Située en face du jardin botanique, « Dempsey Hill » fut successivement à partir du XIXe siècle une plantation de noix de muscade, une caserne militaire, puis le quartier général britannique des forces terrestres d'Extrême-Orient, avant d’abriter jusqu’en 1989, le ministère singapourien de la défense (MINDEF) et le centre du service national (CMPB). Depuis 2007, « Dempsey Hill » est un lieu dédié à l'art de vivre, à l'éducation et aux arts. Nous vous invitons aujourd’hui à partir à la découverte des fameuses « Black & White Houses ».
D’une plantation de noix de muscade aux casernes militaires de Tanglin.
Initialement appelé « Mount Harriet », ce site abritait en 1850 une plantation florissante de noix de muscade (1600 arbres) qui s’étendait au-delà du jardin botanique. Décimée par une maladie inconnue en 1857, la plantation fut rachetée en 1860 par l’armée britannique pour établir une garnison en réponse à révolte des Cipayes (1ère guerre d’indépendance indienne de 1857) et à la guerre de Crimée (1853-1856). L’armée britannique estimait que Singapour devait être correctement fortifiée étant un important lieu stratégique pour l’Empire britannique. Il était également devenu souhaitable que les soldats britanniques soient désormais séparés des troupes coloniales afin d’éviter toute mutinerie et intensifier l’essor commercial de Singapour.
L'armée britannique construisit les « Tanglin Barracks », une caserne militaire pouvant héberger un total de 500 hommes.
Bien qu’achevées en 1861 par George Chancellor Collyer, Il faudra attendre 1867 pour que les garnisons de « Fort Canning » soient transférées au « Mont Harriet ». Il est intéressant de noter que nombre de lieux que nous fréquentons avec plaisir aujourd’hui sont les vestiges de cette époque. Par exemple, la « Red Sea Gallery » (Baraquement n°9) abritait de 45 à 50 militaires.
Le restaurant « The White Rabbit » était autrefois la chapelle « Ebenezer » qui servait d’école aux enfants des soldats britanniques. Le restaurant « Samy’s Curry » (Baraquement n°25) était utilisé comme mess des sous-officiers.
« Loewen by Dempsey Hill » quant à lui était l'hôpital militaire et « Saint-Georges », l’église anglicane de la garnison.
Alors que les toits des casernes étaient initialement recouverts de chaume « Alang Alang » (feuilles de palmiers à sucre), à l’image des « attap » maisons que l’on trouvait dans les « kampongs », villages traditionnels singapouriens, ils furent remplacés en 1911 par des tuiles rouges françaises. Autrement peu de choses ont changé dans l'architecture classique de style colonial de Dempsey Hill. Construits pour lutter contre la chaleur tropicale, les bâtiments comportent des colonnes carrées et des vérandas enveloppantes, ainsi que des planchers surélevés et de nombreuses fenêtres et portes pour garder la caserne aussi aérée que possible pour les soldats.
Un lieu d’affrontement lors des deux guerres mondiales
Au milieu de la Première Guerre mondiale, « Tanglin Barracks » a été le théâtre de violents combats le 15 février 1915 lors de la mutinerie des Cipayes Indiens. Le déclenchement de la première guerre mondiale a été perçue pour les membres des troupes du 5ème régiment d’infanterie légère de l'armée du Bengale comme une opportunité de mettre à mal la puissance britannique en s’alliant à l’empire allemand, considéré comme un ami des musulmans depuis la fin du XIXe siècle.
Ce sentiment pro-allemand est renforcé chez les Indiens musulmans par l’entrée en guerre de l’empire ottoman au côté du deuxième Reich allemand. 60 Cipayes Indiens stationnés à « Alexandra Barracks » se sont rebellés contre les Britanniques de peur qu’ils ne soient obligés de se battre contre les Turcs, coreligionnaires musulmans. Ils ont ainsi fait irruption dans les casernes de Tanglin à l'improviste et ont tué 13 soldats britanniques, tout en libérant et armant 300 prisonniers de guerre allemands. La situation s'est intensifiée et l'armée britannique a déclaré la loi martiale, toutes les femmes et les enfants européens étant évacués vers des hôtels locaux avec une protection militaire, ou vers les navires du port, prêts à naviguer en cas de complication. La mutinerie, qui a duré plus de sept jours avant de pouvoir être maitrisée a plongé Singapour dans le chaos faisant redouter la chute de la ville.
Pendant la seconde guerre mondiale, lorsque les Britanniques se sont rendus aux Japonais le 15 février 1942 (le pire désastre de l’histoire militaire britannique selon Winston Churchill) « Tanglin Barracks » est devenue un centre de détention d’où 15 000 hommes furent déportés dans les prisons de Changi. En tant que prisonniers de guerre, les soldats anglais de la caserne de Tanglin durent effectuer des travaux forcés, notamment la construction du célèbre chemin de fer Thaïlande-Birmanie.
Après la guerre, la caserne de Tanglin a servi de quartier général des forces terrestres d'Extrême-Orient, jusqu'au retrait Britannique de Singapour en 1971. Le 10 février 1972, elle est devenue le quartier général du MINDEF et du CMPB, le centre d’enrôlement pour le service national. Il a ensuite été remis au Singapore Land Authority (SLA) en 1989 et dans les années 1990 des antiquaires, et boutiques de décoration ont commencé à apparaître.
Alors que « Tanglin village », devenait de plus en plus populaire auprès des expatriés et des communautés locales, SLA investit 3 millions de dollars pour son réaménagement en lieu dédié à l'art de vivre, à l'éducation et aux arts. « Tanglin Village » fut rebaptisé « Dempsey Hill » en 2007, du nom du général Miles Christopher Dempsey (1896-1969), commandant en chef des forces terrestres alliées en Asie du Sud-Est.
Les « Black & White Houses » parmi les plus belles maisons de Singapour
Regent Alfred John Bidwell (1869–1918), architecte du « Raffles Hôtel » fut le premier à lancer la mode des « Black & White Houses » avec l’inauguration de la « W. Patchitt House » à Cluny Road. Entre 1903 et 1928 ces maisons connurent un véritable essor et furent construites dans des écrins de verdure luxuriante pour les hauts fonctionnaires et propriétaires de plantations (Alexandra, Rochester et Dempsey), et pour le personnel militaire (Sembawang, Seletar et Changi).
Parmi les plus beaux exemples encore conservés sont le n°5 (Atbara) construit en 1898 et le n°7 (Inverturret) construit en 1902 situés à Gallop Road sur une colline au cœur du jardin botanique. Regent Alfred John Bidwell a adapté les maisons Victorienne de l’Angleterre du XIXe au climat local de Singapour, créant ainsi les premières « Black & White Houses » connues à Singapour. Au fil des ans, ces deux maisons sont passées entre les mains de nombreux propriétaires, mais de 1939 à 1999, les n°5 et 7 à Gallop Road abritaient respectivement l’Ambassade de France et la résidence de France.
Un style très caractéristique et une architecture innovante.
Dans son livre « Black and White, The Singapore House (1898-1941) » Julian Davison nous explique que ces maisons sont inspirées des maisons anglaises traditionnelles du XIXe. Elles portent les influences du style « Tudorbethan » qui mèle style « Victorian » et mouvement « Arts and Crafts » pour s'adapter à un environnement tropical. Les « Black & White Houses » tirent leur nom du contraste des poutres en bois sombres et des murs blanchis à la chaux que l'on trouve généralement dans ces maisons. La teinte noir foncé du bois est le résultat de son traitement contre les termites avec une huile appelée créosote.
Alors que l'idée originale de ces bungalows est venue d'Inde, les Britanniques se sont inspirés de la pratique malaise de construire des maisons sur pilotis pour les fondations des « Black & White Houses ». Qu'il pleuve ou qu'il fasse beau, ces maisons ont été construites pour résister à la fois aux fortes tempêtes tropicales et à la chaleur torride. Elles permettent également de rester à distance des insectes tropicaux et d’atténuer les craintes d'inondations pendant la saison des pluies.
Les « Black & White Houses » reposent sur des plates-formes surélevées constituées de piliers et d’arches. Le rez-de-chaussée est recouvert de carreaux pour maintenir la fraîcheur nocturne. Le bois est principalement utilisé au deuxième étage pour absorber le moins de chaleur possible. Les pièces sont positionnées stratégiquement pour minimiser l’ensoleillement et maximiser l’efficacité des brises naturelles pour aérer les bâtiments. Cela est permis par les grandes vérandas, et persiennes ainsi que les toits en surplomb à l'extérieur. Les premiers aident à fournir de l'ombre contre la lumière directe du soleil, tandis que les toits à forte pente aident à faire face aux précipitations et en même temps à attirer l'air chaud vers le haut, gardant ainsi la maison au sec et au frais.
Il ne reste actuellement qu’environ 500 « Black & White Houses », appartenant toutes à l’État singapourien au travers de la Singapore Land Authority (SLA). Pour en louer une c’est possible, vous devrez néanmoins soumettre une offre via le State Property Information Online (SPIO) et croiser les doigts. En attendant vous pouvez toujours flâner à Ridley Park, Chatsworth Road et Gallop road pour admirer ces magnifiques bâtisses de l’époque coloniale.