A l'occasion de la 75ème session de l'Assemblée générale de l'ONU, Singapour a tenu à réitérer son attachement au multilatéralisme dans le contexte de l'intensification des tensions entre les Etats Unis et la Chine.
Pour mieux comprendre la situation actuelle, il est indispensable de faire un retour sur l'histoire.
Tout commence en 1965... moins d'un mois après la déclaration d'indépendance de la cité-État, Singapour demande officiellement d'entrer aux Nations Unies pour affirmer son nouveau statut. Elle devient le 117ème membre de l'organisation le 21 septembre 1965.
Ce même jour, le nouveau Ministre des Affaires Etrangères, S. Rajaratnam, livre un discours de remerciement à l'assemblée générale où il établit les grands principes qui deviendront les piliers de la politique étrangère de Singapour. Au coeur de ce positionnement, la préservation de la paix et le multilatéralisme.
"La paix dans le monde est la condition nécessaire à la survie politique et économique de petits pays tels que Singapour." Il devient alors "naturel" pour Singapour d'adhérer aux politiques encourageant " la résolution de conflits entre nations par la voie de négociations, et non par le recours à la violence."
De manière concrète, Singapour a toujours favorisé l'implication des nombreuses puissances en Asie du Sud Est - plus il y a d'acteurs impliqués dans la région, moins le risque de domination est important. Cela permet à la cité-État, comme à de nombreux autres états de l"ASEAN, de "ne pas avoir à choisir de camp" entre des puissances aux motivations parfois antithétiques, pour ne pas dire contradictoires.
Singapour a donc encouragé le développement des influences économiques de la Chine dans la région et, en parallèle, bénéficié de la protection garantie avec des puissances de l'ouest, notamment les Etats Unis. Une position résumée par le Premier Ministre Lee en 2013 comme "ayant le beurre et l'argent du beurre".
Aujourd'hui, Singapour reste un allié stratégique important des Etats Unis en Asie. Au-delà de ventes d'armes à Singapour, les Etats-Unis donnent accès à certaines de leurs bases militaires à l'armée singapourienne et la marine américaine utilise les installations navales et aériennes de l'île. Économiquement parlant, les deux pays ont signé un traité de commerce bilatéral en 2003 et la cité-État accueille 30,000 citoyens américains, 4,200 entreprises et il est estimé que les entreprises américaines investissent approximativement USD 180 milliards à Singapour.
En ce qui concerne la Chine, Singapour est le plus grand investisseur étranger en Chine et partisan de la banque Asiatique d'Investissement et Infrastructure ainsi que de la "Belt & Road initiative" instiguée par Beijing. Les deux pays collaborent sur de nombreux projets et ont créé un conseil exécutif bilatéral pour faciliter la coopération. Singapour et la Chine ont aussi développé une collaboration militaire.
L'économie de Singapour dépend évidemment de manière cruciale du commerce international et le pays a toujours favorisé les traités de collaboration visant à réduire les barrières aux échanges. Mais le contexte géopolitique et sanitaire des dernières années a remis en cause de nombreux traités et pratiques ayant un véritable impact sur le commerce international.
Un rapport de l'administration américaine de novembre 2019 stipulait que Beijing tentait "d'affaiblir les conditions qui avaient promu la stabilité et la prospérité dans la région Indo-Pacifique depuis des décennies." Le retrait des Etats Unis du TPP (Trans-Pacific Partnership) en 2017 annonçait une ère de changement dans la région. Singapour a signé un nouvel accord avec les 11 pays restant et établi d'autres collaborations commerciales avec les USA et la Chine parmi d'autres, mais l'établissement des tarifs unilatéraux des Etats Unis contre la Chine ont affecté l'ensemble de l'équilibre commercial de la région. En 2018, le Premier Ministre Lee prévenait qu'une "guerre commerciale entre les deux plus grandes économies mondiales aurait un impact négatif important sur Singapore".
Pourtant, Singapour continue de prôner cet équilibre fragile et encourage les deux grandes puissances à collaborer. Dans un discours en juin 2019, le Premier Ministre Lee appelait les deux puissances à une "conciliation stratégique". Dans un article paru cette année, il parle de "véritable test d'habileté politique" pour déterminer si l'humanité peut progresser sur des problématiques telles que le changement climatique, la prolifération nucléaire et la propagation des maladies infectieuses".
Mais cette coopération reste compromise. L'isolationnisme américain de ces dernières années crée un véritable dilemme pour les petits pays d'Asie. Un dilemne auquel Singapour pourrait répondre en envisageant de nouvelles "configurations" pour la région (PM Lee sur CNN, en mars 2020). Mais si la Chine est maintenant perçue par la majorité comme le principal acteur stratégique et politique de la région (Yusof Ishak Institute’s Southeast Asia Survey - janvier 2020), seuls les Etats-Unis sont en position de contenir les ambitions de la Chine dans la région ainsi que dans la Mer de Chine Méridionale.