Professeur agrégé de chinois puis inspecteur pédagogique régional, Alain Labat est également président de la Fédération des associations franco-chinoises. C’est pourtant sur Singapour qu’il décida d’écrire son premier livre : L’Odyssée du Merlion. Un ouvrage qui retrace l’histoire de cette cité-État, du Moyen Âge à aujourd’hui. Il se confie au Petit Journal sur ses convictions et les prochains défis auxquels sera confrontée la cité-État.
Singapour, synchronicité ou coïncidence ?
Alain Labat fut le premier professeur de chinois dans le secondaire, dans l’académie de Lyon. Une époque où le chinois était exclusivement réservé à l’enseignement universitaire. Envieux de ses collègues qui enseignaient des langues européennes et qui, chaque année, emmenaient leurs élèves à la découverte des pays, il pensait impossible de faire de même. « Il était fou de croire qu’un programme d’échanges universitaires dans les années 80, entre la France et la Chine, pouvait naître » explique-t-il. Seulement, lors d’une conversation enrichissante avec Xavier Leclercq, proviseur de son lycée de l’époque, et directeur de l’Alliance française de Singapour dans les années 1960, il apprit que cette cité-État avait 4 langues officielles, dont le mandarin. Il sauta dans un avion, direction Singapour, avec un seul objectif en tête : créer un partenariat entre les deux pays. Le ministre de l’Éducation singapourien accepta de l’accueillir et se montra enthousiaste face à ce projet. C’est ainsi que l’aventure commença, cette même aventure qui durera 26 ans.
Écrire un ouvrage vivant et lisible
« Transposer des adolescents des années 80, de la France à Singapour, garantissait un dépaysement total. Immergés dans une culture très différente de la leur, aussi bien sur la vie scolaire que la vie familiale, ils rencontraient de réelles difficultés à s’adapter ». Ainsi, Alain Labat voulut les préparer davantage, en amont et sur place, à la vie singapourienne. Or, fermement convaincu que pour comprendre un pays, il est indispensable de connaître son histoire, il leur expliqua le passé de cette cité de façon adaptée et vivante. « Cela leur permettait de s’intéresser réellement au pays ». Les résultats furent satisfaisants, très vite les difficultés d’adaptation disparurent et ce séjour devint d’autant plus profitable. « De là est née mon envie d’écrire ce livre, avec comme objectif que ce ne soit ni un ouvrage d’historien, ni un ouvrage universitaire, mais que ce soit un ouvrage bien écrit, vivant et lisible par les personnes qui vont et qui s’intéressent à Singapour ».
Tout ce qui est unique est intéressant
Spécialiste de la Chine, Alain Labat ne peut s’empêcher de comparer ces deux pays lorsqu’on lui demande ses impressions. « Singapour est très petit, compliqué, mais extrêmement intéressant. Je me suis rendu compte que ce pays était une bonne introduction à l’Asie ». Il continue sur des notes positives : « C’est un pays unique, à la fois par sa petite taille, par son rayonnement économique, et maintenant diplomatique, par son mélange de communautés, quasiment unique au monde, et qui fonctionne sur le plan social, économique et politique de façon originale. Tout ce qui est unique est intéressant ». Cependant, Alain Labat se plaint qu’à l’époque, les écrits, ouvrages universitaires entre autres, façonnaient l’idée que l’histoire de Singapour commençait en 1819. Année où le colonisateur Thomas Stamford Raffles, acheta les terres de Singapour et nomma Farquhar comme commandant, « ce qui est très flatteur pour les Britanniques », ajoute-t-il.
« En préparant ce livre, j’ai pris conscience que Singapour n’avait pas d’historiens ». Problème résolu aujourd’hui, d’autant plus que l’archéologie fit son apparition pour la première fois à Singapour en 1984. « De là, la perception des Singapouriens et des étrangers a totalement changé », précise-t-il avec enthousiasme. « Ce livre je lui trouve un défaut, la partie concernant l’histoire avant 1819 est un peu légère », se justifiant qu’il n’existait que très peu de travaux sur cette période lorsqu’il a commencé à écrire le livre. « Cette ville a, en réalité, plus de 700 ans, avec beaucoup de trous noirs en termes de documentation, mais tout cela est en train de changer grâce au travail des archéologues ».
Lee Kuan Yew, le de Gaulle singapourien
La première fois qu’Alain Labat visita Singapour fut en 1964. Selon lui, une décennie plus tard, ce jeune pays ressemblait beaucoup à la ville chinoise Xiamen, dont beaucoup de Singapouriens sont originaires. « Même dialecte, même cuisine, même odeur, même architecture ».
En une génération, le gouvernement a réussi à faire de Singapour un pays moderne et développé qui laisse rêveur un certain nombre de visiteurs. « Ils ont un parcours étonnant, et ce qu’est Singapour aujourd’hui doit beaucoup à Lee Kuan Yew, le de Gaulle singapourien ». Un homme avec une vision différente. Personne ne pensait que la ville pouvait être viable. Lui, avait basé tout son plan politique sur l’indépendance de Singapour dans le cadre d’une fédération avec la Malaisie. Cette dernière est née en 1963. Deux ans plus tard Singapour était expulsé.
Mise à part sa situation géographique, c’est un pays pauvre, ni industrie, ni agriculture, etc. Le challenge était donc de créer un pays viable dans un contexte régional difficile. « L’Indonésie, la Malaisie et Singapour, ne se regardaient pas avec des yeux d’amour.
Lee Kuan Yew avait une vision juste de la potentielle viabilité. Il savait que ces micro-États ne pouvaient vivre que sous certaines conditions, relevant à la fois de la politique intérieure, de la prospérité et de l’autorité, et de conditions géopolitiques, c’est-à-dire, jouer sur l’équilibre des puissances pour ne pas se faire dévorer ».
Une situation compliquée dans les années à venir
« En Chine, le passé est imprévisible, le futur l’est davantage. Le passé et l’avenir de Singapour sont tout aussi difficiles à prévoir ». Alain Labat pense que les futurs dirigeants de Singapour vont devoir faire face à une situation particulièrement compliquée dans les années à venir. Sur le plan géopolitique, Singapour a réussi à créer un équilibre parfait entre leurs relations avec la Chine et les États-Unis. Or, l’amitié entre le président Donald Trump et le président Xi Jinping devient de plus en plus compliquée. Les futurs dirigeants de Singapour vont devoir choisir leur camp. « Je pense que l’un de leur devoir sera de connaître parfaitement l’histoire de leur pays, et de réfléchir sur ce qu’il l’a rendu riche et prospère au cours de ces derniers siècles ». Autrement dit, l’avenir de Singapour dépendra beaucoup de l’évolution des relations entre la Chine et les États-Unis, connaissant sa dépendance à l’international. « C’est l’un des pays les plus ouverts au monde. Je suis persuadé que le 21e siècle sera le siècle de la confrontation, espérons que cette confrontation soit pacifique ».
« Quand les éléphants se battent, l’herbe alentour est écrasée, quand il font l’amour aussi »
Ceci est un proverbe indonésien que Lee Kuan Yew aimait beaucoup répéter devant les instances internationales. Que signifie-t-il ? « Il veut dire que nous sommes dans la jungle, et que dans la jungle, il existe de gros prédateurs et de tous petits animaux. Singapour est une petite créature vivante. Le message signifie que Singapour est extrêmement dépendant de ces super puissances régionales. Quand les éléphants se battent, on en souffre, et quand ils s’entendent bien aussi. Ceci est, chaque jour, plus vrai. On espère que les éléphants ne vont pas s’affronter trop violemment ».