Quelle différence y a-t-il entre une pie, un canard et un journal ? Françoise Danflous, lexicographe, nous offre une nouvelle échappée linguistique et étymologique franco-italienne sur les traces du journal en italien et en français.
La pie, le canard et la gazette. On dirait le titre d'une fable de La Fontaine, alors on s'attend à des animaux qui parlent comme nous et une morale disant que le plus fort ou le plus rusé l'emporte. Ou bien une devinette : quelle différence y a-t-il entre une pie, un canard et un journal ? On sait bien qu'il ne faut jamais répondre si l'on ne veut pas se faire prendre. Pareil ici. Voici trois compères que rien n'assemble, tout au moins à l'œil nu, tombés dans la même histoire par le plus grand des hasards. Et l'emportera qui aura plus de bagou.
Il y a une pie dans la gazette. Un article sur les pies ou une vraie de vraie, cornegidouille, emberlificotée dedans ? On a beau tourner la question dans plusieurs sens, l'énigme résiste. Oui mais, tiens tiens, pas chez les Italiens. Demandons-leur s'il y a une gazza (pie) dans la gazzetta (gazette) et, avant même qu'une réponse soit donnée, c'est le premier tilt. Les mots gazza et gazzetta ont un bel air de famille et notre gazette à nous, maintenant on le voit, en dérive à coup sûr. La première gazette en Europe, la gazzetta delle novità (gazette des nouveautés), c'est à Venise qu'on pouvait l'acheter, ou se la faire lire, au prix d'une petite monnaie valant deux sous. Et c'est à cette monnaie-là, appelée gazzetta, petite pie, que, par effet de mimétisme, elle doit son nom. Alors tant pis si l'histoire ne dit pas que cette pièce portait un oiseau noir et blanc gravé dessus ou qu'on lui avait donné ce nom parce que, comme tout ce qui brille, elle attirait les convoitises de la pie voleuse de chez nous et de la gazza ladra des Italiens et de Rossini. Le tour était joué et les mots gazzetta et gazette entrés de pied ferme dans les deux langues.
Entre pie et canard, la gazette de quartier
La pie bavarde n'est pas que l'autre mauvaise réputation de l'oiseau cleptomane, c'est aussi le nom scientifique de son espèce qui, comble de redondance, appartient au genre pica signifiant... bavard. Comme ça, c'est clair. Annonçant des nouvelles de la vie locale et quotidienne, le prix du vin, les dates des foires, les objets trouvés, la gazzetta voulut capter un public plus étendu. Pour susciter la curiosité, elle accueillit un monde entier dans ses feuilles, disant tout, vraiment tout sur les Turcs, les guerres en cours, les couronnements et les scandales. Et voilà que la gazzetta (ou gazzettino) ambulante, gazette ambulante, ou gazzetta del quartiere, gazette de quartier, qui se dit aussi chez nous, en vint à désigner le bavard impénitent, médisant et fastidieux. En France, au fil du temps et du succès de plus en plus grandissant de ces publications, c'est le canard, cancanier notoire de nos mares domestiques, qui vint ajouter ses cris et ses couacs à l'idée jubilatoire du pataugeage. Jusqu'à confondre son nom avec celui du journal.
« Ni canard ni renard n'ont à voir avec leurs équivalents italiens, anatra et volpe »
Le canard, le volatile, fut d'abord un canart, avec un t, et c'était le sobriquet pour un homme très loquace. Le nom entra dans le dictionnaire après coup, comme le fit renard en lieu du goupil dans le sillage du Roman de Renart. Eh bien voilà, plus la peine de se demander pourquoi ni canard ni renard n'ont à voir avec leurs équivalents italiens, anatra et volpe, plus fidèles à leurs origines latines anas et vulpes ! Quoique. Il y eut bien une tentative. À ses débuts en français, canard, roi tapageur des basses-cours avec l'oie, se disait ane (à la latine) et c'est pour éviter la confusion avec l'âne qu'on l'affubla du surnom de ce grand bavard de sieur Canart. Le mot passa donc d'un homme (à la langue bien pendue), à la ferme (sonore et turbulente) puis au kiosque.
Retour à la gazette. Les lecteurs avaient pris l'habitude d'être informés mais surtout étonnés; calamités, crimes, événements spectaculaires. Le mot canard pour journal convenait à merveille, faisant allusion à la fois au crieur de rue qui le vendait en cancanant comme une volaille et au mépris pour les racontars qu'il colportait. Car, avec les nouvelles arrangées et les rumeurs, miracles et monstres ne tardèrent pas à faire leur apparition. Le serpent de mer, serpente di mare, finit d'ailleurs par désigner en français comme en italien, une fausse nouvelle. Fake, très fake news bien avant l'heure.
La pie, le canard et la gazette. La fable de trois personnages en chair et en os ou en papier journal frappés de parlote aigüe et rivalisant de nouvelles fraîches et bruits de couloir pour pimenter nos journées perso trop fades. Tout comme l'étymologie, foi d'animal, qui vient toujours à point pour nous offrir son lot d'histoires à n'y pas croire !