Depuis le 28 mai 2021, Karin Nylund est la nouvelle consule honoraire de France à Valence et Castellon. Travaillant dans le secteur vinicole à l’international, elle s’est forgé une solide expérience professionnelle et personnelle qu’elle compte bien mettre à profit dans sa mission au service des Français. Franco-norvégienne, elle tire de ses origines un goût prononcé pour les langues et le dialogue des cultures. Francophonie, liens intergénérationnels, jeunesse… C’est avec un grand sens de la responsabilité et beaucoup d'humanité qu’elle aborde ces enjeux et se livre pour nos lecteurs. Entretien.
Paul Pierroux-Taranto : Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?
Karin Nylund : Je m’appelle Karin Nylund. Je suis la nouvelle consule honoraire de France à Valence et Castellon depuis le 28 mai 2021. Mon père est norvégien donc je suis franco-norvégienne. Ce qui est une richesse et une ouverture supplémentaire pour moi. Je suis arrivée en Espagne en 1996 dans un contexte familial très compliqué et avec beaucoup de choses à recommencer. Je me suis établie à Madrid où j’ai habité de 1996 à 2000. Ensuite, je suis partie de 2000 à 2009 à Valladolid. C’est là que j’ai commencé à travailler dans le monde des vins. Je suis actuellement responsable export pour la Bodega Familia Martinez Bujanda, maison qui a cinq domaines (Rioja, La Mancha et Rueda).
Cela fait treize ans que je vis à Valence et que je travaille pour cette société. C’est grâce à la confiance que cette société m’accorde que je bénéficie d’une flexibilité d'horaires suffisante pour assumer pleinement mon rôle de consule honoraire.
J’ai cinquante-cinq ans et je me sens encore très jeune. J’ai vécu beaucoup de choses positives et négatives dans ma vie. Et c’est justement, je crois, ce qui forge une expérience.
En quoi consistent vos fonctions de consule honoraire ?
En tant que consule honoraire, je représente la France à Valence et Castellon. J’ai donc une mission de représentation auprès des institutions et au service du rayonnement de la France. Je suis aussi un intermédiaire entre les responsables politiques français qui viennent à Valence et les différentes autorités locales ou régionales. Comme tous les consuls honoraires, j’exerce mes fonctions à titre bénévole.
À Valence, depuis plusieurs années, nous ne sommes plus un consulat mais une agence consulaire. Nous ne possédons donc pas les compétences dévolues aux consulats généraux ou ambassades. En revanche, nous proposons un soutien direct dans les différentes démarches que peuvent entreprendre nos concitoyens : nous remettons sur rendez-vous les passeports, les CNI, ainsi que d’autres documents. Nous venons aussi en aide aux Français dans des situations d’urgence (maladie, décès, emprisonnement, pertes de titres d’identité). Ce que je retiens en premier lieu de ma mission, c’est d’aider les Français de Valence et Castellon et d’être à leur écoute. Je prends cette tâche très au sérieux.
Quelle impulsion souhaitez-vous donner à votre mission de consule honoraire à Valence et Castellon ?
J’ai à cœur de redonner l'opportunité et le goût d’apprendre le français. À Valence, toute la génération de l’après-guerre parlait français. Je pense que le français doit retrouver la place qu’il mérite aujourd’hui. J’aimerais que les jeunes prennent conscience que parler français est une porte ouverte sur le monde du travail. En ce sens, développer le programme BachiBac, qui permet d’obtenir simultanément le bachillerato et le baccalauréat, est à mes yeux fondamental. Je prends un exemple. Hier, une adolescente de quatorze ans était dans mon bureau avec sa mère. Elle n’osait pas parler français, même si je voyais bien qu’elle me comprenait parfaitement. Alors je lui ai dit : "C’était exactement la même chose avec mon fils. Il ne voulait pas parler français. Mais il disait : "Maman, tu n’es pas comme les autres mères espagnoles.” J’ai parlé à cette adolescente du BachiBac : “Regarde, grâce au BachiBac, on est en train de trouver des instituts dans la région valencienne qui vont proposer l’enseignement du français comme option. Toi, tu te rends compte, tu as la chance d’avoir cela à la maison : essaie de penser à moyen et long terme, sans pression. Pour toi, parler français est une opportunité professionnelle incroyable !” Eh bien, elle m’a dit “au revoir” en français devant sa mère estomaquée ! (rires)
Je crois qu’il est nécessaire de fédérer notre communauté française. Il faut susciter des moments de partage et d’échange. On a besoin de se retrouver et de se dire qu’ensemble on peut faire de belles choses.
Quels sont vos objectifs pour l’année 2022 auprès des Français de Valence et Castellon ?
Je crois qu’il est nécessaire de fédérer notre communauté française. Il faut susciter des moments de partage et d’échange. On a besoin de se retrouver et de se dire qu’ensemble on peut faire de belles choses. Pour cela, il est indispensable de bien communiquer et de ne pas rester chacun dans son coin.
Resserrer les liens intergénérationnels, dont on a vu à quel point ils étaient indispensables pendant la pandémie, me paraît fondamental. La culture et le sport sont de bons moyens pour y parvenir. Valence est une ville incroyable sur le plan sportif. Songeons au marathon, au tennis et au foot, bien sûr. J’espère qu’on arrivera à organiser un petit tournoi jeunesse-grands parents. Il y a des personnes âgées qui vivent dans des situations de détresse qu’on n’imagine mal. Mon père est décédé d'Alzheimer en 2017. J’étais dans la souffrance et depuis, je suis restée en contact avec l’association Alzheimer de Valence AFAV, qui est extraordinaire. J’espère qu’on pourra travailler ensemble. C’est l’une de mes motivations, à savoir que l’on ne peut pas laisser tomber les seniors.
Et puis, il y a la jeunesse. Pour prolonger ce que je disais sur le français, il faut montrer aux jeunes que notre langue constitue un atout professionnel majeur pour eux. En ce sens, les établissements BachiBac, j’en ai parlé, sont une excellente initiative. Pour ceux qui peuvent se le permettre, il y a le Lycée français à Paterna, bien sûr. Pour moi, c’est l’un des meilleurs lycées privés à Valence. Un point sur lequel on n’insiste pas assez à mon sens, c’est que c’est un lycée trilingue : le niveau d’anglais y est excellent ! La formation professionnelle est un aspect qui doit être développé. Avec le proviseur du Lycée français, je vais essayer de mettre en place des ateliers et des modules sur des thématiques directement en lien avec le monde du travail et la société : qu’est-ce que c’est qu’une directrice d’exportation ? Qu’est-ce que c’est qu’un consul ? Pourquoi la journée de la femme ? Etc.
Enfin, je souhaite collaborer avec La Société Française de Bienfaisance qui remplit une mission essentielle depuis de nombreuses années : porter assistance à nos concitoyens dans le besoin. J’espère pouvoir mettre en place pour l’année 2022 le festival “Des Livres, des stars”, qui a pour but de lutter contre l'illettrisme. Je voudrais aussi faire de cette année, l’année Saint-Exupéry. Tous ces projets permettraient de créer du lien, de susciter des occasions de rencontre et d’échange, ce dont nous avons grand besoin aujourd’hui.
Valence attire aussi les entreprises françaises. Quel message souhaitez-vous leur faire passer ?
Je pense qu’il faut créer un lobby franco-espagnol. Il y a énormément de sociétés françaises qui pourraient très bien venir s’installer à Valence. Valence se place parmi les dix meilleurs villes du monde en termes de qualité de vie. Je suis certaine que c’est sur cet intérêt culturel, économique, et d’échanges sociaux, que l’on doit se fonder pour faire rayonner la France. Là encore, le maître-mot, c’est fédérer. Il faut que l’on crée un véritable réseau, que l’on se retrouve entre nous, et que l’on apprenne à communiquer avec l’extérieur. Il faut aussi que les entreprises laissent la place aux jeunes. Parfois, je suis affolée de voir qu’ils ne trouvent pas de stages. Ce n’est pas le cas en Scandinavie. Dès l’âge de treize ans, j’ai travaillé dans des banques, des hôtels, etc. Je le dis et je le répète, pour moi, le sésame, c’est la formation professionnelle et les langues. Parler plusieurs langues, c’est comme un MBA, cela ouvre énormément de portes ! Il faut laisser aux jeunes la possibilité d’exprimer leur potentiel et pas simplement leur faire faire des photocopies et servir le café…
J’aimerais que les jeunes prennent conscience que parler français est une porte ouverte sur le monde du travail.
Vous vivez à Valence depuis 2009. Pouvez-vous nous parler de cette ville, de la manière dont vous l’avez vu évoluer et des défis qu’elle doit relever pour l’avenir ?
Valence doit trouver les moyens de chercher les ressources d’une industrie qui ne soit pas simplement touristique. Valence, un peu comme Barcelone, a cette image de fiesta et de botellones. Mais cette ville est aussi une ville adaptée aux familles. La qualité de vie y est incomparable. Les loyers restent accessibles par rapport à Madrid ou Barcelone. Valence est une ville qui bénéficie d’un cadre de vie exceptionnel et très attractif : la mer, la montagne à côté, un bon choix d’écoles et de bons hôpitaux. Pas d’insécurité. Il faut consolider ces atouts, surtout après la période de Covid qui a été un coup dur pour tout le monde.
Il faut aussi valoriser d’autres types de métiers. Par exemple, faire en sorte d'attirer les fameux “digital nomades”. Je crois que Valence est une destination idéale pour eux. L’aéroport est très bien desservi. Il y a de nombreux espaces de co-working et un très bon accès au wi-fi dans la ville.
De plus, Valence a un potentiel culturel énorme. C’est pourquoi il me paraît essentiel d’y promouvoir la francophonie et de créer des synergies avec les talents locaux. À cet égard, l'Afrique est un continent prometteur à explorer pour notre région. Il faut rester très attentif à ce qui se passe là-bas. Pour ne citer que quelques exemples : l'énergie solaire, l’agronomie, la culture biologique, la construction et les puits sont autant d’enjeux pour l’avenir portés par l’Afrique.
Vous avez assisté au lancement de La Base Culture au mois d’octobre, que pensez-vous de cette initiative ?
La Base Culture a été une très belle surprise. Le lancement de cette association dans le CCCC a été un grand succès. Plus de 350 personnes se sont déplacées pour l’occasion. Il est certain que les francophones et francophiles se sont mobilisés en masse. Je serai toujours prête à soutenir toute initiative qui contribue au rayonnement de la France et de la francophonie à Valence. Et je suivrai avec beaucoup d’intérêt et de près les activités de La Base Culture qui me paraît être une association très prometteuse.
Comment votre agence consulaire fonctionne-t-elle dans ce contexte de post-confinement ?
Nous sommes heureux d’avoir de nouveaux locaux depuis la mi-juin pour recevoir nos compatriotes correctement. La nouvelle adresse est : Calle Embajador Vich, 3, 4ème étage, Porte S. Nous disposons d’un agent consulaire, Marie-Isabelle Puchades, qui, l’année prochaine, fêtera ses 30 ans de maison. Elle reçoit sur rendez-vous. Il suffit d’appeler ou d’envoyer un mail à agenceconsulfrance.valencia@gmail.com. On ne peut recevoir que sur rendez-vous.
Quel est le profil des Français de Valence et Castellon qui dépendent de votre agence consulaire ?
Il serait intéressant d’obtenir des statistiques sur les tranches d’âge de nos compatriotes vivant dans la région valencienne. Cela m’intéresse énormément pour le choix des activités que je compte mettre en place. Je sais qu’il y a la plus grosse concentration de Français à l’Eliana, par exemple. Parmi les quelque 12.000 Français qui vivent à Valence et Castellon, ou dans les villages alentour, il n’y en a malheureusement que la moitié qui sont inscrits sur les listes d’électeurs. C’est aussi l’une des mes tâches d’inciter les Français à s'inscrire sur le registre consulaire.
Je serai toujours prête à soutenir toute initiative qui contribue au rayonnement de la France et de la francophonie à Valence.
Que diriez-vous à un Français qui souhaite s’installer à Valence ?
Valence est une ville extraordinaire et je comprends qu’elle attire de plus en plus d’expatriés. Néanmoins, il faut être sûr de son projet de vie. On ne peut pas simplement arriver dans la ville avec sa valise et dire : “Je verrai sur place”. Il faut être sérieux. Valence, ce n’est pas simplement le soleil et la plage. Mon conseil serait donc de bien questionner son projet de vie en amont et, si l’on est certain de vouloir s’expatrier, de prendre son temps, de ne pas être trop pressé. Il faut notamment se renseigner sur les démarches administratives de façon à éviter les mauvaises surprises à l’arrivée. Par exemple, il faut penser à bien garder son numéro de sécurité sociale avec soi. Les papiers, cela peut faire peur, et c’est pourquoi il y a des gestorías spécialisées qui sont très utiles.
Pour les familles, le choix de l’établissement scolaire est un facteur à prendre en compte pour déterminer le lieu de résidence. Il faut essayer de ne pas être à plus de 20 minutes de là où les enfants vont être scolarisés. C’est la fameuse méthode du compas : délimiter une zone comprise dans un rayon proche de l’établissement visé. Enfin, je dirais qu’il est important de trouver des activités culturelles qui réunissent les Français et les Valenciens pour bien s’intégrer à la ville et créer des échanges féconds. On partage cette immense richesse de vivre en Europe et d’être tous européens, il faut en profiter !