Le lundi 5 décembre marquait la fin de la collecte lancée par la Banque Alimentaire portugaise dans plus de 2000 centres commerciaux dans tout le Portugal. Organisées deux fois par an en mai et au début de l'hiver, elle vise à récolter un maximum d'aliments pour aider les plus démunis. En 2015, cette campagne avait permis d'aider plus de 436.000 personnes dans le besoin au Portugal, alors que 19,5% de la population (environ 2 millions de Portugais) vit sous le seuil de pauvreté. Cette année, la collecte de décembre a permis de récolter 2.129 tonnes d'aliments dans les supermarchés du pays, 100 tonnes de moins que la collecte de décembre 2015.
Les organismes mobilisés
Fondée en 1990, la Banque Alimentaire portugaise est devenue un acteur incontournable des programmes d'aides aux plus démunis. Ses membres fondateurs ont choisi comme modèle les Restos du c?ur, créés par Coluche en 1985 en France. Deux fois par an, dans plus de 235 centres commerciaux de Lisbonne, des milliers de volontaires sollicitent la générosité de chacun afin de pouvoir proposer des repas à ceux qui n'en ont pas. Les denrées sont ensuite stockées par la Banque Alimentaire puis redistribuées aux plus démunis grâce à un réseau comportant 380 associations. "C'est très important que les gens donnent" nous dit Gabriela, jeune volontaire de 24 ans qui collecte dans un Pingo Doce à deux pas du métro Rato. Elle poursuit "de très nombreuses personnes ne peuvent pas s'alimenter correctement car elles n'ont tout simplement pas les moyens de le faire". Elle rappelle que tous les dons, même les plus petits sont importants. "Comme dans toutes les ?uvres caritatives, chaque don peut apporter un changement concret pour quelqu'un. Donner même une conserve peut permettre à quelqu'un d'avoir un repas chaud le soir" conclut-elle.
Des organismes de plus en plus sollicités
Si les bénévoles font la chasse aux dons dans tous les supermarchés du pays, c'est notamment à cause de l'explosion du nombre de demandeurs depuis 2008. En 2007 au Portugal, 232.754 personnes avaient bénéficié d'un programme d'aide alimentaire. Huit ans plus tard, ce nombre a quasiment doublé : 436.418 personnes ont été aidées par la Banque alimentaire en 2015. Bien que certaines régions soient plus touchées que d'autres, le nombres de personnes aidés par la Banque alimentaire dans la région Oeste a triplé depuis 2007 passant de 3700 à 11.000 personnes, l'homogénéité du phénomène est frappante, toutes les régions où exercent la Banque alimentaire portugaise connaissent une forte hausse du nombre de bénéficiaires. Lors d'une distribution de repas à côté de la gare Santa Apolonia de Lisbonne, lepetitjournal.com/lisbonne a pu rencontrer Joao, la cinquantaine, cheveux grisonnants et visage usé. Comme une cinquantaine de personnes, il fait la queue pour avoir un repas ce soir. "En 2009, j'ai perdu mon travail car mon entreprise a fermé, depuis je galère. C'est la deuxième année que je viens ici" nous dit-il. Comme toutes les autres personnes à qui nous avons parlé ce dimanche soir, il ne souhaite pas être photographié. "J'ai honte" avoue-t-il, les personnes qui l'entourent acquiescent. (graphique : données nationales)
La générosité fait défaut
La crise économique de 2008 n'a pas seulement conduit à une augmentation du nombre de bénéficiaires des programmes d'aide, elle a aussi diminué le nombre de personnes qui donnent ainsi que la quantité de denrées alimentaires reçues. Les statistiques concernant les premières collectes après 2008 montraient pourtant une hausse de ces dons qui permettait de faire face à l'augmentation des demandeurs. Cependant, depuis 2012, la quantité de denrées récoltées est en baisse, alors que le nombre de demandeurs ne cesse d'augmenter. C'est dans ce contexte que Isabel Jonet, présidente de la Banque alimentaire portugaise, a tenu à remercier le 5 décembre "toutes les familles portugaises qui ont donné, peu importe la taille des dons".
Une mobilisation diverse
En 2007, dénonçant "une prise de considération trop faible face à l'ampleur du problème", la mairie de Lisbonne a lancé des programmes d'aide à destination des Lisboètes dans le besoin. Pour se faire, la municipalité a décidé de collaborer avec les Juntas de Freguesia (conseils municipaux de quartier), les IPSS (associations privées de solidarité sociale), des associations et des entreprises qui souhaitaient se mobiliser contre ce problème. En 2014, différents corps économiques se sont mobilisés pour ces programmes dans tout le pays. Certains géants de l'agroalimentaire comme Nestlé ou Danone mais aussi des coopératives agricoles et des chaînes de distributions qui se sont affiliées aux collectes de la Banque alimentaire portugaise. Cette dernière a tissé des partenariats avec des médias pour offrir une couverture médiatique nationale à l'événement. Diaro de Noticias, Expresso, Publico, pour ne citer qu'eux sont devenus partenaires. Des cabinets d'avocats se sont engagés à apporter un appui juridique au plus démunis. Des banques portugaises (Millenium, Novo Banco) et étrangères (Barclays) ou des multinationales (Google) sont devenues des mécènes importants. Enfin des établissements scolaires, notamment le lycée français Charles Lepierre à Lisbonne, se sont associés à la Banque alimentaire afin de sensibiliser les élèves et indirectement leurs familles au soutien des plus pauvres.
La pauvreté au Portugal (graphique : données nationales)
A Lisbonne comme ailleurs dans le pays, le nombre de bénéficiaires de programmes d'aide alimentaire reflète une autre réalité : la pauvreté a augmenté au Portugal. Le pays a été touché de plein fouet par la crise économique et financière de 2008. Des milliers de citoyens ont perdus leur emploi, et comme dans tous les autres pays, les plus touchés ont été les emplois les moins qualifiés. Les politiques mises en place par le gouvernement de Pedro Passos Coelho ont permis de faire fortement reculer le taux de chômage (17% en 2013, 11% en 2016), mais ont eu comme effet secondaire une paupérisation très forte de l'emploi : salaires plus faibles et emplois précaires sont des réalités que connaissent au quotidien des milliers de portugais. En 2015, au Portugal, 19.5% de la population, soit une personne sur cinq, vivait sous le seuil de pauvreté, c'était 2% de plus qu'en 2014 où 17% était concernée. A cela viennent s'ajouter les salariés surdiplômés qui pullulent. Libération évoquait dans son édition du 24 novembre 2016, le cas de Rui Goncalves, 28 ans, diplômé d'un master de relations internationales, qui travaille comme chauffeur de moto-taxi pour touristes dans le centre de Lisbonne. Ce phénomène a pour conséquence d'exclure les travailleurs les moins qualifiés d'emplois qu'ils pourraient exercer, les plongeant dans la précarité. Ne pouvant plus subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille, bon nombre d'entre eux se tournent vers des associations d'aide sociales et/ou alimentaires. L'an dernier au Portugal, 436.418 personnes ont bénéficié de l'aide de la Banque alimentaire.
Informations pratiques
- Pour donner des aliments : lors des collectes organisées fin novembre et fin mai dans les supermarchés ou directement dans un des dépôts de la Banque alimentaire (à Lisbonne Estação Alcântara Terra, Armazém 1 Avenida de Ceuta 1300-125 Lisboa)
- Pour effectuer un don (argent) : plus d'informations sur http://lisboa.bancoalimentar.pt/donativo
- Pour devenir volontaire à la Banque alimentaire (suivant ses disponibilités) : http://lisboa.bancoalimentar.pt/voluntariado
Guillaume Bermond (www.lepetitjournal.com/lisbonne.html) mercredi 14 décembre 2016