locaux tels que Tuk et Wheels on Wheels qui séduisent les restaurateurs francophones en raison des conditions plus honnêtes. 

“Tout le monde s’est tourné vers la livraison, nous aussi, mais je pense que c’est plus un poids qu’un soulagement. Certaines compagnies prennent des commissions de 30 à 35% et nous mettent la pression pour que nous fassions des promotions, constate Hugo Ardisson. "Au final, nous ne faisons que très peu de marge”. 

Même son de cloche pour le Franco Thai, La Terrasse, Le Bistrot, Peperino, Paris Restaurant ou encore Chez Marco, tandis que le French Garden a jusqu'ici refusé de rejoindre les services de livraison. 

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En pleine crise, Thierry et Viviane Holemans en ont profité pour effectuer des travaux pour cibler un public plus local. Photo Catherine VANESSE

“Depuis le Covid-19, les habitudes ont changé, la livraison a pris de plus en plus de place et est en train de tuer les restaurants tout comme les grandes enseignes de supermarchés qui proposent de plus en plus de produits importés. Donc les clients vont moins au restaurant, ils commandent ou cuisinent chez eux. C’est à nous d’être plus originaux, de proposer des plats plus difficiles à réaliser chez soi”, précise Thierry Holemans. 

Quel futur?

L'année dernière, le nombre de visiteurs étrangers a chuté de 83%, n’atteignant que 6,7 millions de voyageurs contre près de 40 millions en 2019. Entre 3 et 6 millions sont attendus cette année. Une chute vertigineuse qui oblige nombres d'acteurs dépendants de la fréquentation provenant de l'étranger à se tourner vers des consommateurs locaux ou expatriés. Mais pour l'heure, l’annulation récente des batailles d’eau pour les festivités du Nouvel An bouddhique du 13 au 15 avril ainsi que la pollution qui sévit dans le nord de la Thaïlande compliquent les choses. 

La plupart des restaurateurs n'attendent pas la reprise avant juin ou juillet 2021. D’autres, en particulier ceux situés dans la vieille ville, estiment qu'ils devront prendre leur mal en patience encore davatange, cette zone étant encore boudée par les touristes thaïlandais. 

Dès lors, la résilience et la patience restent de mise. Malgré tout, les restaurateurs s’estiment relativement chanceux d’être à Chiang Mai en comparaison avec d’autres provinces de Thaïlande telles que Krabi ou Phuket. Quant à la situation en France : “C’est incomparable, ils ont sans cesse des périodes de fermeture, on ne peut vraiment pas se plaindre”, conclut Jean-Marie Veillard. 

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