Cette semaine, la French Tech a organisé la première édition de “RenAIssance” à l'Université Roumaine-Américaine, un événement qui célèbre l’essor des startups françaises et roumaines dans le domaine de l’intelligence artificielle. L'événement a réuni plus de 450 personnes et a été modéré par Mirel Bran, journaliste au Monde et membre de la French Tech en Roumanie. A travers une table ronde, les intervenants, dont des fondateurs de startups, des investisseurs et des chefs d'entreprise, ont pu partager leurs points de vue et leurs expériences sur les dernières avancées en matière d'IA en Roumanie.
Grégoire Vigroux, président de La French Tech Roumanie et organisateur de l'événement, a pointé le fait que dans la plupart des films ou des romans de science-fiction, l’IA est présentée comme une menace. Et ce n'est pas par hasard si, selon un sondage récent, 70 % des Européens craignent ses dérives. Mais, au-delà des fantasmes, l'IA ne pourrait pas, au contraire, être une opportunité? Depuis la reconnaissance faciale jusqu'aux assistants intelligents, en passant par les voitures autonomes, où en est l’intelligence artificielle aujourd’hui et quel sera son impact sur nos vies privées, nos entreprises et sur l'éducation de nos enfants?
Mirel Bran établit un parallèle avec l’âge de la Renaissance: "l'Europe entière a pu renaître il y a plusieurs siècles grâce à la Renaissance et à ses jeunes talents. Aujourd'hui nous avons affaire à une autre période de "renaissance", mais cette fois ce n'est pas à travers l'art, mais à travers la technologie."
Tiberius Beganu, responsable principal de l'ingénierie logicielle chez Microsoft, est lui aussi très optimiste en ce qui concerne la Roumanie. Selon lui, un écosystème autour de l'IA existe déjà mais il faudrait le renforcer à travers 3 piliers: celui du milieu privé, avec des entreprises internationales comme Microsoft ou des licornes comme UiPath, celui académique, la Roumanie étant dans le top 5 des pays ayant le plus d'étudiants diplômés en STEM (Science, Technologie, Ingénierie et Mathématiques) et enfin le pilier public.
Toujours en ce qui concerne la Roumanie, Oana Craioveanu, co-fondatrice de Impact Hub, fait un constat plutôt pessimiste: seulement 1 % des petites entreprises roumaines utilisent l'IA, et la Roumanie est le dernier pays de la région à attirer des fonds pour les entreprises du domaine de l'IA. Mais, d'un autre côté, il y a des choses qui changent: “pour la première fois j’ai constaté l'arrivée de chercheurs au sein des startups, ce qui, pour moi, est la clé pour créer des entreprises innovantes et perturbatrices.”
Alors que pendant de nombreuses années, la Roumanie a attiré les entreprises occidentales grâce, notamment, à sa main-d'œuvre bon marché, aujourd'hui les choses ont largement changé. Nicolas Boitout, PhD et responsable de programme IA, nous explique: “l'industrie informatique représente désormais plus de 6% du PIB de la Roumanie! C'est véritablement un pays d'ingénieurs. Aujourd'hui, grâce à l'IA, la Roumanie a autre chose à offrir aux entreprises et notamment de nouveaux services digitaux comme l'automatisation, services qui pourront ensuite être vendus à l'étranger. Et cela est propre à la Roumanie! En France, par exemple, il n'y a pas de sociétés comme UiPath ou Druid AI…” Il souligne aussi l’opportunité pour les entreprises de développer des technologies dans le domaine de l’IA spécialement conçues pour la langue roumaine.
D'autre part, selon les données récentes, les Roumains sont les derniers en Europe en ce qui concerne l'indice de numérisation. Pour Ana Maria Stancu, PDG de Bucarest Robots (la première start-up en Roumanie dédiée aux robots humanoïdes et de service) et fondatrice de RoboHub (un centre d'apprentissage dans le domaine de la robotique et de la programmation), en l’absence de compétences numériques de base, toutes les opportunités offertes par la technologie ne sont, pour de nombreux Roumains et pour la Roumanie en général, que des opportunités manquées. C’est pour cette raison qu’Ana Maria Stancu soutient la mise en place d’une éducation numérique qui pourra préparer les enfants et les jeunes à la transformation de la société et du marché du travail sous l'impact des révolutions technologiques. “Même le métier de développeur informatique devra évoluer car il deviendra peut-être obsolète dans quelques années à cause de l’IA et notamment l'arrivée de GitHub Copilot, l'assistant de code développé par GitHub”. D’un autre côté, en ce qui concerne la course vers la numérisation des entreprises, elle clarifie: "l'IA n'est pas une finalité, c'est un moyen pour atteindre un but. Si vous n’avez pas de données pour nourrir une IA, alors vous n’en avez pas besoin. Il faut comprendre la différence entre numérisation et transformation numérique : la numérisation dans une entreprise doit répondre aux besoins des employés et faciliter les processus et ne doit surtout pas être imposée."
Ciprian Bodorescu, chef de produit IA chez Algolia, nous invite à voir les choses sous un autre angle. Selon ses calculs, il y aurait aujourd’hui environ 1000 personnes qui travaillent en Roumanie en tant qu’ingénieurs en machine learning, data scientists ou ingénieurs en intelligence artificielle. Cela représente 1% du total des ingénieurs logiciels en Roumanie. Alors que sur Linkedin, toujours selon ses chiffres, il y a environ 2000 offres d'emploi dans le domaine de l'apprentissage automatique. “Pour combler cette demande il faudrait que 25% des 10 000 ingénieurs logiciels diplômés chaque années se spécialisent en machine learning, data science ou AI. Nous avons donc d'un côté, un besoin énorme d'ingénieurs dans le secteur de l’AI et pas assez de personnes formées. Mais plutôt que d'y voir un problème, on peut y voir une opportunité. Une opportunité pour les startups, et les entrepreneurs d'attirer ces ingénieurs en apprentissage automatique au sein de leurs entreprises et une opportunité pour les investisseurs d'alimenter l’ensemble de l’écosystème." Pour finir, Ciprian Bodorescu rappelle que, même si la Roumanie n'est pas connue pour son marché, c'est un pays riche en talents. "Si le marché est en Europe, aux États-Unis, pourquoi ne pas nouer des partenariats? Nous devons changer notre état d'esprit et mettre à profit nos atouts, pour travailler ensemble!"
En conclusion, Mirel Bran exprime un souhait: créer une nouvelle image de marque de la Roumanie pour définir sa place sur l’échiquier international. Plutôt que Dracula ou le communisme, pourquoi pas la tech ?