Antoine Bernardeau et Kadidia Sanogo-Bernardeau ont créé "Inaya Permaculture & Beyond", un collectif pour la préservation et la régénération de la Terre au bénéfice de ses habitants en Jordanie. Antoine Bernardeau est le lauréat du Prix du Public des Trophées des Français de l’Étranger 2020, soutenu par la Banque Transatlantique.
Antoine Bernardeau et Kadidia Sanogo-Bernardeau nous font voyager dans un monde où la nature et l’être humain ne font qu’un. Passionnés par le voyage, ils étudieront les plantes, les animaux, la condition des sols et l’eau à travers un périple dans 35 pays. Ils ont choisi en 2016 de poser leurs valises en Jordanie où ils font découvrir les bienfaits de la permaculture grâce à leur collectif Inaya Permaculture & Beyond.
Le manque de fertilité des terres est une problématique qui revenait à la bouche des habitants de la ville comme de la campagne.
Vous êtes parti avec votre femme, Kadidia, faire un tour du monde de trois ans à travers 35 pays et sans avion. Qu'est-ce que ce long voyage vous a apporté ?
En France, nous travaillons dans le domaine associatif et humanitaire. Nous avons rencontré Pierre Rabhi, un écologiste qui a popularisé le terme d’agroécologie, c’est-à-dire, l’étude des terres cultivables. Quand nous avons quitté la France, fin 2012, personne ne connaissait et ne parlait de permaculture.
Ce voyage nous a permis de faire une pause et un bilan sur l’état de notre planète. Nous avons voyagé avec notre sac à dos et peu d’équipement. Nous voulions nous libérer de choses futiles, mais qui nous semblaient importantes avant ce périple. Une des motivations de notre tour du monde était de partir à la rencontre de nouvelles personnes et de nouveaux territoires. Nous avons observé comment les populations traditionnelles et rurales envisageaient la nature et leur manière de se comporter face à elle. Pour la plupart, elles veulent se tourner vers l’écologie et s’intéresser à la régénération des terres. Le manque de fertilité des terres est une problématique qui revenait à la bouche des habitants de la ville comme de la campagne, quelle que soit leur origine sociale. Faire revivre la Terre et ses héritiers est apparu comme une nécessité.
À présent, en France, des discussions autour de la permaculture naissent, notamment grâce au film à succès "Demain". Un film qui va à la rencontre de femmes et d’hommes qui inventent un autre monde respectant la nature et les humains, de nouvelles façons de faire de l’agriculture, de l’économie et d’autres formes d’éducation. Les mentalités françaises évoluent, je pense par exemple à un article du journal "Le Point" où le fondateur du groupe Auchan, Gérard Mulliez affirmait, qu’un jour, tout le monde serait obligé de se mettre à la permaculture.
Nous sentions que nous pouvions faire bouger les choses et amener une culture plus saine en Jordanie.
Après avoir découvert autant de pays et de cultures différentes, pourquoi avez-vous choisi de vous installer en Jordanie ?
Nous avons passé six mois en Jordanie pendant notre tour du monde de trois ans, ce qui nous a laissé le temps de créer un réseau et de connaître les terres locales.
Nous avons choisi la Jordanie pour participer au projet phare "Greening The Desert", qui oeuvre pour la qualité de l'environnement. C’est Geoff Lawton, mon professeur en permaculture, pionnier dans ce domaine, qui a créé ce projet il y a plus de 10 ans. Il consiste à faire des démonstrations et à éduquer les gens sur des exemples de conception de la permaculture dans un paysage extrêmement dégradé.
Les Jordaniens sont sensibles aux questions du "manger bio". Nous participons à un marché biologique à Amman implanté depuis huit ans. Il propose des produits locaux provenant de nos fermes partenaires, d’agriculture biologique pour sensibiliser la clientèle locale. Nous sentions que nous pouvions faire bouger les choses et amener une culture plus saine en Jordanie, plus qu’ailleurs. Économiquement, ce projet nous semblait réalisable grâce à la dynamique écologique qu’offre la Jordanie.
La localisation du pays nous a séduite puisque nous sommes entre Jérusalem et La Mecque. Notre voyage était aussi un pèlerinage et nous avons choisi d’y poser nos bagages.
"Inaya Permaculture & Beyond" a la vocation de faire passer un message universel : prendre soin de la Terre c’est prendre soin de l’Homme.
Quelle est la vocation de votre collectif "Inaya Permaculture & Beyond" ?
"Inaya Permaculture & Beyond" a la vocation de faire passer un message universel : prendre soin de la Terre c’est prendre soin de l’Homme. Sa vocation première est de préserver, régénérer la Terre et contribuer au bien-être de ses habitants. "& Beyond" "et au-delà" rejoint l’idée du voyage spirituel. Au-delà des techniques d’agricultures que nous enseignons, il y a l’alliance entre l’être humain et la terre. Nous évoluons dans un monde arabo-musulman et notre approche passe par la réconciliation de la population locale avec ses racines spirituelles. J’ai découvert que dans la tradition musulmane, nous retrouvons des notions d’écologie.
Nos démarches permettent de transmettre un message aux populations rurales. L’écologie n’est pas quelque chose de nouveau, c’est ancré dans leurs traditions et leur histoire. Notre initiative est un retour aux sources et aux bonnes pratiques par le biais du travail de la terre. Nous souhaitons contribuer à recréer un sentiment d’abondance sur notre terre, en faisant revivre la fertilité des sols et des cultures. Nos activités incluent le conseil, la formation et le développement de projets permacoles en France et au Moyen-Orient.
Pouvez-vous me parler des événements que vous organisez pour faire connaître la permaculture auprès du grand public ?
Nos événements prennent plusieurs formes, celle de rencontres, de débats, de visites et de formations. Nous organisions des événements afin de constituer des banques de graines. C’est un réseau que nous avons créé pour échanger des graines saines, appelées semences paysannes, biologiques et reproductives. Cette initiative est notre petite contribution contre la privatisation du vivant. Nous luttons contre les grands géants spécialisés dans les biotechnologies agricoles tels que Monsanto, Bayer qui utilisent des OMG et des pesticides dans le traitement de leurs terres.
Des formations sont proposées, régulièrement, dans plusieurs endroits en Jordanie, dont la réserve naturelle du Jordan Eco-Park, sous forme d’introductions à la permaculture ou de cours plus complets, intitulés CCP, Cours de conception en permaculture. Les CCP durent de 10 à 12 jours. Le but est de permettre aux populations locales de quitter la ville pour venir se ressourcer à la campagne et se reconnecter à la terre. Bouger leur quotidien et transmettre une connaissance pointue de l’agroécologie sont nos objectifs. Quand nous sommes dans notre "train-train" quotidien, il est difficile de se rendre compte de l’importance de l’érosion des sols, de la nourriture saine ou du traitement des terres cultivables. Le collectif transmet le "vivre autrement" dans un cadre convivial et sain et à travers des visites. Les membres du collectif et nous-mêmes, organisons des visites dans les plus beaux sites de la Jordanie, dans la cité nabatéenne de Petra, le désert de Wadi Rum, Aqaba, la Mer Rouge et la Mer Morte. Des projections de documentaires sont organisées pour attirer le public et pour débattre.
En France, avec des amis, nous avons créé un centre entièrement dédié à la permaculture et à l’agroécologie. "L’îlot des Combes" est un lieu de ressourcement, de partage et de production présent en Bourgogne Franche-Comté, au Creusot. Depuis cinq ans, il accueille un public international et travaille la terre pour la faire revivre. J’ai un pied dans ce centre pour sensibiliser les Français et parvenir à récolter des fonds pour le collectif. La proximité du lieu (1h20 de train de Paris au Creusot en TGV) permet à des familles de découvrir la permaculture. Notre objectif est de réunir un public français et de l’emmener jusqu’en Jordanie où ils pourront découvrir de nouveaux outils.
Les techniques alternatives pour travailler la terre semblent être la solution pour conserver et entretenir nos terres.
Qu'est-ce que la permaculture peut apporter au développement d'une agriculture plus respectueuse de l'environnement ?
La permaculture c’est l’acronyme de deux mots qui ont fusionné : "permanent and culture" (culture permanente). L’agriculture permanente permet le développement d’une culture durable et saine. Dans la tête d’une majorité de Jordaniens, il faut immigrer et abandonner ses terres. Ils pensent que c’est en Europe ou en Amérique qu’ils pourront réussir leur vie et vivre correctement. Les Jordaniens me questionnent et me demandent "Pourquoi tu vis ici alors que tu as un passeport français ?". Nous essayons de leur expliquer qu’avec une abondance alimentaire, ils peuvent vivre et être épanouis en Jordanie. Il faut prendre ce problème à bras-le-corps pour éviter les vagues de migrations humanitaires. Selon moi, personne ne quitte sa terre natale sans déchirement et sans que ce soit par nécessité. Nous pouvons accompagner ces populations pour qu’elles ne prennent pas le chemin de l’exil. Les techniques alternatives pour travailler la terre semblent être la solution pour conserver et entretenir nos terres.
Est-ce que les populations locales sont réceptives à vos initiatives ?
En Jordanie, vous pouvez voir deux grands types de public. Une minorité qui regroupe des habitants riches et une population très pauvre. La population dite aisée a eu la chance de voyager et vivre à l’étranger. Ils ont été sensibilisés à l’environnement, l’écologie, et connaissent les enjeux environnementaux.
En face, vous pouvez trouver un public qui est déjà sensibilisé à la permaculture par nécessité. Les réfugiés palestiniens, les réfugiés irakiens et aujourd’hui les réfugiés syriens sont dans une situation de grand dénuement. Dès qu’ils peuvent avoir accès à la terre, ils la cultivent et la respectent. Ils comprennent et savent l’importance de pouvoir se nourrir.
Il existe aussi un public d’expatriés qui nous connaissent très bien puisque nous venons du même monde. Nous avons l’opportunité de travailler avec des publics très divers.
Certaines personnes ont pris conscience, durant la pandémie de Covid-19 qu’il fallait changer leurs habitudes.
Dans votre activité professionnelle, quels ont été les changements induits par la pandémie mondiale ?
Certaines personnes ont pris conscience, durant la pandémie de Covid-19, qu’il fallait changer leurs habitudes, leurs modes de vie et réfléchir à une certaine forme de résilience.
Pendant la crise sanitaire, les frontières de la Jordanie étaient fermées. Nous avons trouvé un lieu pour créer un nouveau centre de formation destiné à un public urbain. Il se situe à quelques kilomètres du centre d’Amman, la capitale jordanienne. L’idée est d’accompagner cette population urbaine vers une transition écologique en les formant aux techniques de la permaculture. Nous souhaitons faire un lieu de démonstration avec ce qu’il est possible de réaliser en ville comme trier ses déchets, faire du compost, planter sur les toits et les balcons, fabriquer du terreau de qualité et designer son jardin pour rendre cet espace le plus fonctionnel possible.
Pour répondre à la forte demande du public après cette crise sanitaire, nous nous sommes rendus compte que nous devions mettre en place des modules de formation en ligne. Nous avons été contactés, essentiellement par un public francophone installé, par exemple, au Canada, au Maroc ou encore en Tunisie. Nous voulons rendre ces outils de formation disponibles à un plus grand nombre de personnes puisqu’il est encore impossible de se déplacer à l’étranger.
Vous pouvez soutenir le collectif "Inaya Permaculture & Beyond" en cliquant-ici.