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Révéler la beauté: Toki Hata, artiste teinturière

Toki Hata fait partie de la troisième génération d’une famille d’artistes teinturiers. Son grand-père, Tokio Hata, est né à Kanazawa dans la préfecture d'Ishikawa. Passionné par le dessin alors que les membres de sa famille étaient jardiniers, il apprend la teinture grâce à son voisinage et crée son entreprise. Son fils, Noboru Hata, épris du même amour pour le dessin que son père, part étudier à Kyoto, un lieu renommée pour la technique de teinture qui y est employée. Dès son plus jeune âge, Toki Hata est donc baignée dans le domaine de l’art. Naturellement, c’est donc tout naturellement qu’elle se tourne elle aussi vers le dessin (de mangas) et s’intéresse peu à peu à la teinture.

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Écrit par Valentine Detournay
Publié le 17 mai 2024, mis à jour le 17 mai 2024

Diplômée de Kyoto City University of Arts, Toki Hata réalise aujourd’hui de nombreuses teintures sur kimonos, mais aussi sur obi, cette ceinture permettant de fermer les vêtements traditionnels japonais, grâce à la technique Yuzen. 

Alors que les ateliers ont tendance à réaliser qu’une seule étape du processus de création, la jeune femme s’attèle à l’ensemble du travail: de la conception du kimono à la création de ses motifs.

Lepetitjournal.com a échangé avec Toki Hata et Takeshi Horio, fondateur de Kogei Art KYOTO dont au sein de laquelle Toki expose son travail. Nous remercions la sœur de Toki Hata, qui a gentiment accepté de faire la traduction lors de notre discussion.

 

Pouvez-vous nous parler de Kogei Art KYOTO ? 

Takeshi Horio : Je suis né à Kyoto. Mon grand-père a fondé sa propre entreprise d’impression dans le but de partager la culture artistique japonaise. Par la suite, j'ai repris l'entreprise de mon grand-père. J’ai alors eu l’occasion d’échanger avec de nombreuses personnes impliquées dans l'art de la création et pu mieux comprendre la culture traditionnelle de mon pays. L’ensemble de mes discussions m’ont amené à vouloir créer cette entreprise. Mon objectif était de partager le talent des artistes avec le monde entier. 

Aujourd’hui, Kogei Art KYOTO est composée de 10 artistes. Cependant, j’aimerais en rassembler davantage.

 

Quel est le support de vos teintures ?

Toki Hata : La plupart de notre travail est réalisé sur des kimonos. Il en existe plusieurs types. Une première distinction entre eux peut être faite en fonction du procédé technique utilisé lors de leur confection. Il existe en effet des kimonos “tissés” et des kimonos “teints”. 

On distingue aussi les kimonos “formels” qui sont portés pour des occasions solennelles très spéciales telles que les cérémonies; les mariages, les cérémonies en l’honneur de l’empereur ou les cérémonies de thé; des kimonos dits “décontractés”, destinés aux évènements moins officiels telles que les soirées privées. 

Si les deux catégories sont assez similaires, les kimonos formels requièrent un “sash”, aussi appelé “obi”, double. Il est également indispensable de se vêtir de tabis blancs, les chaussettes japonaises avec un bout fendu que l’on porte généralement avec les sandales traditionnelles.

Si notre atelier se concentre surtout sur la conception de ces kimonos “formels” et des “obis”, nous pouvons réaliser notre teinture sur n’importe quel support; des jupes par exemple. 

 

Pourriez-vous nous parler de la culture du kimono au Japon ?

La forme et les motifs des kimonos ont grandement évolué en fonction des périodes. 

Pendant la période Heian, de 794 à 1185, lorsque Kyoto était encore la capitale du Japon, la couleur primait. Il n’y avait donc pas beaucoup de motifs sur les kimonos. 

Au milieu du XVème siècle, les kimonos sont devenus des pièces à manches courtes. Le style était très différent et les vêtements n’étaient pas vraiment confortables. 

C’est à la période Edo que les kimonos ont pris la forme que l’on connaît aujourd’hui. La technique souvent utilisée est l’“atozome” ce qui signifie que le tissu est teint après avoir été tissé.

 

Quelle technique utilisez-vous?

Il existe une grande variété de techniques de teinture des kimonos: le shibori (teinture à la cravate), le katazome (teinture au pochoir) et le roketsuzome (teinture à la cire résistante) par exemple.

Comme beaucoup d’artistes japonais, j’utilise la teinture de soie appelée “yuzen”, une technique traditionnelle créée au XVIIème siècle suite à l’utilisation des motifs des éventails du peintre Yuzensai dans la conception des kimonos. Cependant, je ne m’appuie pas sur les dessins classiques. Je crée mes propres figures en travaillant à l'aide de croquis; notamment autour des thèmes de la nature tels que les fleurs, les oiseaux, le vent, la lune et la flore saisonnière.

 

kimono réalisé par Toki Hata
Motif réalisé par Toki Hata

 

La particularité de la teinture yuzen réside dans l'utilisation d'une pâte spéciale qui empêche les couleurs de se mélanger. Le processus consiste à utiliser la méthode dite “itome-nori”, c’est-à-dire à tracer les contours du dessin avec de fines lignes de cette pâte. 

La teinture yuzen de Kyoto, appelée le kyo-yuzen, est particulièrement spectaculaire. S'appuyant sur une culture millénaire, cette technique se caractérise par des couleurs vives et des motifs très élégants . 

 

Quelles sont les différentes étapes de la création de vos kimonos ?

Pour un seul kimono, on utilise 30 mètres de tissus blancs. Après avoir décidé du design, on coupe la matière et on conçoit la forme du kimono.

Pour l’étape de la teinture, on trace d’abord un sous-dessin sur le tissu à l'aide d'ao-hana, un liquide bleu extrait de la fleur d'hémérocalle. Ensuite, on réalise de fines lignes grâce à la pâte dont je vous ai parlé. Celle-ci était auparavant obtenue en pressant une poche de papier japonais remplie préalablement de colle de riz. Aujourd’hui, on utilise un cornet de papier enduit de tanin de kaki et muni d’une douille de métal. Les motifs délimités par la colle de riz sont ensuite teints grâce à différentes techniques de coloration. Les principales sont les dégradés de couleurs et les effets d’ombre et de lumière.

 

peinture

 

La teinture doit ensuite sécher. En hiver, cela peut prendre 6 heures alors qu’en été, cela prend généralement 2 heures. Parfois on utilise un sèche-cheveux. 

Après lavage, les lignes de la pâte restent d'un blanc éclatant ce qui permet de contraster avec les couleurs vives utilisées. Ce blanc apparant est caractéristique du style yuzen à main levée.

Réaliser un kimono peut donc prendre jusqu’à 6 mois. Généralement, on en réalise plusieurs à la fois. 

 

Comment se passe la vie d'un artisan au Japon ?

Il faut dix ans pour acquérir une très bonne technique. Cela demande beaucoup d’efforts, surtout au début. Mais avec un entraînement régulier, on finit par y arriver. 

Les techniques de teinture les plus utilisées dans le monde sont le tirage et l’impression. Les gens pensent souvent que le travail à la main n’est pas optimal. Pourtant, je suis certaine que celui-ci est le seul moyen d’atteindre réellement la perfection.

 

motif de Toki Hata

 

Comme tout travail, certaines parties ne sont pas très intéressantes. Mais de manière générale, c’est un vrai plaisir. 

Grâce à notre grand-père, nos kimonos ont pu atteindre une certaine popularité. Au sein de notre atelier, nous pouvons donc nous permettre de décider nous-même des produits que l’on souhaite vendre. Nous ne faisons pas en fonction des envies des clients. 

 

Quel est votre rapport avec les pays en dehors du Japon ?

En 1996, nous avons fait une exposition; “Kimonos de la famille Hata”; au musée des Tissus et des Arts décoratifs de Lyon, l’un des principaux centres textiles européens. 

Ce musée a une très grande collection de textiles du monde entier. Nous y avons exposé des kimonos réalisés par mon grand-père, par mon père et par moi-même. La plupart de ces vêtements n’ont jamais été portés.

 

grand-père de Toki Hata
Tokio Hata, le grand-père de Toki Hata

 

Nous avons aussi visité un ami de la division textile de chez Hermès. La Maison Hermès a un très grand atelier de textile à Lyon. 

Enfin, nous sommes allés à Paris pour visiter la Maison Christian Dior. Nous avons été impressionnés par l’harmonie de la ville. Tout comme au Japon, il y a de l’architecture moderne et ancienne. Cependant, cela semble plus harmonieux en France. Notre amie nous a expliqué que peu de leurs clients sont japonais ou indiens car les deux pays proposent déjà des vêtements formels de grande qualité. Ils n’ont donc pas besoin de haute couture.

Nous sommes toujours très contents d’échanger avec le monde entier, et en particulier avec des Français. Je pense que leur approche de l’artisanat est assez proche de la nôtre. Votre visite est très importante pour nous. 


Un grand merci à Takeshi Horio pour avoir rendu cet échange possible. Merci à Toki Hata et à sa sœur pour le temps qu'elles nous ont accordé ! 


 

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