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La négociation en Inde, une mission impossible ?

negociation Indenegociation Inde
Écrit par The Indian Project
Publié le 11 février 2019, mis à jour le 19 décembre 2023

La négociation en Inde : mission impossible ? Non, répond Mathieu Jouve-Villard, la négociation est possible à condition de connaître les règles. Vivant en Inde depuis 1994, Mathieu Jouve Villard est cofondateur et partenaire du cabinet de conseil en stratégie Wedge Consulting et directeur du bureau indien du CIC. Une position qui lui a permis de mener de nombreuses négociations et de comprendre pourquoi les entreprises françaises avaient autant de difficultés en Inde : « 98% des projets qui capotent sont des projets qui ont été mal négociés. Où un tas de portes ont été laissées ouvertes pour qu’un partenaire profite d’un avantage et prenne le contrôle des opérations. Un projet bien négocié se passe sans problème. »

 

Encouragé par l’ambassadeur de France en Inde Alexandre Ziegler – qui signe la préface-, Mathieu Jouve Villard a décidé d’en faire un livre : Pratique de la négociation en Inde (Eyrolles, 2017). Un thème crucial et qui pourtant, n’avait jamais été abordé jusque-là.

 

Pratique de la negociation en Inde Mathieu Jouve Villard

 

L’Inde, un passage obligé pour les entreprises ?

Mathieu Jouve-Villard : J’ai voulu montrer que les meilleures techniques de négociations ne vous aideront pas à vendre du vent. La première règle de négociation, c’est d’avoir quelque chose à vendre. Et dans ce cas, de voir si on a quelque chose à faire en Inde ou pas. Tout le monde n’a pas besoin de venir en Inde. Vous en rendre compte vous fera gagner du temps. Ensuite il y a un travail à faire à la maison pour préparer sa négociation et éviter un certain nombre d’erreurs.

 

L’Inde ne pardonne pas l’amateurisme

L’idée de ce livre est de donner les  clefs pour donner les grandes mécaniques de négociations indiennes. Ce sont des règles qu’on retrouve dans l’ensemble du pays et qui s’adressent à tout le monde. Que l’on négocie le prix d’un rickshaw dans la rue ou un accord de joint-venture, ce n’est pas du tout la même chose, mais on va retrouver les mêmes mécaniques.

 

Le message que j’aimerais faire passer, c’est qu’on arrête de dire que l’Inde est un marché difficile. Une fois qu’on a dit ça, on n’a rien dit. Surtout, cela sous-entend que même si on travaille bien, le résultat reste aléatoire. Or ce n’est  pas vrai. L’Inde ne pardonne pas l’amateurisme. Si on travaille de manière professionnelle et rigoureuse, les choses marchent.

 

Testés dès la première rencontre

L’une des erreurs communes aux entreprises françaises, c’est de faire une mission découverte en Inde sans rien connaître au pays. Elles arrivent la fleur au fusil pensant qu’elles vont apprendre en rencontrant les gens. Ce qu’elles ne comprennent pas, c’est qu’elles rencontrent des gens qui vont devenir des partenaires potentiels d’une manière ou d‘une autre. Cette première rencontre participe à la mise en place de la dynamique de la relation.

 

Les Indiens fonctionnent différemment : ils vont vous tester dès le départ avec le but de mettre en place cette dynamique avec vous. Eux sont au courant qu’ils vont peut-être travailler avec vous. Dès la première poignée de main, ils posent les premières pierres de la négociation qui va suivre. A la manière dont ils vous font comprendre que c’est vous qui  avez besoin d’eux – et pas eux de vous; à leur façon de vous poser des questions – pour savoir de quoi vous avez besoin, si vous cherchez des fonds, de la technologie, un accès au marché- mais aussi de vous tester pour voir si on peut vous faire croire n’importe quoi… ils vont engranger tout un tas d’informations dans leur base de données interne. Cela va leur servir ensuite pour structurer une relation.

 

Les Français donnent l’image de gens qui arrivent dans un pays sans rien en connaître. Littéralement, ce qu’ils font passer comme message à leur interlocuteur, c’est « Apprenez-moi ».  L’Indien va bien sûr vous donner des infos à son avantage. Et dans cette phase capitale de la mise en relation, les Français se mettent déjà en position de faiblesse. Face à des gens fort sympathiques … mais qui ne sont pas de leur côté.

 

Un fonctionnement différent

Les Indiens respectent les règles du jeu. Mais elles sont différentes ici. Si vous voulez venir en Inde et faire des affaires, c’est votre boulot de les apprendre. Il faut accepter le fait que dans un endroit différent les règles soit différentes. Pascal ne disait-il pas “vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà »?

 

C’est important de comprendre que l’Inde est un pays fondamentalement différent. En tant qu’occidentaux, on a pris l’habitude de rencontrer un peu partout une sorte de pensée unique, en dépit des différences culturelles, avec une logique, de grands principes, de grandes valeurs sur lesquels on peut s’appuyer. Et beaucoup de gens confrontés à la vraie différence ne peuvent pas le gérer. Souvent ils réagissent en disant que les Indiens ne sont pas idiots. Pas du tout. il faut qu’une lumière rouge s’allume en eux en se disant :  “tiens il y a quelques chose que je ne comprends pas. »

 

Les Indiens sont différents. L’Indien moyen écoute de la musique indienne, mange indien, regarde des films indiens, s’habille indien. 80% ont une religion maison. C’est l’un des rares pays où Hollywood a une toute petite part de marché : 15% en 2017. Dans la plupart des pays du monde, Hollywood représente 80% du cinéma. L’Inde est en plus le premier producteur de films au monde. Car les Indiens sont de grands consommateurs de leurs propres produits culturels.

 

Peut-on s’inspirer des autres stratégies occidentales pour réussir sa négociation ?

Bien sûr. Les culture anglo-saxonnes ou d’Europe du nord  sont mieux équipées que les Français pour le développement international. Car c’est un vrai métier. On trouve des gens qui ont fait toute leur carrière dans le développement international. En tant que consultant en Inde, mes meilleurs interlocuteurs sont des professionnels du développement international. Ils sont conscients de ce qu’ils ne savent pas.

C’est extrêmement rare en France. Et les entreprises ne comprennent pas ce type de profil. En général, le directeur du développement international en France vient du commercial, du marketing, du service… Il n’a pas d’expertise dans le développement international. Les Français sont arrogants : ils croient comprendre ce qui se passe. 9 fois sur 10, des boites françaises nous demandent de mettre en place une stratégie élaborée dans un bureau à Paris où personne ne connaît le marché indien. On ne nous demande quasiment jamais de conseils en stratégie d’entrée sur le marché indien.

 

Concrètement, quels conseils donneriez-vous aux Français pour réussir leur business en Inde ?

  • Soyez professionnel : prenez des décisions informées. Évaluez les implications en amont en aval. Vous devez savoir pourquoi vous la prenez. Pas en fonction de dynamiques internes, mais parce que c’est une décision motivée par la connaissance du pays, ce qui veut dire : se renseigner sur la situation sur place.
  • Ne pensez pas apprendre de vos interlocuteurs. Au contraire, il faut arriver avec l’esprit ouvert et montrer qu’on a la compréhension des choses, qu’on sait ce qui va se passer et qu’on ne peut pas vous en raconter.
  • Ne vous fiez pas au chaos ambiant : c’est l’impression première. Il y a une fine couche de chaos et en dessous, une organisation implacable.
  • Votre entreprise doit toujours être en règle. C’est un pays très administratif. Soyez conforme avec la loi. Cela aussi s’anticipe.
  • Faites bien votre travail en amont et ayez recours à des compétences locales pour prendre des décisions.
  • L’avantage de l’Inde est que vous pouvez commencer petit. Vous y avez tout intérêt. Mieux vaut une stratégie frugale qui tienne sur la longueur pour éviter de vous asphyxier.
  • Soyez attentif à la gestion de vos ressources. Evitez les frais fixes trop importants dans le pays dès le départ.
  • L’ Inde n’est pas un sprint mais un marathon. Les choses prennent du temps et les Indiens vont jouer dessus. Si vous êtes pressé, et que vos interlocuteurs le comprennent, ils vont en jouer et faire pression jusqu’à ce que vous acceptiez des choses que vous n’auriez pas dû. Mais vous ne serez pas dans cette position si vous avez bien préparé le terrain avant.

 

Quels résultats attendre ?

Quand les gens travaillent bien,  cela se passe très bien. Associez-vous, prenez des consultants. Il y a des gens dont c’est le métier de faire des affaires en Inde. Et cela marche :

Le responsable de Pernod Ricard India me disait que pour travailler en Inde, il avait besoin de 135.000 licences par an. C’est énorme. Mais c’est son métier et celui de ses équipes d’obtenir ces licences. Ils travaillent bien et la filiale est extrêmement rentable. C’est même la deuxième plus grosse filiale du groupe. Le patron d’Accor est là depuis 9 ans. Quand il est arrivé en Inde, il y avait un seul hôtel Accor. Il y en a aujourd’hui une soixantaine. La plus grosse commande de l’histoire d’Airbus a été signée en Inde  : 250 appareils d’un coup.

Vous avez aussi tout un tas de PME qui sont des success stories et qui marchent très bien. Pourtant les entreprises sont terrifiées par le marché indien. C’est injustifié mais elles ont peur.

Il y a énormément de choses à faire en Inde et les entreprises françaises y ont un énorme capital et d’excellentes relations bilatérales. Et quand les gens font bien leur travail, ça marche.

 

Réactions croisées : l’expérience d’un Indien en France, Abraham Thomas

Indien vivant en France et également habitué aux négociations, Abraham Thomas, fondateur d’India Direct,  ajoute :

  • De mon expérience, à peine avons-nous fini de négocier et de signer un contrat qu’on est déjà en train de le renégocier. Il y a aussi une part de bonne foi, très difficile à décrypter. Nous sommes en négociation à flux tendu. Le temps est donc un facteur majeur à prendre en compte dans le rapport de force.
  • Pour plus de sûreté, n’oubliez pas d’ajouter une clause d’arbitrage avant d’aller au tribunal dans le contrat.
  • Enfin sur place, il faut bien avoir en tête que l’actionnaire qui exploite l’usine ou bureau est toujours par défaut en position de force.

 

 

 

 

theindianproject
Publié le 11 février 2019, mis à jour le 19 décembre 2023

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