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Ibu Tati "La traduction c'est presque un jeu pour moi"

Traductrice Astérix Obélix IndonésieTraductrice Astérix Obélix Indonésie
Tati Madame Asterix
Écrit par Lucie Pech
Publié le 5 mars 2020, mis à jour le 28 février 2024

Maria Antonia Rahartati Bambang, ou plus simplement Tati, traduit depuis 35 ans en bahasa indonésien les aventures des 2 plus célèbres Gaulois au monde, Obélix et Astérix. 370 millions d’albums écoulés traduits dans 111 langues et dialectes régionaux font de l’oeuvre de Goscinny et Uderzo la BD européenne la plus vendue dans le monde. Tati fut récompensée en 2018 des insignes de chevalier de l'ordre des arts et des lettres.

Dans certains pays, les traducteurs des albums d’Obélix et Astérix sont contraints de se calfeutrer et de travailler dans la plus grande discrétion pour que rien ne soit divulguer avant la parution des albums tant attendus. La seule couverture de Tati, comme elle souhaite que tout le monde l’appelle, est la modestie et l’extrême gentillesse. Elle reçoit tout sourire dans sa maison lovée dans une rue coquette et tranquille de la banlieue de Jakarta à Tangerang. Le patio regorge de plantes vertes qui apportent  fraicheur et intimité à la demeure. À notre arrivée, elle repose sur la table basse du salon Dora Bruder un ouvrage de l’écrivain français nobelisé Patrick Modiano que Tati a un mois pour traduire avant de le renvoyer à l’éditeur. 

Des études à la Sorbonne grâce à Claude Cheysson

Tati est traductrice professionnelle. Elle apprend le français durant sa scolarité à Solo où son père et sa mère sont tous deux directeurs d’école. Elle se souvient très bien de sa première enseignante de français qui attachait

Traductrice Astérix Obélix Indonésie
Des ouvrages en bahasa indonésien

beaucoup d’importance à la prononciation et utilisait des méthodes de phonétique modernes pour placer un son dans un contexte sonore facilitant son apprentissage. Elle en conserve un accent parfait. À l’âge adulte, elle choisit naturellement de devenir enseignante de français à son tour et sera même à l’origine de la création de l’Institut français de Yogyakarta où en 1968 elle rencontre Claude Cheysson qui est alors ambassadeur de France à Jakarta. Afin de parfaire la formation de Tati, il décide de lui octroyer une bourse d’études et voilà Tati qui débarque à Paris à la Sorbonne en octobre 1968 où l’atmosphère studieuse est de retour. 

Nolnolpituix le célèbre druide-espion

Elle traduira d’abord les contes de Perrault pour Gramedia et c’est en 1984 qu’on lui passe une 1ère commande pour l’album Le bouclier Arverne. Suivront 18 autres albums. “il est impossible de traduire un album d’Obélix et Astérix car les références et les jeux de mots n’ont pas d’équivalence en indonésien ; alors ma mission est de transférer le message de l’auteur. Je me sens responsable vis-à-vis d’Uderzo que j’ai rencontré à deux reprises en 1995 et 1997“ nous explique-t-elle.  Elle s’imprègne tout d’abord de l’histoire et effectue une longue étude de chacun des personnages pour trouver le nom qui convient et surtout le ton qui conviendra pour leur discours.  Elle n’a pour autant pas le droit de toucher aux noms des personnages emblématiques de la BD : Obélix, Astérix, Idéfix et Panoramix sont connus par les lecteurs indonésiens sous leurs noms français. Par contre, on sent qu’elle prend un réel plaisir à jouer avec la culture indonésienne pour ce qui est des noms des autres personnages. Elle s’inspire du champ lexical attribué au Jamu Airmancurix, Nyonyameneerix, Jamujagoix…pour nommer les druides et la potion magique. Elle étudie avec précision le physique des mercenaires romains et des gaulois. Il y a le sourd Tullibudhegus, celui qui est rond comme un cochon Babybundharix ou celui qui a les bras velus Leganberbulix. Elle joue sur les mots : le détective Zerozerosix dans L'Odyssée d'Astérix devient Nolnolpituix, le fourbe Tullius Détritus de La Zizanie se transforme en Akalbusyukus autrement dit l'esprit pourri. “Ce qui importe c’est de suivre la mode et les situations actuelles” aime-t-elle à préciser. Et pour les accents ou les tics de langage qu’affectionnent particulièrement Goscinny et Uderzo, comment fait-elle ? “ Pour Astérix chez les Belges je me suis inspirée des discours de Soeharto” lance-t-elle amusée. Elle assure que l’ancien dictateur indonésien avait une prononciation et des tournures qui sont reconnaissables par tous les indonésiens et qui font sourire aujourd’hui. Et pour les corses : “c’est facile car j’ai eu dans le temps un ancien patron Corse qui m’inspire encore beaucoup aujourd’hui” !

Écouter les mots plutôt que de les déchiffrer 

Comme si tout cela n’était qu’un jeu. Tati traduit avec une facilité et une rapidité sans égale. Il lui faut entre 3 et 4 jours pour traduire un album complet là ou certains traducteurs mettent 2 mois. La facilité lui vient de cette âme d’enfant qu’elle a su conserver car ce qu’elle aime par-dessus tout c’est écrire des livres pour la jeunesse. S’ajoute à cette première qualité une excellente oreille musicale car elle a hérité de ses parents l’amour de la musique, son père étant lui-même en plus de son métier d’enseignant compositeur de musique. Il est l’auteur de nombreuses comptines pour enfants que tous les petits indonésiens connaissent par coeur. “Mon père m’a enseigné le rythme et les rimes. Ma mère quant à elle me disait tu peux être très intelligente mais personne ne le saura si tu ne l’écris pas”. C’est ainsi qu’elle jongle avec les sons, les jeux de mots, les accents ; plus qu’une traduction c’est d’une mise en musique des albums d’Uderzo qu’il s’agit. 

Interview réalisée par Lucie Pech en 2017.

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