Si l’on tape "les professions les plus recherchées", les secteurs du commerce, de la logistique, ou des télécommunications arrivent en première position. Tout ce qui est lié au numérique offre bien sûr d'excellentes possibilités d'emploi, mais ce ne sont pas les seules. Des experts en RH nous l’expliquent.
En ce début d’année, les trois premières places du classement des postes les plus demandés en Espagne sont occupées par les téléopérateurs, les représentants de commerce et les conducteurs de véhicules de livraison. Selon infojobs, la vente, les achats, la logistique, l'informatique et les télécommunications représentent presque la moitié des postes vacants.
Les téléopérateurs polyglottes
Le cas des téléopérateurs est significatif. La demande est très forte, que ce soit avec ou sans langues, avec ou sans profil commercial. "Il y a un grand boom -dans ce secteur– xplique Françoise Martinage, CEO du groupe spécialisé en ressources humaines CRIT-, en particulier pour les langues, et pas seulement l'anglais, mais aussi le français, l'allemand ou les langues nordiques. On parle d’entreprises basées en Europe du Nord qui décide d’installer en Espagne des call centers pour leur pays, parce qu’ici les salaires sont plus bas et les coûts d'exploitation sont donc plus faibles. L'Europe de l'Est constitue d’ailleurs un grand concurrent pour l’Espagne, ainsi que le Portugal, car les salaires y sont bien moins élevés".
Dans le domaine de la logistique, qui va de pair avec le boom du commerce en ligne, il y a également une forte demande, et au sein de la logistique, le profil de conducteur est très recherché, mais pas n’importe lequel. "Il n'y a pas de problèmes pour trouver un magasinier –souligne un responsable du groupe CRIT- mais c’est différent dans le cas, par exemple, d’un conducteur de chariot élévateur avec permis, car c'est très demandé et difficile à trouver".
Françoise Martinage cite également l'immobilier qui s’est réactivé et "constitue un secteur en plein essor dans lequel de nombreux vendeurs sont recherchés. La demande de professionnels de la santé, qui avait explosé, s’est un peu calmée. Enfin, il y a toujours un boom dans l’agroalimentaire, qui est un secteur très stable".
En outre, pratiquement tout ce qui est lié au saut dans le monde digital offre d'excellentes possibilités d'emploi, comme nous le verrons, mais ce ne sont pas les seules. Il existe également des profils qui ne sont pas directement liés à ce secteur mais qui nécessitent de plus en plus une forte composante de nouvelles technologies.
Le vendeur du futur en Espagne : plus technologique et plus spécialisé
C’est par exemple le cas des profils commerciaux, qui étaient déjà très recherchés avant la pandémie, et qui le sont toujours. Mais, cette fois, avec le digital en plus. En effet, les entreprises ne cherchent pas seulement des vendeurs qui travaillent, comme jusqu’ici, sur place, mais aussi, qui puissent le faire en ligne.
Vendeur hybride
D’ailleurs, selon une analyse menée par le cabinet mondial de services professionnels BTS, la transformation numérique, qui s’est accélérée depuis la pandémie, a entraîné un changement culturel dans le rôle des vendeurs. Le degré de spécialisation, ainsi que la connaissance des outils numériques et de l'analyse des données deviennent essentiels pour un secteur où la vente virtuelle et hybride est déjà une réalité.
L'étude menée par BTS souligne que 6 managers sur 10 exigent de leurs vendeurs des compétences numériques et des connaissances en matière d'analyse de données. Selon l'étude, 80% du parcours du client se déroule en ligne, avant même qu'un vendeur n'intervienne, un changement de modèle qui a été accéléré par la pandémie et la course au commerce électronique.
En outre, la vente traditionnelle se transforme en conseil, afin d'offrir des solutions et des recommandations au consommateur au lieu d'une simple information, et un niveau de spécialisation plus élevé est jugé nécessaire pour ce type d’employé.
Autre profil qui évolue de plus en plus, selon les experts : le Customer Relationship Management CRM, qui est aujourd’hui un outil crucial pour la transformation numérique et la réalisation de la stratégie commerciale. Les systèmes de CRM deviennent de plus en plus sophistiqués, avec des solutions qui vont bien au-delà des fonctions purement orientées vers le client. L'analyse des données et une véritable maîtrise de ce type de ressources vont donc devenir des compétences indispensables pour les équipes de vente.
Un avenir de plus en plus numérique chez les Espagnols
Pendant la pandémie, le processus de digitalisation des entreprises et de la société s'est accéléré, ce qui a généré de nouveaux besoins en Espagne. De la numérisation au boom du travail hybride, le monde du travail évolue à une vitesse vertigineuse. De nombreux secteurs ont dû s'adapter rapidement aux changements et, avec eux, les professionnels. Et cela ne fait que commencer.
Pour l'Espagne, LinkedIn a d’ailleurs une prévision claire : "Au cours des cinq prochaines années, deux millions de nouveaux emplois liés aux technologies seront créés en Espagne. La grande majorité ira au secteur du développement de logiciels, créant plus de 1.300.000 nouveaux emplois". Actuellement, il y a environ 300 000 employés dans le développement de logiciels en Espagne.
Deux millions de nouveaux emplois liés aux technologies seront créés en Espagne
Toujours selon LinkedIn, le deuxième secteur à la croissance la plus rapide dans les années à venir sera lié au cloud et aux données, avec 315.000 nouveaux emplois. Le secteur des analystes de données, de l'apprentissage automatique et de l'intelligence artificielle ferme le podium avec 265.000 nouveaux emplois. Le classement est complété par 76 000 nouveaux emplois dans le domaine de la cybersécurité et 20.000 autres dans tout ce qui touche à la vie privée et au domaine juridique.
Pénurie de profils digitaux
Alberto Muñoz, directeur du recrutement IT & Digital chez Robert Walters résume parfaitement la situation : "Dans le secteur du numérique, il y a bien plus que le plein emploi. On peut plutôt parler de pénurie de professionnels et l’effet domino est radical : chaque professionnel qui part est vécu comme un drame pour l’entreprise, car il est très difficile de le remplacer".
Les head hunters dérangent en Espagne !
Le panorama est tel, pour certaines professions spécifiques, que les head hunters commencent à être mal vus. "Les chasseurs de têtes -explique Alberto Muñoz-, ont toujours été bien reçus. En fin de
compte, c’était quelqu’un qui apportait de bonnes nouvelles en annonçant que votre profil intéressait telle ou telle entreprise. Aujourd’hui, on est arrivé à une situation où, pour les développeurs, par exemple, on ne leur apporte pas de bonnes nouvelles, on les ennuie ! En fait il y en a même qui suppriment leurs profils de LinkedIn et autre sites du même genre, et certains deviennent désagréables lorsqu’un head hunter ose les déranger !".
Parmi les profils les plus recherchés par ces « paparazzis » d’un nouveau genre, on peut citer tout ce qui est lié à la cybersécurité, et aux données, c'est-à-dire Big Data, Data Enginering. Mais celui qui monte en flèche est le développeur logiciel. "C’est un profil très demandé -souligne la responsable du groupe CRIT-. Il reçoit plusieurs offres par semaine, car il y a très peu de candidats".
La chasse aux développeurs est ouverte
Pour Alberto Muñoz, les raisons sont claires : "Tout commence par une idée, et ensuite il faut la développer. C’est pour ça qu’il y a une vraie résurgence du développement logiciel et c'est un véritable tsunami en termes de demande de développeurs. Mais le plus populaire est le full stack developer, parce que c'est quelqu'un qui sait un peu de tout sur tout dans ce domaine, et c’est encore plus difficile à trouver".
Des difficultés structurelles de recrutement
Mais pourquoi est-ce si difficile de trouver des candidats ? Car même si la pandémie a accéléré le mouvement, la transformation digitale n’est pas nouvelle.
Là encore, les experts s’accordent à dire que le problème de base est celui de l'adéquation entre la demande des entreprises et l'offre de professionnels. "Je me demande comment c’est possible – signale Muñoz- qu'il y ait un tel écart entre la formation, qu’il s’agisse de FP ou de l'université, et ce que l'entreprise recherche réellement. Et cela ne se produit pas seulement dans le domaine de la technologie, car il y a aussi un problème avec les compétences requises. En fin de compte, l'université ne fournit rien de ce que les entreprises ont besoin dans un emploi".
Inadéquation chronique
Et c’est bien là le nœud du problème. Selon Manpower, l’inadéquation entre les besoins des entreprises et la formation des professionnels est même devenue chronique et atteint son plus haut niveau depuis 15 ans, car il est de plus en plus difficile de trouver des profils possédant les connaissances techniques et les compétences générales nécessaires. En définitive, l'un des principaux défis pour l’Espagne consiste à former et à qualifier les professionnels concernés afin qu'ils puissent rejoindre les secteurs d'activité porteurs de l'économie.
En Espagne, avec un taux de chômage de 15%, il ne devrait pas y avoir de pénurie de main-d'œuvre. Mais, comme le soulignait Françoise Martinage, "même lorsque l’Espagne était au mieux de sa forme, il restait un chômage structurel de 8%, ce qui prouve qu’il existe une inadéquation croissante entre la formation des travailleurs et la demande de main-d'œuvre des entreprises".
Alors que le monde académique vit le dos tourné aux besoins du marché du travail, des entreprises privées ont commencé à proposer des formations pour compléter ce que les universités proposent. C’est par exemple le cas des Boot Camps, un concept venu des Etats-Unis et axé sur l'apprentissage de la programmation en quelques mois.
L’image du geek
"C'est là que la majorité des startups vont pêcher leurs candidats -signale Alberto Muñoz-, mais c'est encore très nouveau en Europe. Le problème, c'est que c’est assez cher et ça s'adresse aux jeunes. En plus, on se rend compte que dans ce secteur, il y a encore beaucoup d'hommes. L'image du geek - un jeune un peu gros avec des lunettes perdure, et il semble que cela repousse les filles !"