Le système de protection de « tutele crescenti » contre les licenciements abusifs est-il plus avantageux que celui prévu par l'article 18 du statut des travailleurs ?
La protection contre les licenciements illégitimes en Italie a changé de manière significative au cours des dernières années, en particulier avec les réformes du 2012 et de 2015, ainsi que par décret-loi du 12 Juillet 2018, n. 87 (Décret Dignité). Malgré les interventions législatives, les juges ont joué un rôle clé dans ces changements, jusqu'à la récente décision de la Cour constitutionnelle (n° 22/2024).
L’Art. 18 du Statut des Travailleurs
Afin de comprendre la récente intervention de la Cour constitutionnelle, il est nécessaire de revenir brièvement sur le chemin qui a conduit à la réglementation actuelle des licenciements. Le régime initial prévu par l'article 18 du Statut des travailleurs était très protecteur, car l'employeur étant tenu de réintégrer le travailleur dans toutes les situations de licenciement abusif. Cette protection n'était réservée qu'aux employés travaillant dans des entreprises de plus de 15 salariés. Dans les entreprises plus petites, la protection était moindre, limitée à la seule indemnisation.
En 2012 le Parlement a introduit un système de sanction modulé en fonction des motifs de nullité ou d'illégitimité du licenciement. L'objectif de cette réforme était d'introduire un mécanisme dans lequel la réintégration représentait une hypothèse résiduelle, une expression des défauts "plus graves" susceptibles d'invalider le licenciement.
Aujourd'hui, l'article 18, comme modifié par la réforme du 2012, s'applique aux travailleurs embauchés avant le 7 mars 2015, et il prévoit la protection suivante :
a) Protection intégrale de la réintégration en cas de : (i) licenciement nul parce qu'il est discriminatoire, (ii) parce qu'il est effectué à l'occasion du mariage ou (iii) en violation des interdictions de licenciement énoncées à l'article 54, paragraphes 1, 6, 7 et 9, du texte consolidé des dispositions législatives sur la protection et le soutien de la maternité et de la paternité, établi par le décret législatif du 26 mars 2001, n °. 151 du 26 mars 2001, tel que modifié, (iv) ou est imputable à d'autres cas de nullité prévus par la loi ou (v) est déterminé par un motif illicite au sens de l'article 1345 du code civil. Dans ce cas, l’employeur sera condamné à payer tous les salaires à partir de la date du licenciement jusqu’à la réintégration et une indemnisation qui ne pourra être inférieur à cinq mois de salaire;
b) Protection limitée de la réintégration (licenciements disciplinaires illégaux, pour raisons économiques, pour raisons objectives dues à l'inaptitude physique ou à la violation du délai de congé ou parce qu'une sanction conservatrice a dû être appliquée). Dans ce cas, le montant de l’indemnité équivaut à un maximum de 12 mois de salaire.
c) Protection uniquement indemnitaire (licenciements illégaux disciplinaires ou économiques) Dans ce cas, de 12 à 24 mois de salaire.
d) Protection indemnitaire limité (violation de la procédure, absence de justification). Dans ce cas, l’indemnité est entre les 6 et 12 mois de salaire.
Les « Tutele crescenti »
Le système a ultérieurement été diversifié en 2015 (l. 23/2015) avec la loi « tutele crescenti », pour les travailleurs embauchés après le 7 mars 2015 et modifié par décret-loi du 12 juillet 2018, connu sous le nom de « Décret Dignité », qui a augmenté l'indemnisation pour le licenciement illégal des travailleurs employés en CDI. Voici le type de protection :
e) Protection intégrale de la réintégration (pour les licenciements nuls, discriminatoires, oraux et « autres cas de nullité expressément prévus par la loi ». Dans ce cas, l’employeur devra payer la rémunération aux travailleurs de la date du licenciement jusqu’à la réintégration et le montant de l’indemnisation ne pourra être inférieur à cinq mois de salaire ;
f) Protection limitée de la réintégration (pour les licenciements sans motif valable ou justification objective lorsque l'absence du fait matériel est prouvée devant un tribunal). Dans ce cas, le montant de l’indemnité est un maximum de 12 mois de salaire ;
• Protection uniquement indemnitaire (pour les licenciements disciplinaires illicites et pour des raisons objectives illégales). Dans ce cas, de 6 à 36 mois de salaire ;
• Protection indemnitaire limité (pour les vices formels de la procédure disciplinaire). Dans ce cas, de 2 à 12 mois de salaire.
Les décisions des juges
Les juges de la Cour de Cassation, ainsi que la Cour Constitutionnelle, ont fait des interventions qui ont affecté de manière significative le système de protection contre les licenciements illégitimes.
La première intervention, et certainement la plus importante aux fins de déstabiliser ce système, a été faite par l'arrêt 194 de 2018, qui - à l'encontre du cas presque identique soumis à l'attention de la Cour constitutionnelle française - a déclaré l'illégitimité constitutionnelle du mécanisme automatique qui liait l'indemnisation pour l'illégitimité du licenciement au seul élément de l'ancienneté du travailleur. En particulier, il a déclaré inconstitutionnelle la partie dans laquelle l'article 3 fixait l'indemnité « à hauteur de deux mois du dernier salaire de référence pour le calcul de l'indemnité de licenciement pour chaque année de service ».
Une même volonté de démolition s'est ensuite manifestée dans la déclaration d'illégitimité de l'arrêt du 16 juillet 2020, n° 150 concernant l’illicéité des licenciements pour vices de forme, puis dans deux arrêts prononcés en matière de licenciement pour cause objective sous le régime de l'article 18 du Statut des travailleurs, tel que réformé par la loi Fornero de 2012.
L’arrêt de la Cour Constitutionnelle n.22 du 22 février 2024
C'est dans ce contexte que s'inscrit la plus récente des interventions de la Cour Constitutionnelle (arrêt n° 22 de 2024), qui a déclaré l'illégitimité constitutionnelle de l'article 2, paragraphe 1, du décret législatif n° 23/2015, dans la mesure où il reconnaît la protection de la réintégration totale et illimitée uniquement dans les cas de nullité « expressément » prévues par la loi.
En bref, la Cour d'appel de Florence avait constaté la nullité du licenciement disciplinaire d'un employé pour violation des procédures d'application des sanctions disciplinaires, excluant la réintégration en vertu de l'article 2, paragraphe 1, du décret législatif 23/2015, car il ne relevait pas des cas de nullité expressément prévus par la loi.
Les deux parties ont contesté la décision devant la Cour de Cassation qui, par ordonnance du 7 avril 2023, a soulevé la question de la légitimité constitutionnelle, au regard de l'article 76 de la Constitution, de l'article 2, paragraphe 1, du décret législatif 23/2015 (tutele crescenti).
La Cour Constitutionnelle, après avoir reconstitué les arguments avancés à l’appui de l’ordonnance de renvoi, a estimé que la question de la légitimité constitutionnelle était fondée. En fait, la Cour a jugé illégitime l'exclusion de la Protection intégrale de la réintégration des cas de nullité "virtuelle" (c'est-à-dire les cas de nullité qui ne sont pas expressément prévus à l'article 2), qui sont la conséquence de la violation de règles impératives conformément à l'article 1418 du code civil italien, bien qu'ils ne soient pas expressément mentionnés par la loi.
Les « Tutele Crescenti » sont-elles devenues plus protectrices de l’Art. 18 du Statut des Travailleurs ?
Les décisions adoptées par les juges au cours de cette période ont modifié de manière significative la structure du système de protection contre les licenciements abusifs. Alors que l'objectif initial du législateur italien était de construire un système dans lequel seule l'indemnisation était la règle et la réintégration l’exception, la situation a changé après les interventions de la Cour. Par conséquent, dans le système actuel, on pourrait envisager que le régime de protection contre les licenciements abusifs déterminé par les « tutele crescenti » soit aussi plus protecteur que celui de l'art. 18. En effet :
- le montant de l'indemnité (de 6 à 36 mois de salaire) est potentiellement plus élevé ;
- les hypothèses de réintégration dans les « tutele crescenti » ont étés augmentées, également à la suite de la dernière décision de la Cour Constitutionnelle;
- Même si pour les licenciements pour motif économique la réintégration dans le système de « tutele crescenti » n'est pas prévue, si les motifs sont manifestement infondés, on pourrait contester aisément la nullité du licenciement, étant vraisemblablement fondé sur des motifs illicites et/ou discriminatoires (afin d'obtenir une condamnation à la réintégration « intégrale » du travailleur).
Toutefois, les syndicats ont récemment proposé un référendum pour l’abrogation du régime de protection prévue par le D.Lgs. n. 23/2015, il pourrait donc y avoir dans les prochain mois un nouveau scénario dans lequel évaluer l’évolution des protections pour les travailleurs contre les licenciements abusifs.