Emblème du catholicisme en Pologne, adulé de tous, saint Jean-Paul II a marqué les esprits positivement tout au long de ses 26 années de pontificat, le troisième plus long de l’histoire catholique. Actualisation et republication d'un article du 2 juillet 2020 : Au cours du mois de mars 2023, l'image du pape canonisé, Jean-Paul II, dont le portrait trône dans de nombreux bâtiments publics en Pologne a vu - une nouvelle fois son image écornée suite aux révélations de Marcin Gutowski dans un documentaire diffusé lundi 7 mars 2023 sur la chaîne privée polonaise TVN24, et par la publication simultanée en Pologne du livre "Maxima culpa, Jean-Paul II savait", par le journaliste néerlandais, Ekke Overbeek. Entre accusations de profanation d'un intouchable par les uns et recherche de la vérité par les autres, l'opinion est plus que jamais divisée sur le sujet, révélant la crise identitaire que traverse actuellement l'Eglise polonaise, en pleine crise de foi. Dans cet article initialement publié le 2 juillet 2020, Florine Chatillon, revenait déjà sur les neuf années qui ont suivi la béatification précoce du pape Jean-Paul II et faisait le point sur les aspects controversés de son action - NDLR.
Une popularité hors-normes
Karol Wojtyła, archevêque de Cracovie est élu Pape le 16 octobre 1978. Il marque d’entrée de jeu les esprits avec sa formule « N’ayez pas peur... Ouvrez les frontières ». L’ouverture sur le monde, Jean-Paul II en fait un maître mot, et s’illustre en tant que grand voyageur lors de pas moins de 104 « voyages apostoliques », parcourant quelques 129 pays.
Les pays du Golfe, d’Amérique latine, Cuba… nombreux sont les lieux affligés par des crises où il intervient. Une ouverture qui se traduit également par un désir de réconcilier les hommes et les religions. Premier Pape reçu dans un pays musulman - le Maroc -, on lui doit également le travail colossal de réconciliation avec le peuple juif. Il se prononce dès 1986 contre l’antisémitisme lors de sa visite à la synagogue de Rome, puis lors d’un voyage en 2000 à Jérusalem.
Un geste à haute portée symbolique de la part de cet homme d’Église polonais, qui a bien compris les enjeux de la génération d’après-guerre de son pays. Un des enjeux majeurs de son temps, c’est aussi le communisme. Devant cet empire, il ne se défile pas et acte en faveur de sa chute. En 1979, lors d’un voyage en Pologne, il revendique « les droits fondamentaux de la nation ». Il condamne en 1982, « l’atteinte aux droits de l’Homme » marquée par l’interdiction du syndicat Solidarność.
Un an plus tard, il effectue un second voyage dans son pays natal, marquant l’adoucissement de la répression. Un rôle en Europe de l’Est vecteur d’une réelle portée historique, d’une telle ampleur que le chef du Kremlin Mikhaïl Gorbatchev reconnaît en 1992 que rien « n’aurait été possible sans la présence de ce pape, sans le grand rôle - même politique - qu’il a joué sur la scène internationale ».
Dernière grande mission de ce Pape peu commun : la réconciliation de la jeunesse et de l’Église catholique avec les JMJ : les Journées Mondiales de la Jeunesse. À la clé : une popularité éminente chez les jeunes. Une initiative remarquable mais qui semble néanmoins perdre du terrain d’années en années. Jean-Paul II n’avait vraisemblablement pas cerné la totalité des enjeux de la nouvelle génération.
Des positions conservatrices discutables
1981. Le premier cas de SIDA est déclaré en France. Il est le premier d’une longue liste. Le combat contre cette maladie infectieuse, transmissible par voies sanguines et sexuelles, constitue l’un des enjeux majeurs des années 80 et 90. Il est dorénavant vital de faire l’apologie du préservatif, seul moyen de contraception permettant de se protéger du VIH. Jean-Paul II, sans jamais le nommer de plein front, en proscrira son usage jusqu’au bout. Sa vision conservatrice y est fondamentalement opposée. Tout comme à la procréation assistée ou à l’ordination des femmes. Une posture tout à fait en décalage avec la période de libération sexuelle et d’émancipation des femmes que constituaient les années 1980.
A l’heure actuelle, l’égalité entre les hommes et les femmes ainsi que la liberté à disposer de soi-même semble plus que jamais relever d’une urgente nécessité. L’écrivaine et journaliste Christine Pedotti, rédactrice en chef de Témoignage Chrétien, a beaucoup travaillé sur le statut des femmes au sein de l’Église catholique. Co-fondatrice avec la bibliste Anne Soupa du Comité de la jupe, elle se prononce avec scepticisme quant aux avancées sur l’égalité des genres initiée par Jean-Paul II.
Dans une interview accordée au quotidien Le Monde et parue le 10 juin 2020, Anne Soupa avance qu’ « être femme, pour Jean Paul II, c’est être capable de donner la vie et d’élever des enfants. Il ignore totalement la sexualité des femmes sous la forme du désir ou du plaisir (… ). Il est vrai qu’il parle de sexualité de façon différente par rapport à ses prédécesseurs, invitant les hommes à respecter les femmes. Néanmoins, à ses yeux, si la sexualité n’est pas orientée vers cette possibilité de maternité, elle se situe dans l’ordre du péché et de la concupiscence. D’où l’impératif de ne pas exercer sa sexualité si on ne peut pas concevoir, et la condamnation des moyens de contraception. »
Abus sexuels au sein de l’Église : un silence volontaire ?
L’Église catholique est actuellement plongée au cœur de différents scandales d’abus sexuels. On peut s’interroger sur le rôle que Jean-Paul II aurait joué dans la chape de plomb posé sur ces drames.
On se souvient de Marcial Maciel. Fondateur de l’ordre de la Légion du Christ, il fut accusé dès les années 1970 d’abus sexuels commis trois décennies auparavant. Le Vatican le défendit toujours, bien que le pape ait reçu des victimes du prêtre mexicain, qu’il refusa de croire. Ses crimes ne furent reconnus qu’en 2010. Des suspicions accréditées par l’avocat américain Thomas Doyle. Spécialiste en droit canonique, il affirme qu’en 1985, Jean-Paul II envoya un évêque américain en Australie afin de taire les abus qu’il aurait commis sur des mineurs.
Plus récemment, en juin 2020, l’autrice Christine Pedotti a publié avec l’historien Anthony Favier une autobiographie de Jean-Paul II. L’ouvrage a valeur, selon ses mots « de droit d’inventaire ». Jean Paul II, l’ombre du saint, paru aux éditions Albin Michel, relie avec sérieux les grandes phases d’un pontificat d’exception. Argument majeur pour questionner la légitimité absolue du saint : l’hyper-sacralisation des prêtres « qui de ce fait, n’appartiennent plus au commun des mortels. On imagine sans peine comme ce statut accordé aux prêtres a pu favoriser des abus ». Loin de vouloir établir un « pamphlet », les deux spécialistes du Saint-Siège, tendent à poser un regard juste et impartial sur l’un des plus grand hommes du XXe siècle : « à l'exception notable du monde juif envers lequel il a posé des gestes prophétiques, il a laissé sur le chemin beaucoup de monde : les théologiens d'ouverture, les autres confessions chrétiennes, les femmes, les homosexuels ».
Une remise en question qu’ils ne sont pas les seuls à avoir initié. Lors du centenaire du Saint en mai 2020, le journaliste Tomasz Sekielski dévoile sur YouTube son deuxième documentaire visant à dénoncer les crimes dissimulés par l’Église catholique. « Jeu de Cache-Cache » est suivi en direct par 80.000 spectateurs et comptabilise 10 heures plus tard 1,15 millions de vues. Tomasz Sekielski ne compte pas en rester là, et a annoncé son prochain documentaire, cette fois directement sur le « rôle de Jean-Paul II dans la dissimulation de crimes perpétrés par des prêtres ».
Les accusations sont lourdes. De nombreux défenseurs de Jean-Paul II, loin d’accepter de voir l’image du saint homme salie, avancent un argument de taille : sous le régime communiste en Pologne, l’accusation de pédophilie servait à éliminer les prêtres gênants.
À savoir si cet argument aura les épaules assez larges pour disculper de toute responsabilité l’homme de foi de l’énormité de ce scandale.
Notons en sa faveur que Jean-Paul II déclara le 23 avril 2002 - au sujet des actes de pédophilie commis par des prêtres aux USA - « Ces abus sont immoraux à tous points de vue et la société les considère à juste titre comme un crime, c’est aussi un péché effroyable aux yeux de Dieu ».
Le sujet est tel qu’il faudra nécessairement de nombreuses années afin d’établir des constatations objectives et détaillées. Le livre de l’Histoire a été rouvert, affaire à suivre…