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Tous contre la LND aux prochaines élections en Birmanie

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Aux élections générales de fin 2020, ce sera la Ligue nationale pour la démocratie contre tous les autres...
Écrit par Juliette Verlin
Publié le 3 juin 2020, mis à jour le 4 juin 2020

Après les élections de 2015, la Birmanie a souvent été décrite comme le nouvel eldorado commercial d’Asie. Une description enthousiaste qui s’est aujourd’hui fissurée. La croissance économique n’a pas atteint les niveaux espérés, à la fois à cause des atteintes à la réputation du pays suite à la crise des Rohingyas, à cause aussi de la difficulté à commercer avec un pays rongé par la corruption et le clientélisme, à cause enfin de l’incohérence de nombre de mesures gouvernementales qui se contredisent, de la confusion dans la mécanique administrative et de lenteurs procédurières incompatibles avec une économie dynamique, tout cela sur fond de volonté chancelante de vraiment changer la culture des affaires en profondeur. Le pays est à présent cité comme illustration d’un système démocratique dans lequel l’autoritarisme continue à opérer librement.

Une des conséquences est que la redistribution économique tarde à venir, que la pauvreté et la misère sont toujours bien présentent et que les conflits sociaux restent nombreux dans le pays, en grande partie parce que nombre de patrons et de grandes entreprises bafouent la loi… et que le système judiciaire les laisse allègrement faire. Si la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) ne peut être tenue pour responsable de tout cela car cinq ans est peu pour tout changer, son inertie durant ses premières années de pouvoir et même encore aujourd’hui sa faible réactivité, comparées à ses promesses de 2015, la mettent indéniablement en porte-à-faux.

 

Les militaires renforcent leur base électorale dans les campagnes

Un rapport de l’Asia Barometer Survey publié en mai 2020, qui compare les résultats actuels avec son rapport précédent publié en 2015, dévoile que l’opinion publique sur le rôle de la Tatmadaw, l'armée régulière birmane, est clivée. Une base solide de la population continue à soutenir le rôle de l’armée en politique, une base essentiellement composée d’hommes, d’ethnie Bamar (l’ethnie birmane majoritaire), vivant dans les zones rurales, et très religieux. Une nouvelle base de supporters est également en train de grossir : de plus en plus de jeunes attribuent un rôle majeur à l’armée dans la résolution des conflits ethniques. Ces populations, si elles vont aux urnes en novembre, vont peser dans la balance.

Une autre évolution constatée entre le « Myanmar Grappling with Transition : 2019 Asia Barometer Survey Report » et le rapport de 2015 concerne l’opinion publique sur l’autonomie des minorités ethniques. En 2015, une majorité souhaitait une plus grande autonomie des régions, tandis qu’aujourd’hui, moins de la moitié des sondés s’y déclarent favorables, dans un contexte d’intensification des conflits internes et d’un processus de paix dans l’impasse.

 

Beaucoup de Birmans ne croient déjà plus à la démocratie

Le gouvernement a proposé la tenue de la 4ème session de la Conférence de Paix de l’Union – dite Panglong du 21ème siècle - en Juillet 2020, avant le début de la campagne électorale, d’après une déclaration d’U Zaw Htay, porte-parole du bureau du Président. Sachant que la campagne électorale doit officiellement commencer 60 jours avant la date des élections donc a priori au mois d’août ou de septembre. Le gouvernement veut tenir ces discussions en amont afin de permettre aux participants de se mettre d’accord sur le processus de paix à continuer après les élections. Mais pour les partis ethniques désormais bien plus unis – la plupart présenteront un front régional commun lors du scrutin de la fin d’année alors qu’en 2015 c’est la dispersion des voix qui a scellé leur défaite face à une LND pourtant largement minoritaire dans bien des états – le cœur n’y est plus et la confiance est rompue. Ils y voient surtout une manœuvre politique de la LND pour leur mettre sur le dos l’échec annoncé de ces « négociations » qui n’en sont pas vraiment. Lors de la 3ème session déjà, en Juillet 2018, certains représentants des minorités ethniques avaient refusé de venir, considérant les points qui allaient être discutés trop éloignés de leurs revendications.

La méconnaissance du fonctionnement d’une démocratie et du système politique dans son ensemble est également problématique et profite à l’armée et au PDSU, comme le montre l’Asia Barometer Survey, en particulier dans les zones rurales. En résulte une incapacité à participer à la vie politique de façon concernée et sérieuse, et un manque de considération pour le système démocratique. De façon générale, même si la démocratie est toujours largement soutenue par la population, l’intensité de ce soutien a diminué depuis 2015, jusqu’à atteindre l’un des niveaux les plus bas d’Asie du Sud-Est. Un grand nombre de citoyens a une opinion négative de la démocratie et de ses résultats, l’accusant d’être la cause d’une mauvaise situation économique ou de l’incapacité à maintenir l’ordre dans le pays.

 

Les partis ethniques s’organisent et s’unissent localement

Ces données révèlent la fragilité de la base électorale de la LND, et montrent qu’entre le soutien d’une partie de la population à l’armée et l’éclatement annoncé du vote des minorités ethniques, les résultats des élections de fin d’année risquent pour le parti au pouvoir d’être bien moins favorables qu’en 2015.

Comme déjà indiqué, de nombreux partis ethniques minoritaires, déçus du manque de progrès vers leur autonomie régionale, se sont unis pour faire poids aux élections. Dans l’état de Kachin, plusieurs partis représentant la large minorité chrétienne ont entamé une collaboration. Les habitants du Kachin se mobilisent depuis 2011 contre la construction de l’impopulaire barrage de Myitsone, soutenu par la Chine, et qui entraînerait le déplacement d’au moins 15 000 personnes s’il se fait. Les dirigeants Kachin ont déclaré en mars que sans une voix forte au Parlement, ils auront des difficultés à contrer des projets comme celui-ci. Dans l’Arakan, dans le Chin, dans le Shan, dans le Mon des unions similaires sont également constituée ou un cours de négociation. Les partis ethniques ont clairement appris de leur échec de 2015 et du comportement autoritaire et sans concession de la LND dans sa gestion du pouvoir, localement comme au plan national.

 

Le chef d’état-major Min Aung Hlaing candidat à la présidence ?

Le Parti de l’Union, de la Solidarité et du Développement (PUSD) aussi a appris de sa raclée de 2015. Le parti s’attache désormais à consolider sa base sans la prendre pour acquise comme il l’a fait lors des dernières élections générales. U Thein Sein par exemple, sous la présidence duquel la Birmanie a lancé le processus de démocratisation au début des années 2010, a commencé à faire campagne pour le PUSD. En janvier, lors d’un discours devant des milliers de supporters au quartier général du parti, il a déclaré que « à cause du néo-colonialisme, dissimulé sous le terme de démocratie et de droits humains, notre pays est sur le point d’être avalé par les étrangers ». En Février, alors que des manifestants nationalistes démontraient leur soutien envers la Tatmadaw, le chef d’état-major Min Aung Hlaing, numéro Un officiel de l’armée, a reçu une récompense des mains de l’Association des jeunes hommes bouddhistes pour son travail défendant « la race, la langue, [et] la religion ». Plus récemment, de nombreux postes au sein de la hiérarchie militaire ont été renouvelés, dans un contexte de départ à la retraite de Min Aung Hlaing en 2021.

« Il part à la retraite, donc il promeut des gens en qui il a confiance. C’est une tradition de la politique birmane », a expliqué l’analyste politique U Ye Tun. Le chef d’état-major atteint la fin de son mandat l’année prochaine, après l’avoir prolongé de cinq ans grâce à une loi de 2014 autorisant ce renouvellement unique. Une rumeur de plus en plus répandue voudrait que Min Aung Hlaing se présente comme candidat à la présidentielle après le scrutin de fin d’année. Pour réaliser cette ambition, le général devra s’assurer que ses partisans remportent un nombre de sièges suffisants aux élections parlementaires.

 

L’échec retentissant des changements dans la Constitution

Enfin, la dernière tentative en date de la LND de réaliser l’une de ses promesses de campagne s’est soldée par un échec. En mars, le parti de Daw Aung San Suu Kyi a proposé plusieurs amendements à la Constitution, l’un d’eux abrogeant les 25% obligatoires de sièges réservés aux parlementaires pro-armée. Ces 25% offrent à l’armée un fort contrôle sur les décisions parlementaires, puisqu’il faut plus de 75% des voix pour voter un amendement de la Constitution. Cet amendement aurait permis à la LND d’en faire passer d’autres plus facilement, et ainsi de réaliser une seconde promesse de campagne, celle de faire élire la conseillère d’état au poste de présidente du pays. Or, la Constitution actuelle, rédigée en 2018 par le gouvernement militaire de l’époque, précise qu’une personne mariée à un étranger ou ayant des enfants étrangers ne peut accéder à la présidence. Daw Aung San Suu Kyi a eu deux enfants avec son mari britannique.

Sans surprises, cet amendement, et plusieurs autres, ne sont pas passés. Le PUSD et les parlementaires pro-armée, confortés dans leur majorité, les ont rejetés au motif que de tels changements auraient « des conséquences indésirables » qui affaibliraient la fragile « transition » vers la démocratie du pays. Mais au-delà de l’échec attendu de cette réforme, c’est la manière dont elle a été conduite qui laisse des traces. La LND s’est opposée à toutes les réformes autres que les siennes, notamment celles provenant des partis ethniques, choisissant de se les aliéner plutôt que de s’y allier, laissant aussi le PUSD suggérer des changements favorables à ces groupes ethniques dans une manœuvre hautement démagogique mais politiquement efficace puisque le parti conservateur savait que de toute façon la réforme ne passerait pas. Point final, après avoir consacré durant son mandat une bonne partie de son temps et de ses forces à cette réforme de la Constitution vouée d’avance à l’échec au détriment de ce qui était et est toujours la priorité de la population, une amélioration économique et sociale, la LND a fini par renoncer au referendum qui aurait dû être organisé sur les quatre amendements mineurs finalement acceptés car cela coûterait trop cher pour aussi peu.

Cet échec public pourrait être un coup dur de plus pour la LND et son électorat, dans un contexte de chute de la confiance des citoyens envers leur propre poids en politique. Le rapport de l’Asia Barometer Survey montre en effet que depuis 2015, de plus en plus d’habitants sont persuadés qu’ils ne peuvent pas influencer la politique, vote ou pas vote. La pratique du pouvoir, les trahisons morales et le bilan économique mitigé et ambigu de la LND, après cinq années de gouvernement, va plutôt dans leur sens. En fin d’année, plus de 37 millions de citoyens pourront voter dans les quelque 41 000 bureaux de vote du pays, l’occasion de vérifier ce qu’il reste de la démocratie dans un pays qui ne la connaît que depuis peu d’années.

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