Mardi dernier à la Résidence de France, et dans le cadre de la Journée mondiale contre les violences faites aux femmes, l'association d'amitié hispano-française Mujeres Avenir a invité cinq intervenantes des univers de la francophonie et de l'hispanité à témoigner sur les réalités existantes en la matière dans leur pays.
Avec des points de vue juridiques, politiques ou militants, les discours ont permis de tracer les évolutions des mesures prises en France et en Espagne, pays clairement précurseur sur la question, tout en dressant un tableau plus général de l'ampleur d'un phénomène qui, à l'échelle mondiale, détruit des vies au quotidien, encore souvent dans le silence, l'acceptation ou la résignation. Quelque 800.000 femmes souffriraient de violence conjugale en Espagne, selon les études du Gouvernement. Chaque année en France, 93.000 d'entre elles dénoncent des aggressions sexuelles, viols ou tentatives de viols.
A l'époque du #MeToo, il me semble qu'il manque un mouvement masculin qui dénonce la violence de genre sous toutes ses formes
Comme c'est le cas depuis plusieurs années déjà, la Résidence de France a donc joué le rôle d'amphitryon pour cette conférence de Mujeres Avenir inscrite dans le cadre de la Journée mondiale contre les violences faites aux femmes. De cette façon notamment, l'Ambassade marque l'engagement de l'Etat français au plus haut niveau, la lutte contre les violences faites aux femmes ayant été déclarée Grande cause nationale 2018 par le Président de la République. La mobilisation par Mujeres Avenir d'expertes françaises et espagnoles constitue aussi l'occasion de promouvoir entre les deux pays l'apprentissage et l'échange d'expérience sur leur système de prévention, de protection des victimes -femmes et enfants- et de punition des coupables. Soledad Murillo, Secrétaire d'Etat espagnole à l'Egalité, est venue effectuer une allocution en préambule aux débats. "A l'époque du #MeToo, il me semble qu'il manque un mouvement masculin qui dénonce la violence de genre sous toutes ses formes", a-t-elle déclaré. Elle a en outre appelé à une rebellion de la femme au sein de la famille et au travail : "Il n'est pas possible de protéger ses filles ou ses petites filles sans un élan de transgression", a-t-elle avancé. La majorité des violences perpétrées contre les femmes ont lieu dans le cercle familial, où la loi du silence s'impose encore trop souvent, protégeant les agresseurs.
Maria Luisa de Contes / Julia Robles
Cette année la conférence a regroupé autour de Maria Luisa de Contes, Présidente de l'association et modératrice des débats, l'Espagnole Pilar Llop, Déléguée du gouvernement contre la violence de genre, l'avocate burkinabaise Liliane Dakoure-Damiba, militante pour les droits de la femme et de l'enfant dans son pays, la Nicaraguayenne María José Díaz Reyes, coordinatrice de l'association de développement local Asodel, et la Française Martine Jaubert, cheffe du bureau de l'égalité entre les femmes et les hommes dans la vie personnelle et sociale (sous la tutelle su Secrétariat d'Etat en charge de l'égalité entre les hommes et les femmes).
Nous ne pouvons pas permettre que le machisme s'aproprie la société
Côté français et espagnol, on aura détaillé de façon très minutieuse les aspects juridiques et les mesures impulsées par les gouvernements respectifs. L'Espagne, avec une loi intégrale contre la violence de genre approuvée dès 2004, fait office de précurseur en la matière. "L'agenda du gouvernement dans le domaine de l'Egalité est actuellement surchargé", a évoqué Pilar Llop, qui a relevé le rattachement direct de cette compétence à la Présidence du Gouvernement, permettant une coordination plus efficace des politiques mises en œuvre sur la question, avec l'ensemble des ministères. "Il s'agit d'une action pionnière de l'Espagne, qui fait de notre pays un référent dans son engagement pour l'égalité et contre la violence de genre", a-t-elle estimé. L'approbation au Congrès des députés il y a près d'un an, le 27 septembre 2017, du Pacte d'Etat contre la violence de genre, la mise en pratique des 26 points qui le constituent et des 214 mesures qui en découlent, sont autant d'éléments qui contribuent à promouvoir une politique centrée sur la protection de la femme et de l'enfant et situent à nouveau l'Espagne en avance sur le reste des pays sur la question. "Nous ne pouvons pas permettre que le machisme s'aproprie la société", a lancé la Déléguée d'Etat.
J'ai découvert très tôt que le monde était très peu sûr pour les petites filles comme moi
"L'Espagne est un exemple quant à sa manière de traiter globalement les violences faites aux femmes", estimait de fait Martine Jaubert. Avant que la cheffe du bureau de l'égalité entre les femmes et les hommes dans la vie personnelle et sociale ne réaffirme la volonté "au plus haut niveau de l'Etat" d'agir contre ladite violence, Liliane Dakoure-Damiba est revenu sur l'enracinement dans son pays de deux traditions pénalisées mais encore largement courantes : le mariage forcé et les mutilations génitales. C'est une des caractéristiques de Mujeres Avenir de donner la voix à des femmes qui luttent loin de notre Europe continentale contre l'oppression dont elles sont victimes, et c'est une des originalités du traitement que l'association donne à la cause, avec une approche interculturelle qui permet de disposer d'une vision globale des phénomènes d'inégalité de genre. Dans la même veine, mais inscrite dans le monde de l'hispanité, la Nicaraguayenne María José Díaz Reyes a tenu l'assistance en haleine en dénonçant l'acceptation, au-delà du politiquement correct, d'une violence ordinaire dont sont victimes les femmes en Amérique centrale. "J'ai découvert très tôt que le monde était très peu sûr pour les petites filles comme moi", a-t-elle évoqué, revenant sur les périls quotidiens, de la drogue à délinquance, en passant par la prostitution et le viol, auxquels les jeunes filles nicaraguayennes sont exposées. "Il nous est apparu nécessaire de créer au sein des quartiers des bulles protectrices pour ces enfants", a-t-elle expliqué à propos de l'action d'Asodel. Elle a aussi exprimé l'importance de changer les mentalités et du risque d'une violence de genre "apprise" et répétée d'une génération à l'autre. Contre l'hypocrisie d'une société qui culpabilise plus volontiers la victime que le coupable, la militante a souligné l'importance de renverser les rôles.
Si nous ne légiférons pas pour erradiquer la violence de genre, c'est une société du futur cruelle que nous nous préparons
La France s'inspire des mesures prises en Espagne depuis près de 15 ans désormais dans la lutte contre la violence de genre. Déclarée grande cause du quinquénat le 25 novembre 2017, cette lutte est à l'origine d'une mobilisation gouvernementale sans précédent. Là encore, il s'agit de coordonner les mesures impulsées par l'Etat avec le système juridique et en collaboration avec les associations, sur un ensemble de politiques visant à œuvrer tant au niveau de la prévention qu'à celui de la pénalisation ou de la protection. Frédérique Porterie, Magistrat de liaison entre la France et l'Espagne, présente sur la conférence, a justifié cet engagement : "Si nous ne légiférons pas pour erradiquer la violence de genre, c'est une société du futur cruelle que nous nous préparons". "Il faut changer le fait que la violence de genre, et plus généralement la perception qu'il est possible de harceler les femmes et d'être violent avec elles, reste quelque chose de normal et d'accepté dans une grande partie du monde. Nous avons tous la responsabilité de dire non, de rejeter ouvertement les actes de violence et d'appuyer les victimes", a déclaré Maria Luisa de Contes.