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#Barınamıyoruz : le dilemme des étudiants pour se loger à Istanbul 

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Écrit par Albane Akyüz
Publié le 20 septembre 2021, mis à jour le 12 janvier 2024

Avec la reprise des cours en présentiel à l’université, de nombreux étudiants doivent (re)gagner le chemin de la mégapole turque. Mais en cette rentrée 2021, le constat est le même pour tous : se loger à Istanbul est devenu un parcours du combattant.

 

Étudier dans le supérieur à Istanbul est-il en train de devenir un privilège réservé aux enfants de familles aisées ? C’est en tout cas ce que laissent penser les événements survenus ces dernières semaines dans la cité. Difficultés à trouver un logement, prix astronomiques, problèmes de place dans les résidences étudiantes… sont autant d’obstacles que doivent affronter les jeunes, venus des quatre coins du pays, pour se former dans la capitale culturelle et économique turque.

 

Naissance du compte Twitter “Barınamıyoruz Hareketi”

Ce compte, créé début septembre, a pour but de mettre en lumière les problèmes pour se loger à Istanbul (et en Turquie), et d’épauler les étudiants “en galère” de logement. 

De ce compte est ainsi né le hashtag #Barınamıyoruz (“nous ne pouvons pas nous loger”), très partagé dans la nuit de dimanche à lundi, suite à la décision d’une vingtaine d’étudiants de dormir dans le parc de Yoğurtçu à Kadiköy (rive asiatique), afin de faire entendre leurs revendications, et alors même que quelques heures auparavant, le président Erdoğan déclarait soutenir les étudiants, niant toute crise du logement dans son pays. 

La police est venue leur demander de rentrer chez eux, ce à quoi ils ont répondu qu’ils n’avaient “nulle part où aller”. Ceci a donné vie au hashtag #YatacakYerinizYok ("Vous n'avez pas d'endroit où dormir"), un des tweets les plus relayés en Turquie ce lundi 20 septembre. 

Des habitants du quartier, solidaires, ont apporté quelques vivres aux étudiants protestataires.

 

Tweet : "Nous avons terminé notre première veillée. Merci à tous ceux qui nous soutiennent et qui font preuve de solidarité. Si faute il y a, c'est de condamner des millions de jeunes à dormir dans la rue. Nous serons désormais dans la rue tous les jours pour défendre notre droit au logement, la balle est dans leur camp..."

 

Le mouvement a également partagé une note (“pourquoi nous couchons-nous sur les bancs) expliquant les raisons de leur mouvement, et indiquant que le droit au logement est un droit fondamental.

 

Tweet : "Nous ne réagissons pas de manière disproportionnée, nous ne dormons pas dans la rue pour notre plaisir. Nous relatons une situation partagée par des millions d'étudiants. Toi aussi écoute-nous, soutiens-nous, rejoins-nous. Le droit au logement est un droit fondamental".

 

Un budget exorbitant pour les familles turques 

Emin S., 19 ans, est originaire du Hatay (sud de la Turquie). Il est arrivé à Istanbul fin août pour trouver un logement. Avec un budget initial d’environ 2500 TL pour son loyer, il a vite déchanté. "Il est impossible de trouver un logement décent dans le centre d’Istanbul pour moins de 3500 TL. On peut trouver pour 2500 TL dans des quartiers un peu plus excentrés, mais ce sont souvent des logements insalubres. Ce qui est important pour moi c’est d’être dans le centre afin d’éviter de dépenser trop de temps dans les transports, mais aussi d’être dans un bon environnement de travail". 

Il a finalement trouvé dans le centre (près de Taksim) un 2 pièces meublé pour 4500 TL/mois (factures incluses) et se sait très chanceux que ses parents aient pu augmenter son budget pour le logement, quitte à faire des compromis sur leurs propres dépenses. Il est aussi conscient de la chance qu’il a d’avoir été accepté dans une bonne université publique, pour laquelle sa famille n’a pas à débourser un centime.

Il précise : "Certains de mes amis sont venus comme moi fin août début septembre pour prospecter, mais ils ont dû repartir faute d’avoir pu trouver un logement. Ils reviendront quand l’université commencera, resteront chez un proche temporairement, espérant que les prix baissent le mois d’après…". 

Emin S. ajoute : “La colocation est clairement une solution moins coûteuse, mais dans tous les cas, un étudiant qui n'est pas boursier et qui vient étudier à Istanbul coûtera au minimum 4500 TL à sa famille. Mettons qu’un étudiant trouve une colocation pour environ 2000 TL, la vie coûte tellement chère que le budget pour les dépenses quotidiennes sera difficilement inférieur à 2500 TL mensuellement. Je sais que ça paraît fou, mais si on fait le calcul, ça revient à dépenser maximum 83 TL/jour”. Un budget exorbitant quand on sait que le salaire minimum est de 2825 TL net par mois en Turquie. Quand on lui demande s’il a envisagé l’option d’un job étudiant pour payer une partie de ses études, il rétorque : "Si c’est pour gagner 100 TL pour 8 heures de travail dans un bar, mettre en péril mon année universitaire, ça ne vaut vraiment pas le coup…". 

 

Manque de place dans les résidences étudiantes

On trouve un peu partout à Istanbul des résidences étudiantes de l'État (KYK), gratuites. Mais celles-ci croulent sous les demandes, et si tous les étudiants peuvent y postuler, ils ne peuvent pas tous y être acceptés par manque de place. Il n'est pas impossible d’obtenir une place dans un foyer étudiant alors que l’université est à l’autre bout de la ville.

Istanbul compte également de nombreux résidences étudiantes privées, mais ces dernières coûtent chères ; il faut compter environ 35000 TL pour l’année universitaire, une somme énorme pour un budget turc. 

 

Pourquoi cette augmentation fulgurante des prix du logement ?

Yasin Ç., agent immobilier à Istanbul tente de nous expliquer les raisons liées à ces augmentations. “Il y a plusieurs facteurs. Le plus important est probablement le très grand nombre de bâtiments actuellement en rénovation ('kentsel dönüşüm') dans le cadre de la transformation urbaine, ce qui oblige des milliers de personnes à se reloger provisoirement. 

Il y a actuellement peu de logements à louer, et une forte demande. En raison de la dépréciation de la livre turque, les propriétaires se basent sur les devises étrangères ($/€) afin de sécuriser leurs revenus. Une forte demande de logements émane des réfugiés (Syriens, Afghans). Par ailleurs, en août, il y a eu beaucoup de transactions immobilières avec des étrangers qui souhaitent obtenir la nationalité turque. Et puis, il y a ceux qui ont reporté leur mariage à cause de la pandémie, et qui cherchent maintenant à s’installer, et, plus généralement, ceux qui ont reporté leur déménagement les 18 derniers mois. Tous ces facteurs contribuent, de près ou de loin, à l'augmentation générale des prix”. 

Sans oublier que les prix des matériaux de construction ont beaucoup augmenté ces derniers mois. 

Pour en revenir au mouvement “Barınamıyoruz”, les étudiants semblent bien déterminés à poursuivre leurs efforts, jusqu’à ce qu’une solution soit proposée par le gouvernement. Dans la nuit de lundi à mardi, ils dormaient dans un parc de Beşiktaş (rive européenne d'Istanbul). Mardi 21 septembre, le mouvement gagnait d'autres villes turques : Ankara, Antalya, Aydın, Edirne, Eskişehir, Gaziantep, Izmir, Manisa, Mersin et Muğla.

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