Avec la généralisation du télétravail et une culture forte du présentéisme en Espagne, les travailleurs ont du mal à déconnecter. La plupart répond aux appels ou aux mails en dehors des heures de travail. L’enfer numérique est pavé de bonnes intentions.
Le droit à la déconnexion numérique est un droit du travail des salariés, y compris ceux qui travaillent à distance, de ne pas se connecter à un ordinateur, téléphone portable d'entreprise, logiciel de l'entreprise, etc. pendant leurs périodes de repos et de vacances et de ne pas répondre aux appels, messages WhatsApp, courriels, appels vidéo ou tout autre type de communication numérique dans l'environnement de travail et en dehors des heures normales de travail.
Ce que dit la loi en Espagne
C'est ce que prévoit l'article 88 de la loi organique 3/2018 relative à la protection des données personnelles et à la garantie des droits numériques (LOPDGDD) et l'article 18 de la loi 10/2021 sur le télétravail et le travail à distance. Les entreprises, quant à elles, doivent respecter les temps de repos, les congés et les vacances et élaborer des politiques internes pour se conformer à la déconnexion numérique après consultation des travailleurs ou de leurs représentants.
75% des travailleurs en Espagne répondent à des appels ou à des courriels en dehors des heures de travail
Mais la réalité est que la déconnexion digitale est encore insuffisante. C'est ce que confirme le dernier rapport InfoJobs sur la déconnexion numérique, qui montre que 75% des travailleurs en Espagne répondent à des appels ou à des courriels en dehors des heures de travail. S'il est vrai qu'il y a une amélioration par rapport à l'année dernière, où le pourcentage était de 82%, les chiffres sont encore loin des bonnes pratiques et bien au-dessus de ceux reflétés avant la pandémie (63% en 2020).
Le présentéisme en Espagne
Il faut rappeler que, contrairement aux idées reçues sur l’Espagne, les journées de travail sont en général bien plus longues qu’elles ne le devraient et l’une des principales raison est le "présentéisme", le fait de rester plus longtemps à son poste de travail. Ce phénomène, qu’on appelle plus communément "calienta-silla"(réchauffer la chaise) est une pratique très répandue en Espagne et l'on comprend mieux pourquoi le travail reste omniprésent.
Le pourcentage de travailleurs qui ne se déconnectent pas totalement pendant les vacances est de 64%
Après deux étés marqués par le Covid et ses restrictions, les premières vacances "normales" apportent avec elles le besoin de soulager la surcharge accumulée et la reprise de l'envie de voyager. Malgré la situation internationale et le contexte économique, trois Européens sur quatre prévoient de voyager dans les prochains mois, selon un rapport de la Commission européenne du voyage (ETC).
Difficile de déconnecter pendant les vacances
En Espagne, comme partout ailleurs, les vacances d'été sont perçues comme une période prioritaire pour la déconnexion. Quoique… Le pourcentage de travailleurs qui ne se déconnectent pas numériquement descend à 64% pendant cette période, mais cela reste une proportion très importante. En outre, un quart des travailleurs déclare se connecter chaque fois que nécessaire pendant ses périodes de vacances.
Les hommes se déconnectent moins que les femmes
Le profil type du travailleur qui ne déconnecte pas est celui d'un homme, âgé de 45 à 65 ans, travailleur indépendant ou non, et ayant un poste à responsabilité. En revanche, le profil du professionnel qui parvient à se déconnecter le plus est majoritairement féminin, jeune (16 à 34 ans), et avec un poste d'employé ou de spécialiste.
D'une manière générale, les segments les plus jeunes sont ceux qui se déconnectent le plus, notamment pendant les vacances, puisque 40% des travailleurs âgés de 25 à 34 ans déclarent ne jamais se connecter en dehors des heures de travail.
Se sentir obligé de répondre
Le fait de se sentir obligé de répondre à des appels téléphoniques, des messages ou des courriels en dehors des heures de travail reste la principale raison pour laquelle les Espagnols ne se déconnectent pas, puisque près de la moitié des travailleurs (47%) citent cette raison. Viennent ensuite les exigences du travail (38%) et les problèmes non résolus (24%).
Plus de responsabilités, moins de déconnexion
Moins surprenant: Le rapport d'InfoJobs signale également que les travailleurs qui occupent un poste de direction comportant plus de responsabilités sont moins susceptibles de se déconnecter que ceux qui ont moins de responsabilités. Ainsi, jusqu'à 62% des cadres supérieurs en Espagne déclarent se connecter en dehors des heures de travail chaque fois que cela est nécessaire (55% le font même pendant les vacances), tandis que dans le cas des cadres moyens, ce pourcentage tombe à 41% (33% pendant les vacances). Enfin, pour les employés et les spécialistes, le pourcentage tombe à 28% (24% pendant les vacances).
Pour un véritable droit à la déconnexion
Lorsqu'on leur demande quelles sont les solutions au problème de la déconnexion numérique qu'ils jugent les plus appropriées, les Espagnols sont favorables à un accord de travail réglementant le droit de ne pas répondre aux téléphones portables et aux e-mails en dehors des heures de travail.
Cette mesure est soutenue par 40% des travailleurs, suivie par la création d'un système d'astreinte rémunérée pour les jours fériés et les week-ends afin que le reste des travailleurs puisse se reposer (30%). Enfin, 28% préconisent un contrôle plus strict du temps, en incluant les pauses en dehors des heures de travail comme des heures supplémentaires, une mesure qui n'apparaissait pas l'année dernière.
En France, où le droit à la déconnexion est entré en vigueur dans le code du travail en 2017, ces problèmes liés à une disponibilité devenue casi permanente existent également mais dans une moindre mesure. Cependant, de nombreux salariés, mais surtout les cadres - 69%, selon le baromètre annuel du syndicat Ugict-CGT/Sécafi des cadres et ingénieurs-, réclament un droit à la déconnexion véritable, pas seulement des mots. En effet, seulement 23% des entreprises ont créé une charte de bonne pratique des mails et 16%, des règles de déconnexion. L’enfer numérique est effectivement pavé de bonnes intentions.