Mondialement reconnu pour des films à succès comme Le nom de la rose ou sept ans au Tibet, le cinéaste Jean-Jacques Annaud revient avec une nouvelle réalisation : Notre-Dame Brûle. Cette grande production spectaculaire est projetée au Portugal à partir du 28 avril. À cette occasion, Lepetitjournal s'est entretenu avec le réalisateur en déplacement à Lisbonne.
Lepetitjournal/Lisbonne : Vous revenez en 2022 avec une nouvelle réalisation inédite : un film sur l'incendie de Notre-Dame de Paris survenu en avril 2019. C'est Jérôme Seydoux, le PDG de Pathé, qui vous a communiqué des documents sur ce tragique événement. C'est cela qui vous a donné envie de le réaliser ou vous y pensiez en amont ?
Jean-Jacques Annaud : Tout ce que vous dites est juste, sauf que ce qui s'est passé c'est que j'ai été le témoin non pas oculaire mais auditif de l'incendie. J'étais dans une maison où il n'y avait pas la télévision, bizarrement, et j'ai donc entendu le drame à la radio. J'habite tout près de Notre-Dame, à 150 mètres de la cathédrale. Evidemment je connais cette cathédrale depuis l'enfance. En plus c'est une cathédrale qui m'avait beaucoup inspiré quand j'étais gamin ce qui a fait que j'ai tout de suite pensé que la dramaturgie que je comprenais à travers les récits qui en étaient faits, allait susciter l'envie de milliers de cinéastes de s'en occuper. j'ai donc décidé de ne pas faire partie de la cohue et j'ai laissé immédiatement tombé ce projet qui à mon sens était fait pour le cinéma.
J'ai cru que ce que je lisais était de l'invention de journaliste qui avait fait des cours de scénario à Los Angeles
Votre attention avait donc été éveillée. Comment avez-vous réagi lorsque vous avez pris connaissance de l'histoire en profondeur ?
Evidemment, vous savez moi j'ai passé ma vie à écrire des scénarios à faire des films, il y avait là un événement et une structure dramatique qui me faisait penser à un grand spectacle de cinéma, tel que je l'aime. C'est un cinéma immersif, c'est un cinéma qui vous pousse à aller dehors pour rentrer dans une salle et non pas regarder cela à la télévision. Tout de suite j'ai pensé aux vertus extraordinaires d'une tragédie, une tragédie qui se termine bien. Ça ne m'aurait pas plus s'il y avait eu des morts, si la cathédrale s'était effondrée, si on avait perdu les trésors et les reliques. J'ai éliminé l'événement de mes désirs cinématographiques jusqu'au moment où effectivement Jérôme Seydoux, un ami que je connais depuis toujours puisque Pathé fait partie de ma vie cinématographique en cofinançant mes films ou en les finançant directement, m'a envoyé ces documents. J'ai cru que ce que je lisais était de l'invention de journaliste qui avait fait des cours de scénario à Los Angeles, à Hollywood, tellement c'était une matière cinématographique. Et là je me suis dit : c'est incroyable, ce que je lis. Et je pensais vraiment que les journalistes avaient inventé l'histoire. J'ai après rencontré les vrais gens, et je me suis aperçu que les journalistes n'avaient en fait pas eu le temps d'approfondir, et que la vérité était encore plus bizarre, baroque, rocambolesque ! Donc je me suis retrouvé avec un matériau extraordinairement vigoureux. Il y a dans cette histoire tout ce qui a permis de faire un film qui contre toute attente est un thriller, avec un incroyable suspense. On connaît la fin. Mais vous savez, c'est un vieux principe hitchcockien : vous avez intérêt à dire tout de suite quelle est la fin et le suspense vient du fait de savoir comment on y arrive. Et non pas où ça va aboutir, mais comment on arrive à cet aboutissement. Grosso modo, si je résume à des structures connues : vous avez une superstar, connue depuis 850 ans, qui est belle comme le jour, qui est attaquée par le plus charismatique des démons, qui est le feu, qui est incroyablement photogénique et vous avez la thématique du secours empêché. La star se meurt, et les médecins ne peuvent pas arriver.
La critique vous a notamment reproché un manque de récit axé sur des personnages. C'est vrai qu'on n'a pas le temps de réellement s'attacher, de s'identifier aux personnages. Dans la structure de la construction d'un récit, c'est souvent A veut B mais C l'en empêche. Au lieu d'être des individus A, B et C sont-ils les pompiers, la cathédrale et le feu ? Est-ce que dans un sens vous n'avez pas redéfini ce que sont habituellement les personnages, en les constituant comme des entités (les pompiers, la cathédrale, le feu) ?
Vous savez, on peut s'identifier à tout. Je me souviens de Umberto Eco, quand je faisais la promotion du film L'Ours (sorti en France en 1988 ndlr), qui me dit : « ah ! toi je te connais, ce n'est pas parce que tu aimes les ours que tu fais ce film, c'est parce que tu aimes l'effet Koulechov ». En fait seulement quelques spécialistes savent ce qu'est l'effet Koulechov : c'est l'effet de contre-champ. Et dans la foulée, il me dit « Toi ton rêve, c'est d'émouvoir le monde en racontant l'histoire d'une pierre ». Je me suis rappelé de ça maintenant parce qu'effectivement, je sais que les gens rentrent dans le film avec beaucoup d'émotion, de suspense, et qu'en effet, on comprend que le héros, que l'on aime, c'est en fait un assemblage de pierre. Mais c'est une pierre symbolique, qui représente d'une certaine manière notre civilisation occidentale. C'est une thématique assez exceptionnelle, et je vois que vous connaissez les structures de scénarios donc pour quelqu'un qui vit là-dedans depuis tant d'années, comme moi, eh bien c'est évident que c'est une matière de cinéma, pour le cinéma.
Les gens ont pris l'habitude d'avoir un robinet d'eau tiède qui coule à longueur de journée, les plateformes.
Quelle vision avez-vous du cinéma et de son avenir ?
Vous voyez aujourd'hui il y a une très grande transformation. Les gens ont pris l'habitude d'avoir un robinet d'eau tiède qui coule à longueur de journée, les plateformes. Et puis vous avez la guillotine entre les mains, vous pouvez arrêter le programme quand vous voulez. Aller au cinéma c'est différent, c'est une expérience qui vous laisse une marque. D'abord vous sortez de chez vous. Puis, vous êtes immergés face à un grand écran. Vous partagez l'émotion et le suspense avec d'autres gens que vous ne connaissez pas : c'est une aventure. Et donc, j'ai écrit en période de confinement, en sachant qu'un jour ou l'autre ce confinement allait s'arrêter. De fait, il était indispensable de faire de nouveau des vrais films de cinéma, et qui ne soient pas forcément des films de super-héros avec des tatouages partout et une musculation surdimensionnée.
Quand on est vraiment venu tourner à Notre-Dame, toute l'équipe pensait déjà être venue.
Notre-Dame Brûle est un film spectaculaire. Ce qui est frappant c'est la grande technique dont vous avez fait preuve. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les techniques de tournage ? Comment reconstruit-on Notre-Dame en studio ? Comment au cinéma on fait s'écrouler autant de pierres avec un feu grandiose sur un tournage ?
Notre métier c'est de raconter des histoires en assemblant des morceaux qui ne sont pas tournés dans l'ordre. La plupart des films se font comme ça, en tournant dans le désordre selon les commodités du plan de travail. Je suis très habitué à tourner un personnage au Kenya et faire le contre-champ au Cambodge ou dans la banlieue de Londres, c'est mon travail. Donc quand on a comme ça, une star comme Notre-Dame qui est indisponible, on utilise des doublures. Des doublures ici c'est trouver des axes dans des cathédrales similaires qui ont été soit les inspirations de Notre-Dame, soit les descendantes de Notre-Dame. Même le clergé de la cathédrale n'a pas vu où j'ai pu tourner ces raccords. Et puis tout ce qui est évidemment en danger, tout ce que je fais brûler, tout ce que j'inonde avec les lances des pompiers, c'est du studio. On utilisait par exemple des studios à « taille 1 » c'est-à-dire que ce sont des reproductions exactes des plans de Notre-Dame au point d'ailleurs, que quand on est vraiment venu tourner à Notre-Dame, toute l'équipe pensait déjà être venue. Bien évidemment quand je reconstitue l'intérieur de la charpente d'un beffroi, d'une tour qui va prendre feu, c'est un énorme décor. Un décor immense, qui va du sous-sol du studio -on utilisait la piscine- jusqu'aux superstructures et tout ça va flamber. Il y avait bien évidemment tout un système de tuyères de flammes à 800°C pour être totalement réaliste.
Est-ce que les acteurs sont projetés directement dans les flammes ?
Et oui ! Il y avait des conseillers pompiers que j'avais qui expliquaient à chacun ce qu'il fallait faire. Ces jeunes acteurs avaient été formés pendant des semaines et des semaines à aller dans les vrais feux. Ils ont fait partie d'une caserne avant le tournage. C'est une expérience formidable pour ces jeunes gens, c'est le rêve pour un acteur. Les acteurs veulent être acteur pour vivre différentes vies, pas seulement la vie de chauffeur de taxi, pas seulement la vie d'un empereur de Serbie, ils veulent cette variété. Et là c'était un rêve pour eux. Donc si vous voulez, c'est au cœur même de mon métier de fabriquer des images qui vont s'insérer dans d'autres tournées ailleurs. Quand je passe d'un escalier que je vais tourner dans la cathédrale de Sens, à un escalier en réplique à la même taille mais que je vais inonder ou détruire mais qui est en studio, eh bien on n'y voit que du feu j'ai envie de dire ! Mais parce que c'est prévu pour. Encore une fois j'ai envie de dire c'est l'amusement de mon métier, ne pas être lié à la réalité mais reconstituer cette réalité en fonction de l'histoire que je veux raconter.
Je montre tout ce qu'il s'est passé de l'intérieur, que personne n'a pu imaginer.
Le mélange d'images d'archives et d'images reconstituées fait écho avec le mélange de genre du film. Il est à la croisée des chemins entre la fiction et le documentaire. Comment est-ce que l´on constitue l'intrigue d'un film aux apparences de documentaire ?
Ce que j'ai voulu faire c'est une fiction calée sur la réalité et avec des images qui vont nous rappeler ce que les gens ont vu. Qu'est-ce qu'ils ont connu de cet incendie ? Uniquement des images de l'extérieur, moi, je montre tout ce qu'il s'est passé de l'intérieur, que personne n'a pu imaginer. Si vous voulez cela revient à étayer la réalité que j'ai reconstituée avec la réalité de l'époque qui a été filmée par des vidéastes amateurs. Pour avoir ces images j'ai passé une demande sur Internet qui nous a ramené 6.000 vidéos la première semaine et une vingtaine de mille la deuxième semaine. J'avais donc un matériel considérable pour rappeler que ce que je montre, c'était comme ça, c'était vrai. Et le film montre cet envers fascinant du décor.
On ne peut pas s'adresser à un public de la rive gauche de Paris.
Vous êtes un cinéaste français au succès international. Vous avez vécu à Londres, mais aussi directement à Hollywood. Est-ce que vous ressentez une influence culturelle dans votre manière de travailler ?
Je ne travaille pas que pour le Limousin ni la Nouvelle-Calédonie. Mais je pense à la Nouvelle-Calédonie, je pense au Japon, je pense à la Chine, je pense à l'Amérique du Sud, je pense au Brésil. Là, je suis à Lisbonne. Demain je serai à Madrid, après-demain je serai en Arizona. J'ai eu la chance de faire des films qui peuvent s'étendre à l'international. On a vendu le film à déjà 135 pays je crois, mais bon il y en a 196 ! Le cinéma est destiné à être global. Dans mes réunions je dis toujours à mes collaborateurs français : il faut qu'en Corée du Sud, en Nouvelle-Zélande, les gens comprennent ce qu'est Notre-Dame. On ne peut pas s'adresser à un public de la rive gauche de Paris. Comme j'ai vécu dans tous ces endroits, je vois des films partout, dans des salles au bout du monde. Je ne peux donc pas imaginer que les miens soient diffusés uniquement en France.
J'aime les gens ici. Je trouve que Lisbonne est une ville absolument charmante.
Vous qui avez beaucoup voyagé, le Portugal est-il un pays qui vous a marqué ?
C'est un pays que j'aime beaucoup. D'abord j'ai pas mal d'amis d'origine portugaise en France. Je trouve que c'est un lieu qui a beaucoup de charme. C'est un pays de grande tradition. J'aime les gens ici. Je trouve que Lisbonne est une ville absolument charmante. Je suis heureux d'être ici et j'ai même insisté pour venir. Bien sûr je devais faire une promotion, mais je pense qu'on a beaucoup d'affinités avec le Portugal. La langue portugaise est vraiment proche du français, je suis un ancien latiniste donc ça me plaît. Le Portugal fait partie de cet attachement que j'ai pour les pays de l'Europe du Sud.
Il y a trois choses importantes dans le cinéma : le scénario, le scénario, le scénario.
Vous avez déjà pensé à réaliser un film en rapport avec le Portugal ? Peut-être est-ce un projet ?
Généralement ce n'est pas un lieu qui m'inspire un film. Ce sont des drames personnels. Coluche disait « c'est l'histoire d'un mec », oui mais l'histoire de qui ? On m'a proposé pas mal de films sur les conquêtes portugaises. Je suis très attiré par des pays lusophones comme le Mozambique, l'Angola, le Cap-Vert, le Brésil. C'est une langue et une culture qui me parlent. Il y a de grands scénarios possibles et c'est le plus difficile dans le cinéma, le scénario. Le reste c'est de l'exécution. Sur un mauvais scénario même un très grand metteur en scène fait un film minable. Déjà sur un grand scénario faire un bon film, c'est la preuve d'un metteur en scène compétent. Faire l'inverse c'est quasiment impossible. J'ai déjà eu pas mal de fois des scénarios entre les mains que j'ai refusé de faire, qui ont été faits par des collègues à moi très compétents. Eh bien ! Ils se sont plantés. Vous ne vous relevez pas d'un mauvais scénario, c'est aussi simple que ça. Tout est dans l'histoire que vous racontez. Ça peut être une histoire captivante, qui va brasser des émotions ou brasser du suspense ou de la comédie, mais ça part de là. Beaucoup de metteur en scène ont dit qu'il y a trois choses importantes dans le cinéma : le scénario, le scénario, le scénario.
Bande annonce