Le 14 juillet 2023 à 14h35, l’Inde lançait Chandrayaan-3 à bord d’une fusée LVM-3 depuis le pas de tir du centre spatial Satish Dhawan à Sriharikota, dans l’Andra Pradesh. Objectif de la mission : faire atterrir en douceur un rover sur la surface lunaire. Nous étions dans les gradins.
Le matin du 14 juillet, nous quittons Chennai aux aurores. Nous n’avons pas réussi à réserver l’une des 5000 places disponibles en ligne sur le site de l’Indian Space Research Organisation (ISRO) pour assister au lancement. Mais après tout, il s’agit d’un lancement de fusée : une petite colline ou un bout de terrain dégagé à proximité du pas de tir devrait faire l’affaire.
Sur la route, nous croisons rapidement des cars décorés de grandes bâches qui laissent peu de doute sur leur destination. Nous suivons le mouvement, jusqu’à nous retrouver dans le centre spatial lui-même. Nous décidons de tenter notre chance pour accéder au bâtiment des spectateurs. Nous sommes en avance : si on nous refoule, nous aurons le temps de réfléchir à un plan B.
Un évènement réservé aux Indiens (en théorie)
Le site internet de l’ISRO, lors de la réservation des billets, précisait qu’une Aadhaar card ou un permis de conduire sont nécessaires pour accéder au centre spatial. Nous n’avons pas d’Aadhaar card, mais Fanny a passé son permis de conduire indien.
Nous ne sommes pas les seuls à être venus sans réservation. Thiyagu, notre chauffeur, s’engouffre dans la foule avec nos passeports pour essayer de nous obtenir des billets. Après quelques allers-retours, nous voilà munis du précieux sésame ! L'entrée est gratuite.
Tout heureux, nous continuons à suivre le flot de spectateurs vers le bâtiment de l'ISRO. Mais nous déchantons au niveau du contrôle des billets. Sous une large tente en tissu, un contrôleur méticuleux s'interroge sur notre nationalité : l'intérieur du centre spatial n'est, nous explique-t-on, accessible qu'aux Indiens. Nos cheveux clairs et notre accent français nous empêcheront-ils d’assister au lancement ? Le contrôleur appelle des renforts. Nous assurons, FRRO en main, que nous vivons à Chennai. Fanny brandit son permis. Nos passeports sont looonguement inspectés. Après un bon quart d'heure et quelques selfies, le contrôleur en chef nous sourit : on peut passer !
À 3 heures de route de Chennai : le Centre spatial Satish Dhawan
Le centre spatial Satish Dhawan est le principal centre de l'ISRO pour les lancements spatiaux. Il est situé à Sriharikota, une île bordée par le lac Pulicat, dans l'Andhra Pradesh, à 3 heures de route de Chennai. C'est depuis ce centre que l'Inde procède au lancement de ses missions spatiales : satellites, sondes et missions vers Mars ou, comme aujourd’hui, vers la Lune.
Du centre lui-même, nous ne verrons pas grand-chose. Le bâtiment où nous porte la foule abrite un petit musée, où est détaillé le programme spatial indien à l’aide de panneaux et de nombreuses maquettes. À l'entrée, quelques vendeurs de souvenir occupent deux ou trois tables couvertes de casquettes et de porte-clés. De grands escaliers permettent d’accéder aux gradins.
Le centre de contrôle et le pas de tir sont à quelques centaines de mètres de là. Depuis les gradins, on aperçoit les dispositifs de fixation de la plateforme de lancement au-dessus des arbres.
Chandrayaan-3 - La troisième mission lunaire de l'Inde
Après un contrôle de sécurité relatif, nous nous retrouvons à l’intérieur, au milieu de nombreux écoliers et de familles venues assister à ce lancement très médiatisé.
Un professeur, qui enseigne dans une école publique de Chennai, nous explique à quel point ses élèves sont impatients. D’autres enfants, parfois très jeunes, viennent de loin, de Pondichéry, du Keralam ou du Karnataka.
C’est que Chandrayaan-3 (littéralement : « véhicule lunaire » en sanskrit) était attendue. Il s’agit de la troisième mission lunaire indienne, après Chandrayaan 1 et 2. En 2019, la composante la plus spectaculaire de la mission Chandrayaan-2 : l'atterrissage sur la surface lunaire, avait échoué. Aujourd'hui, après 4 années de travail, Chandrayaan-3 est finalement prêt à décoller, transporté par la fusée LVM-3 (Launch Vehicle Mark 3). Le rover doit atterrir sur le pôle Sud de la Lune, une région très importante pour l’exploration lunaire car possiblement riche en glace d’eau.
14th July 2023 will always be etched in golden letters as far as India’s space sector is concerned. Chandrayaan-3, our third lunar mission, will embark on its journey. This remarkable mission will carry the hopes and dreams of our nation. pic.twitter.com/EYTcDphaES
— Narendra Modi (@narendramodi) July 14, 2023
Voir décoller une fusée : beaucoup d’attente pour une minute intense
Nous sommes en fin de matinée. Le lancement est prévu à 14h35. Les spectateurs se répartissent en deux catégories : les pragmatiques qui s’installent dans la fraicheur du bâtiment pour s'allonger ou manger en attendant le lancement, et les impatients, dont nous sommes, qui préfèrent gagner directement les gradins pour s’assurer de bonnes places. Par réflexe, nous nous asseyons tout en haut, pour avoir une bonne vue sur ce que nous identifions au loin comme la zone de lancement. Mais le pas de tir lui-même est masqué par la végétation, et on voit certainement tout aussi bien d’en bas.
Les gradins sont en plein air, et nous attendons sous un soleil vif. Beaucoup sont munis de larges parapluies colorés pour se créer un coin d'ombre, mais nous n’en trouvons pas sur le petit marché qui se tient au bas des gradins. Des cartons au-dessus de nos têtes et beaucoup de crème solaire feront l’affaire. Des fontaines à eau sont mises à disposition, vite vidées.
Les gradins se remplissent. Des écrans géants diffusent des images du pas de tir et de la fusée. Des animateurs tentent de nous apprendre à faire la ola.
Régulièrement, ils tendent leur micro à des élèves. Les enfants déclinent leur identité : leur nom, leur âge, le nom de leur école, la ville d’où ils viennent, et partagent avec enthousiasme leur passion pour l'espace et leur fierté d'être là pour assister au lancement de Chandrayaan-3. Aujourd’hui, c’est le first launch de Sita, 8 ans, mais déjà le second launch de Harish. Seema, 13 ans, vit aux États-Unis mais est revenue pour l'occasion. Harvansh, 11 ans, est fier de son pays ; il espère qu’après avoir exploré la lune, l'Inde se rendra sur Mars, et peut-être un jour ira explorer un trou noir.
L’heure H approche. 10 minutes avant le lancement, les gradins sont bondés. 10 000 personnes s’y massent. À l’instigation des animateurs, le public se met à hurler Bharat Mata Ki Jai : « victoire de la mère Inde », et ISRO ISRO !, avant de débuter le compte à rebours, qui apparait désormais en chiffres géants sur les écrans.
5, 4, 3, 2, 1 ! Sur les écrans, le pas de tir s’enflamme. La fusée LVM-3 s’élève doucement. Au-dessus des arbres, nous la voyons décoller en direct. Le feu sous les réacteurs est éblouissant, le sol tremble, et la fusée continue à monter dans le ciel, étonnamment lentement. Dans les gradins, l’excitation est à son comble et les applaudissements fusent.
Si tout se passe bien, le 23 aout, le rover atterrira en douceur sur la surface lunaire.
Jusqu'à présent, seuls trois pays : les États-Unis, la Russie et la Chine, ont réussi un atterrissage sur la Lune.
Chandrayaan-3 Mission:
— ISRO (@isro) July 25, 2023
The orbit-raising maneuver (Earth-bound perigee firing) is performed successfully from ISTRAC/ISRO, Bengaluru.
The spacecraft is expected to attain an orbit of 127609 km x 236 km. The achieved orbit will be confirmed after the observations.
The next… pic.twitter.com/LYb4XBMaU3