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Plongée dans le terrorisme des années 1990 à Tokyo : le Chimiste de Guillaume Marbot

Plongée dans le terrorisme des années 1990 à Tokyo : le Chimiste de Guillaume MarbotPlongée dans le terrorisme des années 1990 à Tokyo : le Chimiste de Guillaume Marbot
Écrit par Lepetitjournal Tokyo
Publié le 12 juin 2022, mis à jour le 14 juin 2022

Guillaume Marbot a vécu cinq ans au Japon et résidait à Tokyo au moment des attentats de la secte Aum. Ces évènements traumatisants pour la société japonaise ont inspiré à l’écrivain Le Chimiste, publié chez Flammarion en 2004. Il écrit aujourd’hui sous le nom de plume Balthazar Kaplan. Lors d’un entretien avec lepetitjournal.com, il revient sur la genèse de son roman et sur son expatriation au Japon.

 

Votre roman, Le Chimiste, raconte les attentats de 1995 à Tokyo, quelle est sa genèse ?

L’histoire du Chimiste est particulière car je vivais au Japon lors du drame des attentats de la secte Aum à Tokyo. Cette histoire et cette atmosphère m’ont pris et fasciné. À la suite de ces attentats, je ressentais une sorte de frustration, une impression de jeu, d’ombre, que quelque chose m’échappait. Il y a eu, alors, beaucoup de manipulations politiques. La secte était indubitablement dangereuse et était coupable de ces attentats, mais des rumeurs circulaient, entre les personnes de l’Ambassade, les journalistes et les gens renseignés à Tokyo en 1995 à propos de connexions possibles entre certaines personalités politiques et la secte. Ces rumeurs étaient difficiles à vérifier mais l’écrivain est plus libre et je m’en suis inspiré pour créer ma fiction. Le Chimiste est néanmoins un texte très documenté. Le fait d’être un Occidental expatrié m’a sans doute permis cette distance nécessaire.

 

Les forces de défenses japonaises en renfort suite aux attentats du 20 mars 1995
Les forces de défenses japonaises en renfort suite aux attentats du 20 mars 1995 à Tokyo

 

Le Japon n’avait, en 1995 que très peu d’expérience du terrorisme et a réagi par de la sidération. En tant qu’Européen, j’avais en tête le terrorisme des années 70 en Allemagne, en Italie et en France. Il a été prouvé depuis, notamment par Le Monde, que les attentats en Europe avaient fait l’objet de manipulations politiques et géopolitiques, comme c’est souvent le cas.

C’est pourquoi j’ai été surpris que ces attentats au Japon ne soient que le fait d’une secte. Quand on sait que la secte a importé des hélicoptères russes sur l’île, cela soulève des questions. Le Japon était alors le pays qui avait mis en quarantaine deux semaines les équipes humanitaires venues aider lors du tremblement de terre à Kobe la même année … Ils savaient très bien ce qui entrait sur leur territoire. Sans entrer dans du complotisme, il est évident qu’il y avait des questions à poser et de la corruption à dénoncer.

 

Est-il difficile de faire de la fiction autour d’une histoire réelle ?

Oui mais c'est une autre forme de difficulté. Quand on crée ex nihilo, on a le vertige des possibles. Dans le cas d'une histoire réelle, les possibles ont eu lieu. Ce qui était difficile dans le cas du Chimiste, c'est que la réalité dépassait la fiction. Plus je me documentais, plus j'étais stupéfait de ce que j'apprenais. Pour l'anecdote : quand j'ai proposé mon manuscrit, plusieurs éditeurs l'ont refusé au prétexte qu'ils ne publiaient pas de science-fiction ! L'autre difficulté : je ne voulais pas faire un documentaire. Je voulais explorer à partir de ce matériau véridique l'idée centrale qui me taraudait : comment peut-on participer à sa propre aliénation ? C'est pour cela que j'ai écrit le texte à la première personne. La part de fiction est là : entrer dans la tête du personnage qui a fabriqué le gaz sarin.  

 

Pour décrire l'expatriation, j’utiliserais l’expression de Julien Gracq, « un balcon en forêt »

Votre expérience d’expatriation au Japon a-t-elle influencé votre écriture ?

Je ne dirais pas que cela a influencé mon écriture mais l’expatriation procure en effet une expérience particulière. Pour la décrire, j’utiliserais l’expression de Julien Gracq, « un balcon en forêt ». C’est une forme de position surplombante - sans supériorité aucune. Nous ne sommes ni touristes ni locaux. À moins d’être dans une stratégie d’immigration, l’expatrié sait qu’il rentrera dans son pays après une expérience limitée dans le temps. L’expatriation permet ainsi cette position d’observateur qui a aussi ses dangers - rester superficiel notamment.

 

Avez-vous bien vécu votre expatriation au Japon ?

J’ai absolument adoré mon expatriation, il y avait de la beauté dans le quotidien. Dès que je sortais de mon appartement, je découvrais quelque chose : il suffisait d’aller dans la rue pour vivre une petite aventure, c’était grisant. En allant faire les courses ou en prenant le métro, je voyais un élément inédit - agréable ou pas, qui me faisait dire à la fin de chaque journée que j’en avais appris un peu plus sur mon pays d’accueil.

 

Métro de Tokyo
Métro de Tokyo

 

Cette expérience a dû venir avec son lot de difficultés ?

Je pense qu’il y a tout de même un sujet qui est assez peu évoqué, c’est la difficulté du retour en France. Lorsqu’on quitte son pays - et d’autant plus dans les années 90 -, on revient avec un trou dans la chronologie. Quand je suis parti, en 1993, François Mitterrand était président, et quand je suis revenu, Jacques Chirac l’avait remplacé. J’ai complètement loupé la période des grandes grèves de 95 et cela m’a fait étrange en revenant.

Mais aujourd’hui l’expérience serait sans doute différente grâce à internet. À mon époque, je regardais TV5 Monde parfois, j’écoutais RFi et je lisais Le Monde une fois par semaine mais j’ai trouvé difficile de rester aussi informé que lorsque je vivais en France.

Il y a une certaine intensité du quotidien lorsqu’on est expatrié, même si cela doit dépendre des pays. Cela-dit, cette difficulté du retour doit moins concerner les expatriés qui vivent dans des bulles d’entre soi. Ce n’a pas été mon cas.

 

Les Français sont-ils des expatriés particuliers ?

Je pense que l’expatriation est aussi une découverte de soi, et de sa propre culture. Lorsqu’on vit un temps dans un autre pays, on est constamment renvoyés à nos propres valeurs et à nos préjugés. On pense faire quelque chose qui nous est naturel mais qui est inacceptable ailleurs et inversement : cela nous renvoie à nos systèmes de valeurs. L’écueil sur lequel il ne faut absolument pas tomber est le jugement car si on juge, on passe à côté de ce que l’expatriation peut nous apporter. Je trouve parfois que les Français ont tendance à se bâtir des forteresses individuelles ou communautaires. Cela se traduit généralement par des votes très conservateurs car ils se construisent l’idée d’une France idéale hors-sol, et sont souvent très déçus lorsqu’ils rentrent, c’est dommage.

Je ne regrette cependant pas du tout d’être rentré en France, il ne faut pas idéaliser la société japonaise.

 

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