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La communauté française à l’heure du Coronavirus en Turquie (I)

Coronavirus Turquie vie quotidienne communauté françaiseCoronavirus Turquie vie quotidienne communauté française
Écrit par Albane Akyüz
Publié le 13 avril 2020, mis à jour le 11 janvier 2024

Ils/Elles, d’horizons professionnels variés dans différentes villes de Turquie, ont accepté de raconter leur expérience de la période : télétravail, chômage « technique », activité ralentie, ces témoignages mettent en lumière les incertitudes et les challenges rencontrés par la communauté française de Turquie, à l’heure de la pandémie de Covid-19.

Ceren Baskan, médecin généraliste à l’hôpital d’Acibadem (Istanbul) 

Les malades arrivent au compte-gouttes

Je travaille au service des check-up depuis 2016. A partir du 16 mars, nous avons commencé à annuler les rendez-vous de cette semaine-là, en prévention ; nous avions déjà entamé un travail de sensibilisation auprès des patients (comment se laver les mains, le port du masque en cas de symptômes, la distanciation sociale etc.) dès le 11 mars, jour de la déclaration du premier cas en Turquie. Et puis mon service a été fermé le 20 mars.

Après cette date, je me suis retrouvée en quelque sorte au « chômage technique ».

En Turquie, à l’hôpital, les malades sont sous la responsabilité d’un médecin, en l’espèce, un médecin de « l’équipe covid-19 » dans laquelle on trouve un infectiologue, un pneumologue et des médecins internistes. A l’heure actuelle l’hôpital est divisé en 2 unités : une unité Covid-19 dont le nombre de patients varie en fonction de l’arrivée des malades et des capacités d’accueil de l’hôpital, et un service pour les autres patients. 

Pour l’instant, les hôpitaux publics sont en train de se remplir, donc de notre côté, on ne croule pas sous les patients. De plus, il y a aussi beaucoup d’autres hôpitaux privés dans le secteur. Les malades arrivent donc au compte-gouttes. Étant dans le privé, on ne voit pas encore une énorme vague arriver. Mais désormais il y a une entente entre les hôpitaux privés et la sécurité sociale : en cas de suspicion de Covid-19, les hôpitaux privés étant maintenant conventionnés avec la sécurité sociale, les patients n’ont pas de différence à payer.  

A titre personnel, je me rends à l’hôpital en moyenne une fois par semaine, (dans le cadre de roulements), soit aux urgences, soit dans le service Covid-19. Dans ce service, mon travail est avant tout un travail de surveillance, c’est à dire suivre l’évolution de la maladie chez des patients stables, faire les prescriptions quotidiennes et informer les familles. L’objectif étant de décharger la charge de travail de l’équipe covid-19 et de préserver leur santé également. Car le risque principal à l’hôpital est d’être infecté, il est donc primordial pour les médecins de travailler en alternance afin d’avoir un temps d’exposition minimal.

On ne rencontre pas de problème d’équipements, de stocks. L’avantage en Turquie, c’est que les écoles ont été fermées très vite, les entreprises ont mis en place le télétravail, la vie sociale s’est arrêtée très tôt, c’était une bonne décision. Je constate qu’il n’y a plus de trafic sur la E5 (grand axe stambouliote) depuis la mi-mars, même en heure de pointe, c’est donc que ceux qui le peuvent travaillent de chez eux. En espérant que c’est ce qui nous évitera le pire. 

En tant que médecins, nous sommes inquiets pour notre santé, on préfèrerait rester chez nous, plutôt que d’aller à l’hôpital, mais je me rends aussi compte de la chance que j’ai de ne pas devoir y aller tous les jours. Le climat est bien sûr anxiogène, si la vague arrive, nous ne savons pas comment ça va se passer, que ce soit les médecins jeunes ou plus âgés. Personne n’a expérimenté une pandémie telle que celle-ci. 

Je suis aussi préoccupée par le volet financier : ce n’est pas comme dans le public où l’Etat est garant des salaires des médecins. Dans le secteur privé, on est rémunéré à l’acte donc en fonction du nombre de patients vus. Et comme mon département est fermé, je ne sais pas si on aura notre salaire le mois prochain. Pour l’instant notre souci en tant que médecin est bien sûr la santé de chacun et c’est pour cela que nous avons prêté le serment d’Hippocrate, mais je veux aussi être sûre de pouvoir payer mon emprunt. 

Honnêtement, j’envie les gens qui sont en télétravail, j’aimerais tellement pouvoir travailler de la maison. Quand la profession vous oblige à travailler avec l’humain et que l’on n’est pas habitué à être chez soi… il faut trouver de quoi s'y occuper.

Antoine Levillain, ingénieur (Bozcaada, Çanakkale)

On a de la chance d’être isolés

Les allées et venues sur l’île sont limitées depuis plusieurs semaines. En principe il y a 5 A/R par jour en hiver. Il y en a eu d’abord 3/jour, puis désormais, deux A/R le vendredi et 2 A/R le lundi. Ceux-ci sont principalement prévus pour le ravitaillement de l’île par les grossistes. Tous les mercredis, il y avait un marché sur l’île, celui-ci a été fermé dans la deuxième quinzaine de mars. Du coup, la mairie a organisé un système de commande : jusqu’au mardi de chaque semaine, on doit leur envoyer la liste des fruits et légumes dont on a besoin. Les commandes sont livrées le vendredi. La logistique et la livraison de ces commandes sont assurées par les équipes de la mairie, qui font un gros boulot, reconnu et apprécié par les habitants.

L’île étant touristique, les hôteliers ont bien sûr peur. Les hôtels sont fermés pour l’instant jusqu’au 30 avril, mais ça sera sûrement prolongé. 

Sur le plan professionnel, je suis à la fois fournisseur d’accès à internet, et j’installe des caméras dans les hôtels (cette fonction est bien sûr totalement hors de propos pour les semaines qui arrivent). En tant que fournisseur, (je travaille moins que d’habitude, à part un pic mi-mars), je constate qu’environ 1500 personnes qui sont là en ce moment ne devraient pas y être à cette saison. Ce sont principalement des Stambouliotes, qui ont débarqué très vite à la mi-mars, une fois la fermeture des écoles annoncée. A toutes les sorties du ferry il y avait beaucoup de voitures immatriculées 34 (Istanbul). Du coup les locaux étaient plutôt aigris : les insulaires sont très identitaires ! Sur les groupes facebook et whastapp, ils mentionnaient le fait qu’ils ne voulaient pas des Stambouliotes, ça s’est un peu enflammé au début. Les personnes arrivées sur l’île ont dû signer un papier comme quoi elles s’engageaient à rester en quatorzaine, une personne a dû payer plus de 3000TL pour non-respect de cet engagement. 

Actuellement sur l'île, le trafic internet dépasse celui qu’on a en août en pleine saison, et ce, sans hôtels ni restaurants !

Si le coronavirus arrive ici, ça sera très compliqué ! On a « un hôpital », qui est plutôt un dispensaire, où il n’y a pas de service d’urgence, donc sûrement pas d’appareil d’assistance respiratoire !  S’il y avait un cas, il faudrait évacuer vers Çanakkale, mais par exemple la semaine dernière on a connu une tempête pendant plusieurs jours, c’était impossible de rejoindre le continent.

Globalement, sur l’île, on constate que les gens restent chez eux, ou portent des masques dès qu’ils en sortent, mais on a la chance d’être isolés, et de pouvoir faire des marches dans la nature. 

Florence Öğütgen-Heilbronn, propriétaire du magasin de tapis Tradition au Grand-Bazar, et conseiller consulaire (Istanbul)

J’ai décidé de ne pas attendre l’annonce du confinement du Grand Bazar

En tant que commerçante, mon magasin au Grand Bazar est fermé depuis le samedi 14 mars. Quand j’ai vu approcher la mise en confinement de la France, j’ai décidé de ne pas attendre l’annonce du confinement du Grand Bazar, et ai pris les devants : prévenir plutôt que guérir. J’ai invité mon personnel (2 personnes) à rentrer à la maison. En principe ma clientèle est composée de 90% d’étrangers, (à la fois des expats et des touristes) et de 10% de Turcs. 

La semaine du 16 mars, alors que les écoles fermaient, le Bazar était ouvert. Le 17, un appel de la préfecture d’Eyüp m’a beaucoup étonnée : voyant que mon magasin était fermé, ils se permettaient de m’appeler pour savoir si j’étais en bonne santé ! Ils m’ont demandé si j’avais les symptômes du Covid-19, et m’ont demandé les raisons de la fermeture du magasin : je leur ai dit que c’était par mesure de précaution, ce qui les a agréablement surpris. Le 18 mars, j’ai dû aller au magasin car j’étais censée envoyer des cargos à l’étranger, et j’avais besoin des coordonnées de mes clients restées à la boutique, pour les prévenir que je ne pourrais pas leur envoyer les tapis. Ce jour-là, environ 80% des magasins du quartier du cuir du Bazar étaient fermés. Par la suite, j’ai eu l’Association des commerçants du Grand Bazar au téléphone pour leur demander pourquoi ils ne fermaient pas, on m’a répondu qu’en raison des pressions faites par les boutiques de change (dövizci) le Bazar restait ouvert. Ces derniers font des grosses transactions (virements d’argent) internationales. Néanmoins, après le 23 mars, seulement 2 à 3 des portes du Bazar étaient ouvertes avec des filtrages aux entrées : on laissait entrer les agents de change en question. 

De mon côté, je ne peux malheureusement pas faire de télétravail, même si je contacte mes clients, je ne peux de toute façon pas leur envoyer leur cargo. 

En tant que conseiller consulaire, nous continuons notre travail sur Zoom notamment, par exemple pour l’instruction des dossiers de bourses ; et nous sommes en contact régulièrement avec le Consul et ses adjoints pour les difficultés rencontrées par la communauté française. Les élections consulaires qui devaient se tenir le 17 mai prochain, sont pour le moment reportées, soit à la rentrée 2020, soit en 2021 (ça serait a priori en même temps que les élections municipales).

Je me demande comment les PME vont faire pour s’en sortir. Le report des loyers de 3 mois n’est pas une solution satisfaisante, surtout si on doit en payer quatre au mois de juillet… ?

Je me soucie aussi pour l’école française, notamment du paiement de la scolarité du troisième trimestre (ainsi que le transport et la cantine) : que va-t-il se passer pour l’école ? Par ailleurs, la situation économique des Français et Franco-turcs de Turquie m’inquiète ; certains vont se retrouver sans emploi, car certaines des sociétés (souvent des PME) dans lesquelles ils travaillent n’ont pas forcément les moyens de faire face à la crise. 

 

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