S’ils ont quitté la Nouvelle Calédonie : la Nouvelle Calédonie ne les a jamais quittés. Éloignés pour quelques semaines ou plusieurs années, ils sont la preuve que l’on peut avoir des racines et des ailes. Partons ensemble à la rencontre de ces Calédoniens explorateurs, voyageurs, créateurs…
Aujourd’hui j’ai RDV avec Kevin Naran : Danseur et Chorégraphe
C’est lors d’un Zoom (vive les nouvelles technologies en temps de Covid-19) plein de bonne humeur contagieuse que Kevin a pris le temps de me parler de son parcours et de ses inspirations ; de ses envies et motivations pour l’avenir. Kevin a passé sa petite enfance dans le Nord de la Nouvelle-Calédonie, et c'est important pour lui de le préciser. C’est d’ailleurs une des premiers choses qu’il me dit avant même que je lui pose la question !
A chaque fois que je retourne dans le Nord : il y a cette odeur de la brousse, ça m'interpelle de façon animale ; c'est assez incroyable et je ne retrouve cette odeur nulle part ailleurs.
Cette odeur autour de Canala c’est l’odeur de son enfance qu’il a gardée en lui, c’est l'esprit du Nord de Nouvelle-Calédonie.
Son parcours d’une île à l’autre
Kevin a obtenu un bac S avec mention à Dumbéa, et à cette époque rien de le prédestinait à la danse. Il a d'abord choisi de se diriger vers une carrière de prof d’EPS. Pour cela il est parti en métropole, à la fac de Montpellier puis à Lille; et c'est là qu'il a rencontré la danse. Plus précisément la danse contemporaine en laquelle il découvre un monde « extraordinaire » me dit-il.
Lui qui avait toujours connu le milieu du sport comme un milieu compétitif rigide, où tout se chiffre et s’évalue, il découvrait de son jeune œil néo-calédonien : la souplesse du corps en mouvement, des formes et des volumes, des états de corps, des immobilités :
Je ne savais pas que l’on pouvait faire ça avec la danse. Les champs des possibles se sont ouverts à moi.
Tout s’enchaine pour Kevin. En préparant son mémoire sur la danse et les nouvelles technologies, on lui conseille de passer des auditions, ce qu’il fait en se rendant à Paris pour l’audition d’une compagnie Corse : CréaCorsica. C’est la deuxième audition de sa vie et il est retenu parmi 300 les candidats. C’est le début d’une grande aventure au sein de cette compagnie dont il est aujourd’hui le directeur.
Expatriation et Inspiration
En 2014 Kévin commence à se demander de quelle manière il veut témoigner de la Nouvelle-Calédonie. Ce questionnement coïncide également avec une commande de la compagnie CréaCorsica. Pour cette première création Kévin se pose la question de ce qu’il veut écrire et transmettre en tant que chorégraphe.
Je pouvais écrire cette lettre au monde avec ce que j’avais appris c'est-à-dire les nouvelles technologies et la vidéo.
Est-ce que je préférais faire une danse à la mode pour rentrer dans le moule ? Ou est-ce que j’allais essayer d'être authentique quitte à ce que ça ne marche pas…?
Kévin n’a pas voulu faire de mimétisme et a pris l'initiative de créer un spectacle presque autobiographique mais qui resterait Universel. Reviennent à lui ces images et sons du Nord de la Nouvelle-Calédonie : les sons des vagues, des bruissements de la brousse et du vent, tout cela se retrouve dans son premier spectacle Oculus dont voici le teaser :
La musique est signée Jean-Michel Giannelli qui dresse comme un portrait musical de Kévin avec l’utilisation des percussions et cette ambiance indonésienne (Kévin est métissé javanais). Kévin se reconnaît dans ce son et c’est en cela aussi que c’est un spectacle autobiographique imprégné de cette sensation de la Nouvelle-Calédonie. La beauté du silence est aussi une des forces du spectacle. Comme me l’explique Kevin :
Le silence n'est jamais vide. Il est un signe de la Nouvelle-Calédonie comme le silence de la coutume, le silence de la nuit en case. J’y ai retrouvé ces sensations. Il a fallu faire ce spectacle pour me rappeler tout ça.
Avec Oculus Kévin réaffirme une autre nuance de son identité et son envie de partager ses idées avec sa génération : une génération nouvelle de néo-calédoniens dont il fait parti.
L’interview MOTS CLEFS
CréCorsica - Palais de Chaillot - Trajectoire K
Si je te dis : CREA CORSICA
Kevin : C’est la chorégraphe Pat O’Bine et le metteur en scène et réalisateur Jean-Michel Ropers qui sont à l'origine de la compagnie. Pat est une chorégraphe passionnante, une personnalité très vive et directe. Pendant mes études à Lille j'avais l'impression que ma spontanéité disparaissait, et tout d'un coup cette chorégraphe a un coup de cœur pour mes propositions et pour ma gestuelle. En 2015 elle m'a proposé de créer une de mes pièces et c’est là qu’Oculus est né, et que tout s’est enchainé.
Cette année-là a été incroyable pour moi, j’ai pu jouer à Paris et en Nouvelle-Calédonie. C'était beau de voir les gens venir à mon spectacle au Centre Culturel de Nouméa, rester après la pièce, me féliciter. C'était un solo de 40 minutes avec un super régisseur lumière ; Oculus a été une bouteille à la mer mais quel bonheur de voir le résultat, je suis très fier du parcours de cette pièce. Et tout cela a été réalisable grâce à CréaCorsica.
J'avais sans le savoir déjà acquis une certaine légitimité de chorégraphe. Partir sur la base de mon identité néo-calédonienne pour aller vers l'universel m'a fait me distinguer des autres. Je propose quelque chose de complètement nouveau, c'est une proposition qu'on accepte ou non mais c’est ce qui a fait que l’on s’intéresse à moi. J'insiste sur le fait d'une quête identitaire mais surtout universelle ; et je défends le fait que dans la compagnie nous sommes dans un système de synergie. Dans un spectacle aujourd'hui les gens veulent un appel à la vérité, pas seulement du spectacle.
Ma dernière création Duos dans le vent est un exemple de mon activité en tant que directeur.
Si je te dis : Palais de Chaillot
Kévin : C'était en 2014. Carolyn Carlson est venue en Corse et m’a sélectionné pour faire sa masterclass ; et elle m’a ensuite invité à la suivre en résidence au Palais de Chaillot. C’était un rêve qui devenait réalité. Carolyn Carlson est la chorégraphe qui a apporté la danse contemporaine en France ; pour moi elle est unique. Je crois que ces moments au Théâtre National de Chaillot ont été parmi les moments les plus heureux de ma vie.
Ça a été très formateur pour moi, j'ai assisté au processus de création de Carolyn Carlson, avec une équipe professionnelle dans un milieu très stimulant. Une fois là-bas on est imprégné du lieu et de ce quartier formidable : à côté de la Tour Eiffel et du Palais de Tokyo ! Sur une note plus personnelle, c'est à cette époque que mon grand-père est décédé. Alors pendant cette résidence à Chaillot j'ai décidé qu'il ne fallait pas que je parte et que la meilleure chose à faire était de rester et de profiter. C’est aussi quelque chose qui m'a forgé. A chaque fois que j'ai un doute ou une fragilité je me dis qu’au contraire il faut que je sois là et que j'agisse. Dans les moments de doute je repense tout de suite à la Nouvelle-Calédonie et au fait que c'est important que je sois là, que c'est précieux pour une raison qui m'échappe. J'ai l'impression que je dois faire toutes ces choses pour représenter la Nouvelle-Calédonie, pour représenter ma famille.
A la fin de la résidence avec Carolyn Carlson au Palais de Chaillot, j'ai versé des larmes. Ce n'était pas des larmes de fatigue ou de tristesse, c'était plutôt l'acceptation du moment présent. Accepter que les choses avancent et réaliser notre importance en tant que nouvelle génération. C’était des larmes d'espoir.
Et puis j’ai travaillé avec Carolyn Carlson !! Il y aura toujours en moi une réminiscence de sa personnalité, de son mouvement, de sa sincérité et de sa conviction; elle m'inspire autant que la Nouvelle-Calédonie.
Si je te dis : TRAJECTOIRE K
Kevin : Implicitement bien sûr cela signifie Trajectoire Kanak. A l'origine c’est un spectacle de Laetitia Naud et de Richard Digoué. En 2016 Laetitia cherchait quelqu'un pour le rôle de Richard et c'est moi qui l'ai eut ! Et là j’ai retrouvé en moi le Nord de la Nouvelle-Calédonie et mon instinct kanak. C'était un rôle très identitaire, et dans la chevelure, dans la barbe et même dans mon regard : je ne me reconnaissais plus, j'étais vraiment devenu kanak. Je suis métisse kanak du côté de ma mère, et tout d’un coup c’est une part entière de moi qui a ressurgit. J’ai pris ce rôle très à cœur.
Ça m’a ouvert sur d’autres horizons, et en même temps c'était une nouvelle manière de m'exprimer de façon beaucoup plus historique.
Trajectoire K est pour moi un spectacle frère d’Oculus, j'ai ressenti beaucoup de confort à le danser et à en parler. C'est un spectacle frère aussi de par ses racines et ses trajectoires. Ils sont liés par un arbre commun, je pense que c'est la démarche de beaucoup de Calédoniens, je pense que l'on n'oublie pas qui on est, ni d'où l'on vient.
Les projets et actualités de Kévin
Kévin aime se fixer des objectifs, et même en temps de Covid-19, il a des projets plein la tête. Ses deadlines pour 2021 sont notamment la diffusion de la captation de Duo dans le vent sur France 3. Courant avril il va être chorégraphe sur le court métrage de Gino Pitarch. Il va également certifier son diplôme d’état en danse contemporaine avec une formation de 400 heures au centre National de Danse de Lyon. Bref l’année 2021 s’annonce chargée en création pour Kévin.
Je vous laisse sur une note dansante au rythme des percussions du Pacifique qui vont à coup sûr vous faire rêver et voyager ! Ci-dessous le teaser de From the plage, spectacle jeune public créé par Kévin en 2018, commandé par le Territoire Rochefort Océan, mettant en lien la ville de Rochefort et son ouverture vers l'Océanie.
Merci à Kévin d'avoir pris le temps de partager son univers avec moi. Son enthousiasme et sa passion sont contagieux, sa détermination furieusement inspirante, et son talent simplement évident.