La consommation d'antidépresseurs en Turquie aurait augmenté de 66% au cours des 10 dernières années. La situation économique du pays est largement pointée du doigt.
"Lorsque les gens vont faire leurs courses, ils ne peuvent pas remplir leurs paniers, ils ne peuvent pas donner d’argent de poche à leurs enfants. Naturellement, une telle insécurité les pousse à consommer des antidépresseurs", a déclaré Burhanettin Bulut, député d’Adana (CHP, opposition), suite à une vidéo partagée sur le réseau social Twitter le week-end dernier, et dans laquelle il annonce la hausse pharamineuse de la consommation d’antidépresseurs sur les dix dernières années en Turquie.
Son 10 yılda antidepresan kullanımının yüzde 66 oranında arttığını belirten CHP Adana Milletvekili Burhanettin Bulut:
— ANKA Haber Ajansı (@ankahabera) January 29, 2023
“Güvensizlik insanları ilaç kullanımına itiyor.”https://t.co/s6RFXziPz4 pic.twitter.com/g2xM3w1nO7
En effet, 37 280 936 boîtes d'antidépresseurs auraient été vendues en 2012, 45 134 854 en 2016, et 61 870 998 en 2022, représentant ainsi une augmentation de 66% en 10 ans. Un revenu lucratif pour les laboratoires donc, évalué à plus de 1,7 milliards de livres turques en 2022.
Les antidépresseurs, plus abordables qu’une thérapie
Même si les antidépresseurs représentent un coût (une boîte de Prozac coûte environ 75TL), les Turcs vont plus facilement se tourner vers cette option que consulter un psychologue par exemple, qui pour une séance peut demander entre 1 000 et 1 500 TL.
Ceren B., franco-turque, est médecin généraliste dans un hôpital privé d’Istanbul. Selon elle, c’est la "facilité" qui pousse les gens à prendre des antidépresseurs. "Ça coûte beaucoup plus cher d’aller faire une thérapie. J’ai des patients, aussi bien hommes que femmes, sous antidépresseurs, ils n’ont pas la patience d’aller en thérapie, ils préfèrent traiter le symptôme plutôt que la cause."
Le problème de l’automédication
Burcu A., elle, pharmacienne dans la pharmacie d’un hôpital public d’Ankara, alerte sur le phénomène de l’automédication : "Il est très facile de se procurer des antidépresseurs sans ordonnance en Turquie, notamment le Prozac. On se retrouve avec une situation où chacun fait son marché, car un voisin ou un ami recommande un antidépresseur. Mais si ce dernier peut avoir un effet bénéfique sur X, il n’aura pas le même effet sur Y. Cela peut être dangereux in fine. Il y a un vrai travail à mener au niveau des politiques de santé publique sur ce sujet, car c’est actuellement ‘la jungle’."
Un constat partagé par Emre G., pharmacien à Fatih à Istanbul, qui regrette le "manque de contrôle" des autorités sanitaires. Il ajoute que depuis la pandémie de COVID-19, "il est fréquent que certains patients poussent la porte de la pharmacie, demandant timidement s’il est possible d'obtenir des antidépresseurs sans ordonnance."
L’angoisse de la situation économique
Tayfun A., lui, pharmacien à Beyoglu à Istanbul, nous explique : "Il ne se passe pas un seul jour sans que l’on vende une boîte de Xanax ou de Prozac. Je pense que les chiffres officiels sont sous-estimés. Mais cette consommation fait sens, la situation est sombre à tous points de vue pour les Turcs. Bien sûr, il y a eu la pandémie de Covid-19, mais, selon moi, la situation économique est clairement à l’origine de cette hausse. Avec la crise du logement en cours, les citoyens se demandent s’ils pourront payer leur loyer, leurs factures, les parents se demandent comment ils pourront faire face aux frais de l’éducation en constante augmentation. Chacun se demande ce qu’il en sera de son travail. Les Turcs sont dans une situation de stress permanent, ce qui affecte directement leur santé, d’où la prise d’antidépresseurs."
Oguz K., coiffeur dans le quartier de Levent à Istanbul nous confie, la gorge serrée : "Je pense parfois à prendre des antidépresseurs, mais je n’ai même pas le temps de me rendre à l’hôpital pour avoir l’avis d’un professionnel, sans mentionner qu’il faut des mois pour obtenir un rendez-vous dans le public, pour une consultation de 5 minutes. Je n’ai pas les moyens pour une consultation dans le privé. En réalité, je n’ai tout simplement pas le temps d’y aller. Je travaille 6 jours sur 7 plus de 10 heures par jour, auxquelles il faut ajouter deux heures quotidiennes dans les transports. Et pourtant, à la fin de chaque mois, je constate que mon budget est de plus en plus serré, malgré les augmentations de salaire. Cette vie nous rend fous à petit feu."
Dans le dernier rapport international sur le bonheur, établi sous l'égide de l'ONU, la Turquie était placée à la 112ème place, sur 146 pays, perdant 8 places par rapport à l’année précédente (alors que la Turquie occupait la 78ème place en 2012). Une situation qui peut s’expliquer par les graves difficultés économiques et l’inflation galopante que subissent les Turcs ces derniers mois.
Ce lundi 30 janvier, Türk-İş (Confédération des syndicats turcs) révélait que le seuil de pauvreté (8 864TL) avait dépassé le salaire minimum (8 506TL). Pour une famille de quatre personnes, le seuil de pauvreté est désormais évalué à 28 875 TL.
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