Claire Bright, professeure de droits à l'université Nova de Lisbonne est une des cinq finalistes dans la catégorie « Innovation » des Trophées des Français de l'étranger, parrainée par MisterFly. Cette jeune Française brillante développe des travaux sur les droits humains et les normes environnementales en entreprise.
Claire Bright originaire de la région parisienne est passionnée pour l'enseignement et la recherche en droit international (droits de l'Homme en particulier) et en droit comparé, ce qui l´a conduite à choisir une carrière universitaire qui l'a amené à Oxford, Londres, Florence, puis Lisbonne où elle vit actuellement avec son mari et ses deux enfants. Cette jeune femme de 35 ans est professeure de droit à l´université Nova de Lisbonne où elle a fondé un centre universitaire en matière d'entreprises, de droits de l'homme et de l'environnement. Elle a présenté sa candidature aux Trophées des Français de l´étranger 2021 et elle nous explique les raisons qui l'ont poussée à le faire.
Pouvez-vous nous décrire brièvement votre parcours ?
J'ai débuté mes études universitaires en Angleterre afin d'entreprendre une double maîtrise en droits français et anglais au cours de laquelle j'ai passé deux années à Sheffield, et deux années à l'Université Paris Est. J'ai poursuivi mes études avec un Master II en Droit International Privé à l'Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne. A la suite de cela, j’ai entrepris à Florence en Italie, un doctorat en droit international à l’ IUE (Institut Universitaire Européen).
Au cours de la formation que j'ai suivie dans différents pays, je me suis passionnée pour l'enseignement et la recherche en droit international (droits de l'Homme en particulier) et en droit comparé, et j'ai donc naturellement décidé d'embrasser une carrière universitaire qui m'a amené à Oxford, Londres, Florence, puis Lisbonne.
Qu'est-ce qui vous a poussée à venir au Portugal ?
J’ai eu l’opportunité de rencontrer la doyenne de la faculté de droit de l’université Nova de Lisbonne lors d’une intervention qu'elle avait faite à Florence. Cette dernière était venue présenter aux chercheurs de l'Institut Universitaire Européen sa vision d'internationalisation de la faculté de droit et son désir de recruter à l'international. Son projet m’a immédiatement intéressé pour diverses raisons, notamment de pouvoir contribuer à l’ouverture de la faculté sur l’international. J'ai donc présenté ma candidature qui a été retenue. J'étais alors la première personne non lusophone à intégrer la faculté de droit de l’Université Nova de Lisbonne.
Mes enseignements se déroulent en anglais et portent principalement sur le droit international et le droit comparé. Dans ce cadre, j'enseigne notamment le droit français des contrats. J'aime raconter à mes étudiants cette citation de Napoléon: « Ma vraie gloire, ce n'est pas d'avoir gagné quarante batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n'effacera, ce qui vivra éternellement, c'est mon Code civil. »
Qu' est-ce-qui vous a motivée à présenter votre candidature aux Trophées des Français de l´étranger ?
A la faculté de droit de Nova, j'ai fondé un centre universitaire en matière d'entreprises, de droits de l'homme et de l'environnement, dont j'assume la direction. Son objectif principal est de promouvoir les comportements socialement responsables des entreprises au Portugal, en Europe et au-delà, au travers d'une meilleure intégration des droits de l'homme, des droits du travail et des normes environnementales dans leurs opérations ainsi que dans leurs chaînes d'approvisionnement mondiales, contribuant ainsi aux objectifs de développement durable des Nations unies.
C’est aujourd’hui un enjeu majeur! Sensibiliser le grand public peut être un levier puissant pour atteindre les objectifs de développement durable en influençant le comportement des entreprises de par leurs préférences en matière de consommation .
Pouvez-vous nous présenter votre étude qui a servi de base à une future proposition de loi visant à introduire un devoir de diligence en matière de droits de l'Homme et de l'environnement au niveau européen ?
L'année dernière, j'ai été l'une des auteures principales d'une étude diligentée par la Commission européenne, et plus particulièrement de la Direction générale de la justice et des consommateurs, sur le devoir de diligence dans les chaînes d'approvisionnement. L'étude, réalisée avec mes collègues de l'Institut britannique en droit international et comparé, fait près de 1000 pages et il est difficile de la résumer en quelques mots mais l'apport principal de l'étude est double. D'une part, nous avons analysé les pratiques actuelles des entreprises européennes en matière de prévention des violations des droits de l'Homme et de l'environnement aux travers d'enquêtes, d'entretiens et d'études de cas réalisés auprès d'un large panel d'acteurs européens du commerce international. Notre analyse a révélé qu'à peine plus du tiers des entreprises en Europe ont en place une démarche de vigilance couvrant les incidences négatives relatives à l’ensemble des droits de l’homme et l’environnement.
D'autre part, l'étude a fait un état des lieux du cadre normatif actuel en la matière, à la fois au niveau domestique qu'au niveau européen et international, et en a montré les limites. Nous avons dès lors analysé les diverses options d'intervention législative au niveau européen. A cet égard, l'option la plus plébiscitée par les parties prenantes s'est révélée être celle visant à l'introduction d'une obligation juridique, à l'instar de la loi française sur le devoir de vigilance, qui imposerait aux entreprises européennes de mettre en place des mesures de diligence raisonnable propres à identifier, prévenir, atténuer et rendre compte des impacts négatifs, potentiels ou réels, sur les droits de l’homme et l'environnement résultant de leurs propres activités et de leurs chaînes d'approvisionnement.
Le 29 avril 2020, Didier Reyners, le commissaire européen à la justice, a présenté l'étude en question au Parlement Européen et annoncé que, sur la base des constatations et propositions qui en ressortent, une proposition de loi visant à introduire un devoir de diligence en matière de droits de l'homme et de l'environnement au niveau européen serait présentée en 2021 dans le cadre du paquet de mesures du plan de relance pour faire face au Covid-19 ainsi que du pacte vert pour l'Europe. Une première proposition de texte a déjà été adoptée par la Commission juridique du Parlement Européen le 27 janvier dernier.
Ce développement législatif est significatif compte tenu du fait qu'il n'existe pas à l'heure actuelle (en dehors de la France), d'obligation juridique contraignant les entreprises à respecter les droits de l'Homme et l'environnement dans leurs activités de parts et d'autres du monde.
Comment vous est venue cette idée?
Les travaux de recherche que je mène en la matière depuis plus de 13 ans ont mis en exergue les enjeux relatifs aux violations des droits de l'homme et de l'environnement dans les activités des entreprises. En effet, la compartimentalisation du droit et l'absence d'instrument juridique contraignant en la matière ont empêché leur régulation effective sur le plan global. L'internationalisation de la production des entreprises multinationales s'est accompagnée de nombreuses exemples de violations des droits de l'homme par les entreprises multinationales, tant dans leurs propres activités que dans leurs chaînes d'approvisionnement mondiales. Des problématiques liées aux conditions de travail des travailleurs des usines textiles en Asie qui approvisionnent les marques internationales, au recours généralisé au travail des enfants dans les exploitations de cacao en Afrique qui approvisionnent l'industrie du chocolat, en passant par les problématiques liées à la pollution et aux impacts liés au changement climatique résultant des activités d'exploration minière et pétrolière des entreprises multinationales en Amérique du Sud et en Afrique, tous types de droits humains ont été affectés.
Plus particulièrement, la question du travail décent dans les chaînes d'approvisionnement mondiales a connu une attention renouvelée ces dernières années suite à diverses tragédies survenues dans des pays en voie de développement. En 2013, l'effondrement des bâtiments du Rana Plaza au Bangladesh dû au non respect des normes de sécurité élémentaires a provoqué la mort de 1134 travailleurs et causé des milliers de blessés. Alors que l'immeuble abritait des ateliers de confection textile qui travaillaient pour diverses marques internationales, la question de la responsabilité des sociétés donneuses d'ordre, a été replacée au cœur des débats. Et ce d'autant que des fissures dans le bâtiment avaient été découvertes la veille du drame et avaient entraîné son évacuation et sa fermeture, mais que les travailleurs des ateliers de confection s'étaient vu enjoindre de regagner leur poste de travail, vraisemblablement en raison de la pression des délais imposés par les entreprises importatrices de produits textiles. De telles tragédies ont montré les limites inhérentes à toute forme d'autorégulation par les acteurs privés. Dès lors, l'identification de nouvelles pistes de régulation effective des entreprises multinationales s'est montrée indispensable.