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Yayoi Kusama, ses années néerlandaises

Des citrouilles multicolores gigantesques, aux salles entières recouvertes de petits points de tous les diamètres jusqu’aux installations immersives “Infinity Mirror Room,” les œuvres de l’artiste Japonaise Yayoi Kusama (94 ans) nous plongent dans son univers éclectique, excentrique, voire provoquant.

Entrée de l'exposition au musée (Photo: Emma Dailey)Entrée de l'exposition au musée (Photo: Emma Dailey)
Entrée de l'exposition au musée (Photo: Emma Dailey)
Écrit par Emma Dailey
Publié le 19 octobre 2023, mis à jour le 20 octobre 2023

Devenue l'une des artistes internationales les plus célèbres et les plus exposées du monde, son style distinctif lui a valu un public fidèle. Elle a joué un rôle important dans plusieurs mouvements de l'art d'après-guerre dont le Pop Art et l'art de la performance.  L’exposition ‘Yayoi Kusama. Les années hollandaises 1965-1970’, fait pourtant découvrir une période de sa vie moins connue, mais toute aussi intriguante. L'exposition présente ses premières sculptures, peintures et installations, ainsi qu'une multitude de photographies et de films inédits des nombreux évènements et défilés de mode qu'elle a réalisés aux Pays-Bas. Cette documentation raconte l'histoire de Kusama, jeune artiste ambitieuse, essayant de se faire connaître en dehors du Japon.

 

“Yayoi Kusama. The Dutch Years 1965-1970” a été réalisée par le Stedelijk Museum Schiedam en étroite collaboration avec Tijs Visser, directeur et fondateur de 0-INSTITUTE, qui effectue des recherches sur les années néerlandaises de Kusama depuis de nombreuses années. Cette exposition rassemble plus de 30 œuvres de l'artiste réalisées entre 1965 et 1970, aux Pays-Bas. La plupart proviennent de collections privées, et ont pour la plupart été offertes par Kusama à des artistes et écrivains avec lesquels elle s'était liée d'amitié. Dans de nombreux cas, ces œuvres n'ont pas été exposées en public depuis les années 1960. 

 

Stedelijk Museum Schiedam
Stedelijk Museum Schiedam (Photo: Emma Dailey)

 

"Infinity Mirror Rooms,"  "polka-dots," et “art-médicament”

 

Au cours des dernières décennies, cette artiste contemporaine est devenue une figure emblématique de l'art contemporain, connue pour son exploration de thèmes tels que l'identité, l'infini et l'expérience humaine. Une grande partie de son art est autobiographique et reflète ses luttes personnelles, ses peurs et ses désirs. Elle utilise d’ailleurs son art pour exprimer ses problèmes de santé mentale, affirmant dans un entretien en 2012: “Je lutte contre la douleur, l'anxiété et la peur tous les jours, et la seule méthode que j'ai trouvée pour soulager ma maladie est de continuer à créer de l'art." Elle qualifie son travail “d'art-médicament,” pour elle-même et pour son public.

 

Kusama est peut-être plus connue pour ses installations immersives et hypnotiques, les “Infinity Mirror Rooms,” comme “Fireflies on Water” (2002), “The Souls of Millions of Light Years Away” (2013), ou “Brilliance of the Souls” (2014). Ces installations artistiques consistent en des salles à miroirs remplies d'un éventail semblant infini de ses motifs caractéristiques, tels que les pois et les citrouilles. Elle en a créé environ vingt, qui ont été exposées partout dans le monde, y compris au Guggenheim de New York et au Tate Modern de Londres. 

 

Il est aussi possible d’en visiter aux Pays-Bas. "Infinity Mirror Room - Phalli's Field" (1975), la première “mirror room”, se trouve au Museum Boijmans Van Beuningen à Rotterdam, où elle est exposée en permanence dans l’entrée du musée depuis 2010 (A noter que ce musée est actuellement en rénovation et donc fermé). L’exposition ‘Yayoi Kusama. Les années hollandaises 1965-1970, présente aujourd’hui la pièce Infinity Polka Dots Room, réalisée pour son exposition personnelle à la galerie Orez de La Haye en 1967. 

 

 'Infinity Mirrored Room—The Souls of Millions of Light Years Away' 2013 au Hirshhorn Museum en March 2017 (Photo: Ron Cogswell, Wikimedia)
 'Infinity Mirrored Room—The Souls of Millions of Light Years Away' 2013 au Hirshhorn Museum en March 2017 (Photo: Ron Cogswell, Wikimedia)

 

La répétition ad infinitum n’est pas uniquement présente dans son art sous cette forme. Surnommée “la princesse à pois” ('the princess of polka dots'), ce motif , le pois, revient constamment dans son travail, depuis ses débuts.  Elle en recouvre souvent divers objets - comme des citrouilles qui symbolisent pour elle à la fois une source durable de subsistance et un sentiment d'émerveillement enfantin - et même son propre corps. Elle considère cette pratique comme étant un moyen d'effacer le moi et de se fondre dans l'univers.

 

Installation "Pumpkin" de Yayoi Kusama sur l'île Naoshima au Japon (Photo: KimonBerlin - https://www.flickr.com/photos/kimon/26726528766/)
Installation "Pumpkin" de Yayoi Kusama sur l'île Naoshima au Japon (Photo: KimonBerlin - https://www.flickr.com/photos/kimon/26726528766/)

 

“Notre terre n'est qu'un point parmi un million d'étoiles dans le cosmos. Les pois sont un chemin vers l'infini. Lorsque nous effaçons la nature et notre corps avec des pois, nous devenons partie intégrante de l'unité de notre environnement.” - Yayoi Kusama

 

À l'âge de dix ans, Kusama a commencé à avoir de vives hallucinations qu'elle a décrites comme des "éclairs de lumière, des auras ou des champs denses de points", se multipliant et l'engloutissant, un processus qu'elle a poursuivi dans sa carrière artistique et qu'elle appelle "l'auto-oblitération". Ce sont ses hallucinations qui sont à l'origine de son obsession pour les pois. Kusama se présente consciemment en « prêtresse à pois » devant les objectifs des photographes néerlandais.

 

"Les pois ont la forme du soleil, la source d'énergie, et de la lune, qui représente le calme" - Yayoi Kusama

 

 « Infinity Love Room »
« Infinity Love Room » au Stedelijk Museum Schiedam (Photo: Emma Dailey)

 

Dès l'école primaire, elle dessine et peint ces motifs, qui la hantent pendant ses hallucinations.  Ses parents ne la soutenaient pas dans ses efforts créatifs et lui confisquaient ses œuvres d'art pour la dissuader de continuer. Elle passe une enfance difficile. À l'âge de 13 ans, Kusama commence à travailler dans une usine militaire où elle est chargée de coudre  des parachutes pour l'armée japonaise, pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est enfin à 20 ans, en 1948, qu’elle part étudier la peinture Nihonga à l'école municipale d'art et d'artisanat de Kyoto. Elle commence sa carrière en tant que peintre, d'abord au Japon puis en France, avant de partir aux États-Unis en 1957. À 27 ans, elle fait déjà partie des cercles d'artistes progressistes à New York. 

 

En 1961, elle installe son studio dans le même bâtiment que Donald Judd et de la sculptrice Eva Hesse. C’est à cette période qu’elle rencontre l'artiste néerlandais Henk Peeters, l'un des fondateurs du groupe Nul, qui organise régulièrement des expositions incluant des œuvres de Kusama. 

 

 

‘Héroïne culte’ de la révolution sexuelle aux Pays-Bas

 

En 1965, elle visite les Pays-Bas pour la première fois, afin de participer à l'exposition Nul au Stedelijk Museum d'Amsterdam. Même si elle vit aux États-Unis dans les années 1960, elle expose plus souvent aux Pays-Bas qu’en Amérique. Pendant cette période, elle expose à La Haye, Delft, Amsterdam et Schiedam. La galerie internationale Orez, basée à La Haye, a joué un rôle important dans son parcours artistique en lui consacrant trois expositions personnelles et en l'associant à de nombreuses activités. Les thèmes clés de l'œuvre de Kusama pendant cette période, sont la libération sexuelle, l'image de soi et la critique institutionnelle. “Normaliser et intégrer l’érotisme dans la vie quotidienne correspond à l’atmosphère de rupture des tabous qui régnait aux Pays-Bas dans les années 1960, lorsque la jeune génération résiste à ce qu’elle considère comme la morale sexuelle restrictive de ses parents,” précise-t-on dans l’exposition. 

 

Mais même si le travail de Kusama reflète la révolution sexuelle et les tendances à briser les tabous des années 1960, son art est enraciné dans certains aspects traumatisants de son enfance. Sa mère l'envoyait espionner son père lors de ses aventures extraconjugales. Ceci lui a inculqué tout au long de sa vie un mépris pour la sexualité, en particulier le corps masculin et le phallus : "Je n'aime pas le sexe. J'étais obsédée par le sexe. Quand j'étais enfant, mon père avait des amantes et j'avais l'habitude de le voir. Ma mère m'envoyait l'espionner. Pendant des années, je n'ai voulu avoir de relations sexuelles avec personne [...] L'obsession sexuelle et la peur du sexe se côtoient en moi," dit-elle, dans un entretien avec The Financial Times.

 

Pendant ses ‘années néerlandaises,’ Kusama fait face à ses peurs, sexuelles en répétant des motifs de phallus, de la nourriture (en particulier des macaronis) et des fleurs dans son travail. À New York, Kusama avait déjà commencé à réaliser ses « agrégations », des objets du quotidien recouverts d'ajouts de tissu en forme de pénis (ou phallique). En 1962, elle les présente dans une exposition collective aux côtés d’Andy Warhol. Un exemple, qu’elle a conçu spécialement pour une de ses premières expositions à Schiedam, est ‘Phallic Girl’ (1967) un mannequin peint aux couleurs dorées et argentées, recouverts de phallus en coton. 

 

‘Phallic Girl’ (1967)
‘Phallic Girl’ (1967) au Stedelijk Museum Schiedam en octobre 2023 (Photo: Emma Dailey)

 

Kusama combine aussi ses points et pois avec les thèmes de l'érotisme, et la remise en question de tabous, à travers des évènements, ou ‘happenings.’ Lors de l'ouverture de « Infinity Love Room » à Orez, Kusama commence à peindre les visiteurs et encourage son public à la rejoindre. L'ambiance est électrique. S'ensuit un happening avec les artistes Jan Schoonhoven, Gust Romijn et Jacob Zekveld, qui finissent complètement nus pour être peints.

 

 "J'ai fait quelque chose comme ça cinq fois maintenant à New York... Pas complètement nue. L'Amérique est très dure sur ce point... Ouais, puritaine." - Yayoi Kusama

 

L'événement à Delft est donc le premier de Kusama avec des personnes entièrement nues dans un espace public. Dans les semaines suivantes, des festivals Naked Body auront lieu à Schiedam, Amsterdam et Utrecht. L’une des plus célèbres performances réalisées par Kusama a lieu dans la chapelle du Stedelijk Museum Schiedam en 1967, au cours de laquelle elle a peint le corps nu du célèbre artiste Jan Schoonhoven à l'aide de points. La publicité est un objectif clé pour Kusama, qu'elle atteint par le biais de ces événements, mais plus important encore, elle innove dans son travail, le “happening” devenant pour elle un nouveau média, avec lequel elle peut amener son art à un public plus large.


 

Ce sera enfin au printemps 1971, que Kusama retourne à New York après six mois aux Pays-Bas. C'est sa dernière visite aux Pays-Bas et, deux ans plus tard, elle retourne définitivement dans son Japon natal où elle est admise dans un établissement de santé mentale. “En regardant la période de 1965 à 1970 avec la perspective d'aujourd'hui, nous trouvons une artiste vulnérable dans un environnement indiscipliné, mais en même temps nous voyons la force d'une artiste mondiale dotée d'une volonté inébranlable. Tout ce qui la rend célèbre et aimée aujourd'hui est déjà là lors de son séjour aux Pays-Bas,” conclut l’exposition.

 

Planifiez votre visite

 

Installé dans un ancien hôpital datant de 1787, le Stedelijk Museum Schiedam est situé au Hoogstraat 112, 3111 HL, Schiedam. C’est à 20 minutes à pied, 7 minutes à vélo, ou 15 minutes en tram de la station Schiedam Centraal. Schiedam Centraal est desservie par des trains NS, et est connectée au réseau de métro de Rotterdam par les lignes A, B, et C.

 

 

Le musée est ouvert du mardi au dimanche, de 11 heures à 17 heures, et est fermé le lundi sauf  le lundi de Pâques, de Pentecôte et le “second” jour de Noël (“tweede Kerstdag”, le 26 décembre). Il est par contre fermé le jour du Roi (Koningsdag), le jour de Noël (“Eerste kerstdag” le 25 décembre) et le jour de l'An. La veille du Nouvel An, le musée ferme à 16 heures. L’exposition Kusama est accessible avec un billet d’entrée générale pour le musée que vous pouvez acheter en ligne ici, ou sur place. Ce billet vous permet d’accéder aux autres expositions, qu'elles soient permanentes ou temporaires.

 

Centre ville de Schiedam (Photo: Emma Dailey)
Centre ville de Schiedam (Photo: Emma Dailey)

 

Du mardi au vendredi, un buffet est proposé dans le hall d’entrée du musée avec des produits locaux de Schiedam et des environs. Le musée à la particularité de proposer un système "payez ce que vous estimez devoir". Le samedi et le dimanche, il n'y a pas de buffet de midi, mais vous pouvez toujours prendre une tasse de café ou de thé accompagnée d’une friandise. Autrement, le site du musée recommande en ville le Zavor Coffee Experience, Vlaamsch Broodhuys Schiedam, et De Beurs Schiedam.


 

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