De nos jours, en Inde, il arrive que les jeunes soient impliqués dans le choix de leur futur conjoint, on parle de mariages d’amour. Cependant, encore aujourd’hui, de nombreux mariages sont arrangés. Les partenaires sont choisis par les parents et les couples ne se connaissent pas et ne se rencontrent pas avant.
Dans le Times of India, nous pouvions lire il y a quelques mois, un article d’un certain Dr Kamani, affirmant que les mariages arrangés peuvent fonctionner «parce qu’ils dissipent tellement l’inquiétude « est-ce la bonne personne? ». Les mariages arrangés commencent froids, chauffent et bouillissent au fur et à mesure que le couple grandit » !
Dans le contexte actuel de l’Inde, où l’ « institution mariage » tient encore une place primordiale dans la vie des Indiens (tous sexes confondus), comment sont réellement vécues ces unions ? Mariage arrangé, mariage d’amour : y a t’il une recette miracle ?
Trois témoignages, issus d’entretiens menés à Delhi et à Chandigarh au Punjab, nous montrent qu’il n’existe pas de réponse univoque.
Sanita a 27 ans. Elle est professeur de droit dans une université du Punjab. Elle est mariée depuis deux ans. Elle vit dans une joint family.
Son mariage a été "arrangé". Ses parents ont longuement cherché dans les petites annonces matrimoniales. Ils ont rencontré plusieurs familles et lorsqu’un accord a été trouvé, ses parents le lui ont imposé. "Mes parents ont décidé, comme c’est la tradition". Elle leur a dit que quel que serait leur choix, elle accepterait. "En Inde, on considère que cela est le meilleur moyen de trouver le bon partenaire".
Elle n’a rencontré son futur mari que peu de temps avant son mariage, mais tout était déjà conclu entre les deux familles.
Elle n’a émis aucune opposition. Ils sont de la même caste. Elle savait qu’en refusant, en restant dans sa famille, elle ne serait pas en mesure d’aider ses parents qui avaient quelques problèmes financiers. La belle famille ne demandait pas une dot très importante et ils ont réussi à s’entendre assez facilement.
Elle n’avait jamais fréquenté de garçon auparavant car dans sa famille il ne faut pas avoir de petit ami. Ses parents étaient très stricts à ce sujet-là.
Au début, les jeunes époux ont eu beaucoup de difficultés à s’accepter, mais maintenant, après deux ans, elle reconnaît que cela va mieux, ils ont appris à se connaître. Selon elle, le mariage arrangé est bon sur certains points. « Personne n’est parfait. On apprend à se connaître après le mariage et l’amour s’installe peu à peu ».
Deepika est journaliste à Delhi. Elle a effectué ses études aux États Unis. C’est une femme de 35 ans, jeans, t-shirt, les cheveux mi- longs.
Elle raconte sa vie aux US. Elle a eu plusieurs petits copains, elle sortait en boîte de nuit, dans des soirées étudiantes. Mais une fois ses études finies, elle a demandé à ses parents de lui trouver un mari.
Elle dit : "Eux seuls peuvent trouver le garçon le mieux pour moi. Eux, ils savent … "
Elle est donc rentrée à Delhi pour se marier avec l’homme trouvé par ses parents.
Elle ne regrette rien de sa vie passée, mais "cela ne représente pas la vraie vie".
Tout se passe bien depuis, mais elle en était persuadée !
Geeta est une femme d’une quarantaine d’années, elle est investie dans la compréhension de la condition des femmes et travaille dans une institution d’aide depuis vingt ans. Elle a fait un mariage d’amour.
Follement amoureuse d’un garçon, elle choisit de faire sa vie avec lui et de l’imposer à sa famille. Elle explique combien elle était fière à ce moment-là de braver l’ordre social et de "s’affirmer en tant que femme".
Ce garçon était d’une caste plus basse que la sienne : un Vaishya, de la sous-classe des Kautilya. Elle, était de caste brahmine, la plus haute. Elle s’est mariée en s’opposant aux ordres donnés par sa caste. Sa famille était contre ce mariage et n’a pas accepté de le reconnaître. Geeta a, à cause de son choix, perdu sa caste une fois mariée. Elle n’a depuis plus aucun lien avec sa famille. Ce n’est pas ce qui la gêne le plus. Elle parle en revanche de la culpabilité qui la ronge depuis.
Des enfants sont nés de cette union. Elle explique comment ses enfants ont perdu les deux castes et se retrouvent dans une caste encore plus basse, sans aucune possibilité de changer cela. Le fait que les enfants perdent le bénéfice des castes des parents est vécu par Geeta comme "une punition".
Ces trois exemples montrent que le système de castes dans l’Inde moderne met l'accent sur une flexibilité toute relative en ce qui concerne l'interaction sociale. Nous pouvons constater que l'endogamie des castes se poursuit et que les mariages inter-castes restent source de difficultés. Ils montrent aussi que dans un tel système, les familles, les castes et les communautés représentent une assurance d’intégration et d’acceptation sociales.
Pour des raisons d’anonymat, les noms ont été changés.
Pour en savoir plus sur les mariages arrangés, un documentaire en Anglais, What's love got to do with it , est disponible en ligne sur le iTunes store ici ainsi que sur google play ici. La réalisatrice, Roheena Gera, est l'épouse de Brice Poisson, un des finalistes des Trophées des Français d'Asie.