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Jean-Jacques Annaud présente « Notre-Dame brûle » à Singapour

Jean Jacques Annaud réalisateurJean Jacques Annaud réalisateur
Jean Jacques Annaud réalisateur
Écrit par Jean-Michel Bardin
Publié le 22 août 2022, mis à jour le 22 août 2022

Jean-Jacques Annaud, le réalisateur français reconnu mondialement, notamment par ses films « La guerre du feu », « Le nom de la rose », et « Sept ans au Tibet », a présenté son dernier film, « Notre-Dame brûle », le 19 juillet dernier au cinéma Shaw Lido en présence de plusieurs personnalités. Le Petit Journal a eu la chance de le rencontrer pour lui poser quelques questions à propos de ce film.

 

Lepetitjournal.com Singapour : Monsieur Annaud, quand et comment vous est venue l’idée de faire ce film ?

Jean-Jacques Annaud : Au moment de l’incendie, j’étais dans une maison de bord de mer sans télévision. Mais je n’ai pas eu de peine à imaginer la scène tant cette cathédrale m’est familière. Enfant, j’habitais en banlieue et, quand je venais à Paris avec ma mère, nous descendions à la station Paris-Pont-Saint-Michel. Quand on en sort, on ne peut pas manquer la vue sur Notre Dame. Ma mère, qui n’était ni pratiquante même vraiment croyante, venait parfois y faire brûler un cierge.

En entendant à la radio le récit édifiant de la catastrophe qui risquait d’emporter ce bâtiment mythique, j’ai imaginé qu’une foule de réalisateurs allaient se bousculer pour en faire un film. Il y a eu foule effectivement, mais pour réaliser des documentaires. C’est d’ailleurs un documentaire pour grand écran, à base d’archives, que me propose 10 mois plus tard Jérôme Seydoux, le patron de Pathé. Malgré ma très grande complicité avec lui, j’ai d’abord pensé refuser. Mais à la lecture des articles de presse qu’il m’avait remis, j’ai compris qu’il y avait dans ce drame une formidable histoire humaine, un suspens inattendu, un mélange trépidant et insolite de tragédie et de comédie. Un scénariste hollywoodien n’aurait pas pu imaginer pareille cascade d’invraisemblances. Exemple parfait de la réalité qui dépasse la fiction.

Finalement, s’agit-il d’un documentaire ou d’une fiction ?

C’est un long-métrage de fiction « documenté ». Je me suis attaché à appuyer le récit sur la réalité des faits. J’ai interviewé 162 témoins, la quasi-totalité des pompiers en opération lors de la catastrophe, la plupart des membres du clergé, le personnel laïc de la Cathédrale, les responsables des travaux, les riverains qui ont assisté à la scène depuis leurs balcons, les officiels de la mairie et de la préfecture de police.

« Notre-Dame brûle » est d’un genre à part, un film conçu pour les très grands écrans, les salles de cinéma en IMAX ou en Dolby Atmos. Il fusionne le spectacle du film catastrophe, le suspense du thrillers, l’émotion de la tragédie classique, sans se refuser l’irruption de scènes de comédie.
J’aime mélanger les genres, ne pas me retrouver coincé dans des carcans définis et étouffants.
Après avoir réalisé le film « L’Ours », on a voulu m’enfermer dans le tiroir des « cinéastes animaliers ». A la suite de « L’amant », certains m’ont classé parmi les très vulgaires experts du sexe à l’écran.  Le succès de « Enemy at the Gates » (« Stalingrad » en Français) m’a valu une avalanche de propositions de films de guerre - ma supposée nouvelle spécialité. Nul doute qu’après « Notre-Dame Brûle », perçu parfois comme un miroir du monacal « Le Nom de la Rose », prédécesseur lui-même du très bouddhiste « Sept ans au Tibet », je risque de me retrouver dans la rubrique des cinéastes mystiques.

Quels challenges avez-vous rencontrés dans le tournage du film ?

Compte tenu de l’état déplorable de Notre-Dame après l’incendie et la présence toxique des cendres de plomb, il était inenvisageable d’y tourner autre chose que quelques scènes dans les rares endroits épargnés. Et bien évidemment d’y réintroduire des flammes.  
Les scènes de feu ont donc été tournées dans des décors reconstitués à l’identique, en vraie grandeur. Soit à l’intérieur de plateaux de cinéma (Studios de Saint-Denis et de Bry sur Marne), soit dans ce qu’on appelle le « back-lot », c’est-à-dire le terrain extérieur attenant aux plateaux.  Pour les scènes sans flammes, nous nous sommes repliés dans d’autres cathédrales.
Dans le cinéma, quand la star est malade, on utilise des doublures.

Mes études d’art médiéval m’ont servi pour repérer les lieux les plus appropriés pour doubler Notre-Dame. Mon premier réflexe a été de me rendre à Sens, à 100 kilomètres au sud de la capitale, où a été édifiée la première cathédrale gothique du monde. C’est elle qui a servi de modèle à la cathédrale de Paris : piliers et colonnes très semblables, même pierre calcaire, dallage en damier copie conforme. J’y ai tourné les scènes en plongée, c’est à dire les vues du haut vers le bas.  
Ensuite j’ai choisi la cathédrale de Bourges à l’architecture inspirée par Notre-Dame, sur un plan similaire, avec cinq nefs comme à Paris, des voutes très hautes, des vitraux et des rosaces splendides. Là, j’ai filmé les plans en contre-plongée, c’est à dire caméra basse axée vers le haut.
J’ai fait l’appoint avec quelques brèves scènes tournées aux abords de l’église Sainte-Clotilde (dans le 7ème arrondissement de Paris), quelques intérieurs dans la cathédrale d’Amiens et des extérieurs à la Basilique de Saint-Denis en travaux.

 

Scène de feu en studio
Scène de feu en studio copyright Pathé

 

Pour les scènes d’incendie reconstituées, les mises à feu des décors ont requis des centaines de rampes à gaz, toutes contrôlées séparément, des lance-flammes, des tuyères sous pression pour les geysers de feu, des ventilateurs et des hélices d’avion pour propulser les fumées, de machines à brouillard sur bras élévateurs, et de cargaisons de fumigènes de différentes couleurs : gris ou blanc pour le bois, noir pour les bitumes et plastiques, et, en raison de ses composant de sodium et de souffre du jaune pour le plomb vaporisé.
Pratiquement rien en flammes digitales, à l’exception (sur près des 2000 plans du film) d’une dizaine d’images spécifiques impossible à récréer en life. Ces créations de synthèse ont demandé chacune un an de travail à plusieurs équipes dédiées.  
Pour un plan démarrant sur un petit camion rouge (refait en numérique) et montant le long de la cathédrale (transept reconstruit sur ordinateur) en accrochant au passage mes acteurs luttant contre les tourbillons du brasier (en life sur mon décor sur pilotis construit à Bry sur Marne) et terminant sur une photo aérienne fixe (réanimée en post-production avec remplacement de la toiture par le brasier qui dévore la charpente) j’ai refusé 72 étapes pour accepter enfin la 73ème…

Comment se situe « Notre-Dame brûle » par rapport à vos précédents films ? Y a-t-il une parenté avec eux ?

Il y a évidemment une parenté, puisque j’en suis le même papa. En fait, deux grandes passions ont influencé mes choix cinématographiques.

J’ai fait mon service militaire au Cameroun. Je me suis fondu dans la culture africaine. Depuis, je retourne tous les ans en Afrique. C’est là que j’ai tourné mon premier film, « Black and White in color », alias « La Victoire en Chantant » qui m’a valu l’oscar du meilleur film étranger à Hollywood en 1977. De là, m’est venu une passion pour l’ethnologie, l’anthropologie, et la zoologie. Dans cette veine, se situent « La guerre du feu » alias « Quest for Fire », « L’Ours/ The Bear », « Deux frères/ Two Brothers », et encore « Le dernier loup / Wolf Totem ».

Mon autre passion, c’est le Moyen Âge, lié aux mystères d’un monde soumis à l’église. Quand j’étais adolescent, j’aimais m’évader en écoutant de la musique sacrée. J’ai été complètement étranger aux chanteurs de l’époque « Yéyé », les Sheila, Sylvie Vartan et autres. J’ai souvent rencontré le touchant Johnny Halliday, mais j’aurais été incapable de lui fredonner une seule de ses chansons. J’ai préféré aux concerts pops l’atmosphère recueillie des églises. Je suis un athée pur-sang, mais je suis ému par les lieux de culte, la beauté des architectures religieuses. J’ai choisi de faire des études de lettres avec options histoire de l’art du Moyen Âge et histoire du Moyen Âge.

Avant de démarrer le film, vous avez lancé un appel à témoins pour récupérer des vidéos prises au moment de l’incendie. A-t-il été fructueux ?

Oui. La première semaine, j’ai reçu 6000 vidéos, et au final 35.000. 7% du film s’appuie sur ces images tournées, souvent avec talent, par les témoins de l’époque.

A la sortie de votre film en France, quelques critiques ont été assez méchantes. Comment y réagissez-vous ?

« Notre-Dame brûle » a bénéficié d’une couverture médiatique exceptionnelle, rare, incroyablement élogieuse, partout où le film est déjà sorti.  Il a été vendu dans 154 pays. Certains organes de la presse écrite à laquelle vous faites référence a eu une vraie influence sur la pensée de la rive gauche de Paris - où j’habite quand je suis en France - et sur le milieu du cinéma. Pour cette presse, le public est un agrégat de cons. Si vous faites salle comble, c’est que votre film réjouit la masse des cons. Le chic parisien, c’est l’échec honorable. Le succès commercial est un impardonnable. La dramatique disparition du cinéma français sur les écrans des circuits commerciaux dans le monde s’explique ainsi. Quand la France vend un film ou une série télé, l’Amérique en vend 1000, quand la France gagne 1 dollar à l’étranger, l’Amérique en gagne 1000. Professionnellement, je me suis très tôt éloigné de l’Hexagone, dès la fin des années 70, pour échapper à cette malédiction.

Qu’avez-vous retiré du tournage de ce film ?

A travers mes innombrables rencontres avec ces gens étonnants que sont les pompiers, j’ai découvert que le monde n’était pas entièrement pourri. Ces femmes et ces hommes ont choisi de gagner peu pour dormir en paix avec leur conscience. Ils risquent leur vie pour sauver d’autres vies. Ils n’ont pas besoin de crâner ni de le faire savoir. Leur cœur le sait. Tous, du simple troufion aux généraux, tous sont habités par cette fascinante humilité.

Je note au passage la très grande admiration et amitié qui lie la Brigade de Paris à celle de Singapour.

Pourquoi être venu à Singapour, petit pays si loin de la France pour présenter votre film ?

J’aime beaucoup l’Asie, ses civilisations, ses populations. Je trouve les gens de ce continent intelligents, raffinés, beaux. Ce n’est pas par hasard si plusieurs de mes films (« L’Amant », « Sept ans au Tibet », « Deux frères ». « Le dernier loup ») y ont été tournés. Je suis venu plusieurs fois à Singapour. Je séjournais au Raffles. C’était avant qu’il soit défiguré pour plaire aux clients plaqués or.

Initialement, le film devait être lancé en Chine, en Corée et au Japon en juin, mais les contraintes imposées par le Covid en ont retardé la diffusion. Cette projection en avant-première à Singapour, est aussi la première dans cette partie du monde. Un test qui m’a réjoui. Le film sortira en projection publique en novembre prochain.

 

 

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