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Quel est l’état de la biodiversité en Catalogne ?

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Écrit par Edith Vandenberghe
Publié le 3 mars 2021, mis à jour le 3 mai 2021

Núria Pau est l’une des coordinatrices du rapport sur l’état de la nature en Catalogne, notamment sur la biodiversité. Ce rapport de 50 pages intitulé "Estat de la Natura a Catalunya 2020" est sorti fin 2020 et fait part de ses observations sur les sujets relatifs à la biodiversité, tels que l’état des forêts, des aires agricoles et prairies, des eaux continentales et du milieu littoral et marin.

 

Quel est le principal constat de ce rapport ?

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Nuria Pau est l’une des coordinatrices du rapport sur l’état de la nature en Catalogne / DR

Le constat est plutôt alarmant : on se rend compte que sur les 321 espèces surveillées, nous avons perdu 25% des populations ces 20 dernières années. C’est une tendance généralisée sur toute l’Europe et nous voyons clairement que la Catalogne n’y échappe pas. De plus, si nous regardons les données depuis 1970 dans le monde entier avec l’indicateur commun utilisé par les Nations Unies, le LPI (Living Planet Index), nous observons une baisse de 60%, en ralentissement sur les dernières années. La tendance aurait sûrement été similaire en Catalogne si nous avions des données antérieures.


Pourquoi la biodiversité est-elle si importante ?

Il ne faut pas oublier que l’espèce humaine dépend complètement de son environnement pour survivre. La nature offre des "services écosystémiques" dont nous avons besoin. Notre alimentation va par exemple dépendre de ce que nous allons pouvoir cultiver et ce que nous allons pouvoir cultiver va dépendre des pollinisateurs qui permettent aux arbres fruitiers d’être en fleurs. Un autre exemple, c’est la qualité de l’eau que nous buvons : c’est grâce aux écosystèmes aquatiques que l’eau peut être consommée. Que ce soit ce que nous mangeons, buvons, ou encore l’air que nous respirons, tout dépend du bon état de la nature et de la biodiversité. Le grand public a été longtemps interpellé par le problème du changement climatique, mais en réalité, ce n’est qu’une partie de la crise écologique. Et le déclin de la biodiversité est quelque chose dont nous ne parlons pas assez et qui est au moins aussi important. 


Quelles sont les espèces et milieux affectés ?

Toutes les espèces et milieux ne sont pas affectés de la même façon. Le milieu aquatique est le plus touché : les rivières, les milieux marins. Par exemple, l’anguille commune a vu son nombre diminuer de 90 %. Cela signifie que 9 anguilles sur 10 ont disparu, ce qui est vraiment alarmant. On se rend également compte que nous manquons d’espaces naturels ouverts. En conséquence, plusieurs espèces d’oiseaux et de papillons ont pratiquement disparu de ces zones naturelles. Ici, en Catalogne, nous avons un programme de surveillance des papillons depuis les années 90 : nous avons pu quantifier les papillons typiques des prairies et le genre de régression qu’ils ont subi depuis les années 90 jusqu'à maintenant. Nous avons noté une régression d'environ 70% des papillons, ce qui signifie que nous avons perdu 7 individus sur 10. D’autre part, il existe des espèces qui ont augmenté, comme le sanglier, mais ce n’est pas bon signe. C’est le symptôme d’un déséquilibre de l’écosystème et cela signifie que les prédateurs qui existaient et qui permettaient de réguler les effectifs ont aussi disparu...

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Une régression d'environ 70% des papillons a été observée en Catalogne/ Calvin Mano


Quelles sont les causes du déclin de la biodiversité ? 

Notre activité est clairement responsable de la perte de nombreux individus. L’urbanisation de la Catalogne par exemple a augmenté d’un million d’habitants en 20 ans, ce qui signifie que le sol urbain a également augmenté au détriment de la nature. Ce rapport met aussi l’accent sur le fait que nous avons construit trop près des côtes. Lorsque nous sommes à moins d’un kilomètre, il y a un vrai danger pour la faune et la flore typique de ces milieux, qui sont maintenant occupés par ces constructions portuaires, pour répondre à la demande de la société catalane. 

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L'urnanisation des côtes s'est fait au détriment de la nature / Lloret del Mar Creative Commons


Dans le rapport, nous mettons aussi l’accent sur le modèle socio-économique, en tant que principal facteur de ce déclin de la biodiversité. En effet, l’agriculture traditionnelle a été remplacée par l’agriculture intensive dans des zones plus "rentables". De nombreuses zones, notamment montagneuses, ont disparu et ont été remplacées par la végétation. La forêt a repris sa place, mais c’est une forêt jeune, qui, contrairement à ce qu’on pourrait croire, n’apporte pas les bénéfices d’une forêt ancienne. Or le manque de prairies et de pâturages ont pour conséquence la disparition de nombreux insectes et animaux qui avaient besoin de l’ouverture de l’espace que proportionnait l’élevage traditionnel. Les espèces invasives sont aussi un facteur important de cette perte de biodiversité : lorsque deux espèces se font concurrence, c’est la plus forte qui l’emportera, et souvent il s’agit de l’exotique, malheureusement. Enfin, le changement climatique joue également un rôle de plus en plus important car la température modifie les zones climatiques où les espèces peuvent prospérer. Les phénomènes extrêmes se produisent plus fréquemment et changent également l'environnement, mais les espèces ne peuvent pas s'adapter assez rapidement.
 

Le rapport a-t-il apporté des pistes encourageantes sur le travail de conservation ?

Nous nous sommes rendus compte que les espèces sur lesquelles nous nous sommes concentrées afin de les protéger ont parfois pu retrouver leur équilibre. Il n’y a donc pas que des mauvaises nouvelles dans ce rapport ! C'est le cas de la "nutria europea", la loutre d’Europe, dont les populations se sont désormais rétablies. Dans les années 90, leur population était en grave déclin : il ne restait que quelques individus et il était très difficile d'en voir dans les rivières de Catalogne. Mais l’administration a fait de gros efforts pour inverser la tendance et a organisé un plan pour sa réintroduction. Cela a abouti à une tendance positive et ces loutres sont maintenant visibles dans de nombreuses rivières. C'est aussi parce qu'au cours des 40 dernières années, la qualité de l'eau douce de Catalogne s'est améliorée. C’est plutôt encourageant : ça veut dire que nous pouvons faire quelque chose.

 

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Bonne nouvelle, les loutres réapparaissent / Joshua J. Cotten

 

Qu’avez vous appris sur la conservation des forêts ?

C’est un sujet très complexe, que nous ne pouvons pas généraliser. Il faut parfois faire du cas par cas pour pouvoir gérer au mieux les forêts. Un premier point dont nous avons un peu parlé, ce sont les forêts plus jeunes qui ont pris beaucoup de place sur le sol catalan, or ce n’est pas forcément une bonne chose. Ce dont nous avons besoin, ce sont des forêts anciennes. Des oiseaux tels que le grand pic épeiche ou des chauves-souris telles que le Murin à moustaches cherchent leurs refuges dans des arbres qui ont la capacité de leur fournir un abri, ce qui veut dire des arbres longs et larges. Or les arbres jeunes sont trop fins pour accueillir ces espèces. De plus, le bois mort qu’on trouve dans ces forêts anciennes permet à de nombreux insectes de vivre. C’est le cas du longicorne ou Rosalie alpine, un type de coléoptère bleu, qui est d’ailleurs une des espèces protégées au niveau européen. On parle souvent de la plantation d’arbres comme une solution à tous nos problèmes. Mais ce n’est pas aussi simple. 

Il ne faut pas oublier que malgré la perception sociale que nous avons des incendies, ils sont aussi un facteur écologique qui a toujours existé. Et cela peut nous fournir cet habitat ouvert, lorsque l’incidence est de faible intensité bien sûr. Je parle de feux contrôlés, sur de petites zones, et surtout, que ces incendies n’affectent pas les forêts anciennes. 

Un autre problème que l’on a avec les forêts, c’est qu’avec le réchauffement climatique, le stress hydrique peut augmenter, car elles ont de gros besoins en eau. D’autre part, il faudrait aussi s’assurer que l’absorption du CO2 soit le plus efficace possible. 

En fait, il faudrait récupérer l’activité agricole et d’élevage traditionnels. Cela permettrait de réguler les sols, d’avoir assez de prairies et de pâturages qui n'endommagent pas les sols par les pesticides, et qui permettent également d’avoir des aires ouvertes et propices aux espèces qui sont en train de disparaître.

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Les forêts anciennes sont le refuge de nombreuses espèces / Milk-Tea


Que pouvons-nous faire à notre niveau pour éviter cette chute de la biodiversité ?

Il suffit de remettre la nature au cœur de toutes nos décisions, et de réfléchir aux causes que nous avons mentionnées. À notre niveau, il faudrait juste changer un peu nos habitudes, par exemple revoir notre consommation alimentaire, c'est-à-dire, éviter de consommer des produits issus de l’agriculture ou de l'élevage intensif et essayer dans la mesure du possible d’investir notre argent dans du commerce de proximité et bio. Il faut aussi consommer des aliments de saison, ce qui implique aussi une consommation de proximité. On peut aussi revoir notre consommation en énergie, bien réfléchir à l’heure de voter, bien éduquer et bien s’informer... Faites attention aux idées reçues, comme on a expliqué avec les forêts et l’élevage traditionnel, si utile à la conservation. Toutes ces actions ont des répercussions sur la biodiversité. 

Il faut aussi savoir que ce rapport a pour but de mieux connaître la nature qui nous entoure. Si on ne sait pas de quoi elle se compose ni ce qui est la cause de ses déséquilibres, nous ne pourrons pas prendre les décisions adéquates à sa protection. C’est pourquoi, il existe maintenant de nombreuses plateformes citoyennes en ligne, qui permettent à chacun d’entre nous de participer à son observation. Il y en a une par exemple qui permet aux citoyens d’indiquer les oiseaux qu’ils observent sur leur balcon ou dans leur jardin. Ou encore des plateformes comme mosquito alert, qui permet aux citoyens de prévenir quand ils trouvent des moustiques tigres. Monitorer ces espèces invasives est très important, car elles sont aussi un facteur de risques pour notre santé.


Quelle serait l’approche idéale pour résoudre le problème du déclin de la biodiversité ?

Il faudrait mettre tous les acteurs économiques autour d’une table et leur fournir toutes les informations. Et faire un autre calcul économique : celui de la conséquence de l’inaction. Il serait intéressant de mettre des personnes influentes, telles que des économistes, des agriculteurs, des industriels, ou toute personne qui pourrait avoir un impact quelconque sur la biodiversité. Les scientifiques font souvent ce genre de calculs, il font des hypothèses basées sur différents scénarii.

 
Et que se passerait-il si on ne faisait rien ?

Si on ne faisait rien, les coûts économiques seraient bien plus importants, et la balance pencherait plutôt en faveur de la mise en place d’une agriculture écologique et durable. Même si on ne peut pas changer notre modèle socio-économique, basé principalement sur l’argent, on sera bien obligé de l’adapter et de faire en sorte que la nature soit la priorité, car sans elle, nous ne pouvons pas prospérer économiquement non plus. 

 

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Faire en sorte que la nature soit une priorité / Aleix Rafegas Farré 


Quel est le plan d’action de l’administration avec la sortie de ce rapport ?

Il existe déjà une stratégie qui a été mise en place et approuvée en 2018 qui définit les lignes d’action du gouvernement pour préserver la nature. Ce n’est pas seulement une stratégie pour la nature, elle s’adresse à tous les secteurs de la société, comme le secteur industriel, agroalimentaire ou encore à celui de la pêche. Le but de ce rapport est en quelque sorte d’établir un état des lieux, un point de départ. Cette stratégie a été bien pensée. Si on la suivait, on pourrait réussir à conserver notre biodiversité. J’espère que le rapport que nous avons fait en 2020 n’est qu'un premier rapport parmi plein d’autres. Car l’observation permettra de voir d’ici à 2030 si la stratégie fonctionne correctement et elle pourra être révisée si besoin.

 

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