Alors que la Chine a dévoilé un chiffre de croissance pour 2021 de 8,1%, bien au-dessus de l’objectif "d’au moins 6%" fixé par l’État, les résultats du 4ème trimestre (4% contre 4,9% au 3ème) laissent entrevoir un net ralentissement de l’économie.
Les mesures sanitaires mises en place lors de chaque rebond épidémique et l’intervention « musclée » de l’État dans plusieurs secteurs (immobilier, géants de la tech, soutien scolaire, divertissement, jeux vidéo…) pèsent sur la croissance.
Cette dynamique impacte négativement le marché de l’emploi, et particulièrement les jeunes actifs, qui sont, eux aussi, à la recherche de stabilité.
Officiellement, le taux de chômage urbain (hors travailleurs migrants) reste similaire au niveau prépandémique (5,1% en 2021 contre 5% en 2019). De même, les créations d’emploi (12,07 millions durant les onze premiers mois de 2021, contre 12,8 millions en 2019) n’ont que très légèrement ralenti.
Néanmoins, d’autres données laissent entrevoir une réalité plus préoccupante. Durant les onze premiers mois de 2021, 4,3 millions de PME ont mis la clé sous la porte (un record), contre seulement 1,3 million de créations d’entreprises sur la même période (10 fois moins qu’en 2019).
Rien que dans le secteur du soutien scolaire, 40% des 128 000 entreprises ont fermé depuis que l’Etat leur a ordonné de devenir des organisations sans but lucratif en juillet 2021. Plus de 3 millions d’employés et professeurs sont concernés : les plus chanceux sont réaffectés ou trouvent une place dans un établissement public, les autres sont congédiés…
Du côté des jeux vidéo, privés de licence de mise sur le marché depuis juillet 2021, c’est 140 000 (petites) entreprises qui ont mis la clé sous la porte en moins de six mois. Un chiffre en forte augmentation par rapport aux 180 000 fermetures enregistrées sur toute l’année 2020. Même les géants du secteur, comme ByteDance, Baidu, Tanwan Games, Tencent et NetEase, ont été contraints de procéder à des licenciements.
Chez iQiyi et Kuaishou, plateformes de (courtes) vidéos, c’est entre 20% et 40% des employés qui vont être remerciés, en partie par manque de « contenu » approuvé par les autorités.
Face à ces perspectives déprimées dans le secteur privé, le nombre de demandeurs d’emploi souhaitant intégrer le secteur public a doublé par rapport à 2020, selon le site de recrutement Zhaopin.
Hier boudée par la jeunesse, la fonction publique connaît un fort regain d’intérêt. Fin 2021, ils étaient 2,12 millions d’inscrits au concours d’entrée – un record. Même si les fonctionnaires sont moins bien payés (de 3000 à 5000 yuans mensuels) que dans le secteur privé, c’est la garantie d’un emploi à vie et les avantages sociaux qui rendent ce « bol de riz en fer » (铁饭碗 ; tiě fàn wǎn) si attirant pour les jeunes, dans un contexte de ralentissement économique.
Selon un rapport publié le 4 janvier, près de 50% des jeunes diplômés ont intégré le secteur public en 2021. Cette proportion s’élèverait à 70 % chez les diplômés de la prestigieuse université Tsinghua (Pékin).
Cette statistique a interpellé l’opinion. « Ces chiffres sont encore plus choquants lorsqu’on les compare aux États-Unis : seuls 3% à 5% des diplômés d’Harvard et du MIT choisissent de travailler pour le gouvernement américain. Si nos jeunes les plus brillants arrêtent de contribuer à la recherche et à l’innovation, la ‘suprématie technologique’ de la Chine pourrait bien devenir inatteignable », s’inquiète un utilisateur de Weibo.
Si la plupart des internautes imputent cette tendance à la crise sanitaire et aux longues heures de travail dans le secteur privé (le fameux « 996 »), d’autres y voient des facteurs politiques : « les efforts pour promouvoir ‘la prospérité commune’ pèsent lourdement sur de nombreux secteurs. Les tensions géopolitiques entre la Chine et d’autres pays rendent également moins attractif de travailler pour une société étrangère. Ce sont les raisons pour lesquelles travailler pour l’État est devenu le choix de carrière le plus sûr », analyse l’un d’entre eux.
Plusieurs études démontrent en effet que pour les jeunes Chinois (particulièrement ceux sans parcours international), intégrer une grande compagnie chinoise est plus attrayant que de rejoindre les rangs d’une multinationale étrangère. Cette préférence donnée aux entreprises chinoises n’est peut-être pas « étrangère » au nationalisme qui prévaut depuis quelques années.
Il est à noter que seuls 8,9% des étudiants de l’université de Beida et 6,9% de ceux de Tsinghua ont choisi de partir à l’étranger en 2021 pour poursuivre leurs études (contre 15,3% en 2019) – principalement à cause de la pandémie et de la détérioration des relations avec les États-Unis, première destination d’accueil.
Quoi qu’il en soit, le fait de reléguer le secteur privé (et l’étranger) au second plan risque de s’avérer contreproductif pour Pékin. Cela pourrait nuire à l’innovation et à l’esprit entrepreneurial, qui ont porté l’incroyable croissance qu’a connue la Chine ces dernières décennies et restent indispensables à la concrétisation du « rêve chinois ».