Tous les ans, le 23 avril, Büyükada, la plus grande des îles des Princes au large d'Istanbul, est envahie par des dizaines de milliers de pèlerins de toutes confessions - et particulièrement musulmans - à l'occasion de la fête de la Saint-Georges. Pour les orthodoxes, cette date célèbre également l'Hıdırellez, en l'occurrence l'arrivée du printemps.
Représenté généralement sur son cheval blanc en train de terrasser le dragon, saint Georges de Lydda, mort le 23 avril 303, est notamment vénéré par les grecs orthodoxes pour qui il est un mégalomartyr, autrement dit un "Grand Martyr".
De bon matin, les plus courageux arrivés avec les premiers bateaux se mettent en route pour traverser l'île à pied et grimper jusqu'au monastère Saint-Georges - Aya Yorgi en turc - situé sur la plus haute colline. D'autres vont parcourir une bonne partie du chemin en calèche jusqu'au lieu-dit "Luna Park" avant d'entamer la montée d'environ 20 minutes qui mène au saint des saints.
Il y a 10 ou 12 ans, les Grecs affluaient chaque 23 avril, faisaient parfois rôtir le cochon de lait à proximité immédiate du monastère, chantaient et dansaient des airs de leur pays... Aujourd'hui, les pèlerins viennent toujours y prier, allumer des bougies, y faire des vœux. Saint Georges est connu et apprécié pour ne pas faire de distinction entre les chrétiens et les musulmans.
Sitôt arrivé à l'embarcadère ou à la descente de la calèche, des marchands ambulants vous proposent des bougies de différentes couleurs, des petits talismans en forme de cœur, de maison, de clé..., des bobines de fil, des boîtes de sucre et des bouteilles d'huile, tous les éléments indispensables pour cette journée.
En effet, lors de cette fête, les femmes viennent formuler leurs vœux les plus chers et reviennent offrir les années suivantes pour offrir aux autres pèlerins de menus cadeaux lorsque leurs souhaits ont été exaucés.
Santé, argent, un enfant
Quelques-unes, parmi les plus vaillantes, enlèvent leurs chaussures au bas de la pente et effectuent la montée pieds nus. Les vœux de chacune vont se faire avec des matérialisations diverses. La plus étonnante constitue à dérouler une bobine de fil tout au long du chemin en le faisant tenir aux troncs, aux branches... Attention de ne pas s'emmêler les pieds, vu la profusion et l'enchevêtrement de fils au fur et à mesure de l'avancement de la journée !
D'autres vont accrocher leurs amulettes choisies avec soin chez un des marchands et qui prennent des formes différentes selon les vœux : avoir la santé, de l'argent, un enfant, une voiture, le bonheur, une maison, réussir un examen, demander la guérison d'une grave maladie, et bien d'autres désirs, parfois simples, parfois très importants et sérieux.
Un service d'ordre, qui se renforce au fil des heures, contrôle et gère l'accès à l'église Saint-Georges. Un hélicoptère de la police tournoie au-dessus des lieux et peut atterrir en cas de nécessité sur l'héliport tout proche.
Des dizaines de milliers de vœux
La messe commémorative en l'honneur du saint du jour a eu lieu de 7 h à 9 h avant l'arrivée de la foule. Selon le moment où l'on arrive, il faudra parfois attendre une à deux heures voire plus pour entrer tant il y a de monde - surtout l'après-midi - et l'église n'étant pas bien grande.
A l'intérieur, après avoir allumé une ou plusieurs bougies à l'entrée, place aux prières, à l'embrassade des icônes, à l'effleurement de celles-ci avec une pièce de monnaie et avec les vœux écrits sur des petits bouts de papier. Rédigés en prenant appui contre une colonne ou sur l'accoudoir d'une stalle, ils seront ensuite glissés tant bien que mal dans la boîte prévue à cet effet près de la sortie, soit par la fente du haut, soit par les espaces à l'avant où certains arrivent à les glisser après moult efforts. La boîte menace d'exploser tant elle est remplie alors qu'il n'est que 10 heures du matin. Sans doute sera-t-elle remplacée à plusieurs reprises au cours de la journée pour accueillir les dizaines de milliers de vœux.
Sur le chemin et à la sortie du lieu saint, les femmes qui ont vu leurs vœux des années précédentes se réaliser, offrent des bonbons ou du sucre en morceaux. Certaines vont se servir de sucre pour constituer un petit motif ou un mot évocateur déposé sur un muret de l'enceinte de l'église.
Curieux cérémonials
A l'arrière de l'édifice, un pope, un grand verre de café à la main, s'empresse de passer derrière les barrières de sécurité mises en place par la police afin de gagner un lieu plus calme. Pour la méditation, il faudra attendre des lendemains plus calmes.
Après avoir franchi le tourniquet menant à l'extérieur du site, la face de la paroi rocheuse sur laquelle repose le monastère est elle aussi prise d'assaut. On y dépose sa bougie de couleur, on tente d'y coller une pièce de monnaie à l'aide de cire, on accroche des vœux en papier ou sous d'autres formes sur les branches environnantes avec ferveur, patience... et surtout beaucoup d'espoir. Une fois le devoir accompli, c'est le moment de profiter de la vue magnifique sur l'île voisine de Heybeliada qui se dégage de la plate-forme et de se restaurer.
Sur la pente ainsi qu'aux abords de l'église, on assiste à de biens curieux autres cérémonials, ceux de prêtres et de laïcs évangélistes d'origines différentes - beaucoup sont américains et asiatiques - qui vont apposer leurs mains sur la tête ou les épaules des personnes qui le souhaitent en priant, parfois doucement, parfois à tue-tête. S'en suivent des embrassades et des étreintes bon enfant. Cela fait penser à la période "peace and love" des années 1960 !
Pendant que certaines femmes continuent inlassablement à offrir leurs morceaux de sucre, d'autres personnes distribuent gratuitement bibles, diverses publications et brochures données par les membres des communautés évangéliques présentes.
Des groupes composés de Turcs et d'étrangers chantent, jouent de la musique, dansent ; un jeune Chinois perché sur des échasses se prépare pour un petit spectacle, une pièce de théâtre est prévue. D'autres vont raconter à ceux qui veulent bien les écouter des histoires plus ou moins saintes, partager leur foi, proposer leur aide médicale et spirituelle à ceux qui souffrent, ambiance à la fois étrange et garantie.
Si la journée a débuté sous un ciel pluvieux et gris, ce dernier s'est finalement dégagé pour laisser la place au soleil et réchauffer l'atmosphère... Une fois encore, ce 23 avril aura été l'occasion pour beaucoup de formuler leurs vœux afin qu'ils se réalisent avec l'aide de saint Georges ou de le remercier pour son soutien.
Texte et photos Nathalie Ritzmann (http://lepetitjournal.com/istanbul) mercredi 26 avril 2017