Cette semaine, M. Cinéma a participé au doublage d'un film tamoul ! L'occasion de s'intéresser à l'industrie du doublage, particularité du cinéma indien, qui doit composer avec la multitude de langues parlées dans le sous-continent.
L'Inde compte plus de 20 langues officielles. Celles du Sud, dravidiennes, n'ont aucune base commune avec celles du nord. Du coup, le cinéma s'adresse non pas au milliard et demi d'habitants que compte l'Inde, mais à une portion d'hindiphones, tamoulophones ou autres.
Tourner en plusieurs langues pour toucher un plus vaste public
D'où le développement de studios dans chacune des grandes capitales régionales et linguistiques. Ainsi, Tollywood produit le cinéma du Telangana et de l'Andhra Pradesh dont la capitale conjointe est Hyderabad. Ce cinéma a particulièrement le vent en poupe avec deux énormes succès récents : Baahubali et surtout RRR, couronné récemment par un Golden Globe et par l'Oscar de la meilleure musique originale.
À Chennai, ce sont les studios de Kollywood qui diffusent un cinéma en tamoul. Cependant, ces films, pour gagner une audience plus large, sont souvent tournés en plusieurs langues. Dans ce cas, les acteurs peuvent se doubler eux-mêmes. Pour les versions les plus raffinées, les inscriptions dans les films (panneaux, noms sur les bâtiments...) changent selon le public concerné.
Le sous-titrage : une fausse solution
Il ne faut pas oublier qu'une grande partie du public n'est que faiblement alphabétisée, et que les sous-titres ne sont pas toujours la solution. Plus exactement, les différentes langues indiennes ne reposant pas toujours sur le même alphabet, une personne peut parler couramment une langue sans être alphabétisée dans la langue de sa région de résidence. Elle ne peut donc pas forcément lire de sous-titres, ou pas assez rapidement pour suivre l'histoire confortablement. On pourrait ici parler d'analphabétisation relative.
Les films sont donc souvent sous-titrés en anglais pour les ressortissants d'une autre province (et c'est tant mieux pour les étrangers !)
Le doublage : une industrie florissante
Depuis les années 2000, le doublage est devenu une activité florissante grâce notamment aux progrès dans le numérique. Les ingénieurs du son ont affiné leur spécialité et recalibré les voix ou les ont modifiées le cas échéant pour correspondre au personnage. Les doubleurs, eux, ne doublent plus forcément un artiste, mais plusieurs, en fonction du sujet ou du personnage. Le milieu s'est modernisé, et même syndicalisé. Doubler en Inde est aujourd'hui un métier reconnu, voire recherché.
Ainsi, le doublage est une véritable industrie, et ce pas seulement pour les films étrangers. C'est dans ce cadre que Greg le cinéphage a eu la grande joie de passer une matinée à doubler dans un film tamoul.
Monsieur Cinéma l'a interrogé.
Greg le Cinéphage doubleur de films !
Monsieur Cinéma : Bonjour Greg le cinéphage, peux-tu nous raconter comment s'est passée ta matinée de doublage ?
Greg le Cinéphage : Bonjour Monsieur Cinéma ! C'est grâce à une amie que l'on m'a contacté pour doubler un personnage français dans un film tamoul. On m'a d'abord demandé d'envoyer un échantillon de ma voix pour vérifier que je correspondais bien au personnage (a priori un homme adulte de plus de 40 ans). Une fois approuvé, j'ai été convoqué un samedi, de bon matin, dans un studio de doublage à Chennai. Il y en a beaucoup apparemment dans la ville et ils ne sont pas forcément très visibles.
Après avoir pas mal attendu, je suis entré dans le studio. Il s'agit d'une salle insonorisée avec un pupitre et un gros micro, un écran de cinéma de petite taille à quelques mètres en face et les ingénieurs du son avec leur matériel audio derrière une vitre.
M. Cinéma : Quel personnage as-tu doublé, dans quel film ? Peux-tu nous préciser comment s'est passé le doublage ?
Greg : Je ne sais pas : les ingénieurs du son m'ont dit que le titre n'était pas encore défini, et je n'ai pas pensé à demander le nom du réalisateur. A priori, le nom du film se détermine bien plus tard dans le processus cinématographique. J'ai tourné deux scènes où je doublais un gouverneur français de Pondichéry dans les années 40 qui s'appelle Dupleix. J'avoue qu'au niveau historique cela m'a un peu laissé perplexe.
À ma grande surprise, je n'ai pas eu de script. On m'a donné un papier et un stylo et on m'a fait visionner une première scène où je devais noter ce que je devais dire ensuite. Malgré l'assurance des ingénieurs du son que l'acteur parlait français, il parlait en fait portugais... Cela ne les a pas beaucoup émus de l'apprendre, ils ont eu l'air de penser que c'était pareil.
Puis on m'a passé une deuxième bande-son avec un texte prononcé dans un français approximatif mais compréhensible.
Il n'y avait que quatre courtes répliques, mais j'ai dû les répéter une dizaine de fois chacune pour coller à la durée du mouvement des lèvres et à l'intonation voulue. Le mot le plus éprouvant a été "incroyable", que l'on m'a fait répéter plus de vingt fois avant d'arriver au résultat escompté.
À la fin de la première séquence, on m'a fait écouter le résultat final avec ma voix en français au milieu des dialogues en tamoul.
M. Cinéma : Qu'est-ce que ça a donné ?
Greg : Pas mal, mais je n'arrivais pas à reconnaître ma voix. La deuxième séquence a été un peu différente, car on m'a demandé cette fois-ci de dire des phrases en tamoul sur la base de ce que j'entendais et de les retranscrire phonétiquement avant d'essayer de les dire à une vitesse normale pour un tamoul, mais insensée pour moi. Inutile de vous dire que cette séquence m’a pris bien plus de temps que la précédente et a été particulièrement éprouvante.
Ensuite, on m’a donné rendez-vous plusieurs semaines plus tard pour faire d’autres séquences. Mais, à la date prévue, on m’a contacté pour m’annoncer que "l’autre acteur était revenu" et que l’on n'avait "plus besoin de [mes] services". Avais-je vraiment remplacé quelqu’un temporairement indisponible ou était-ce un moyen poli de m’éconduire ? Je ne le saurai jamais.