Nicolas Errèra, célèbre compositeur français, a composé la musique de plus de 50 films. Il était de passage à Hong Kong pour la période des fêtes de fin d’année. À cette occasion, nous l’avons rencontré pour qu’il nous parle de ce métier atypique et fascinant.
Ma première approche avec Hong Kong, ça a été à travers le cinéma
Qu’est-ce qui vous amène à Hong Kong ? Et quel lien entretenez-vous avec la ville ?
On vient un peu pour des vacances et on en profite pour avancer sur deux films en cours, rencontrer les équipes. Hong Kong et moi, c’est une longue histoire. Quand j’étais adolescent à Paris, dans les années 1990, j’étais fan du cinéma hongkongais et il y avait seulement un ou deux cinémas qui diffusaient ces films, ceux de John Woo par exemple. Donc ma première approche avec Hong Kong, ça a été à travers le cinéma. Puis au fil du temps je me suis dit que ce serait marrant de faire des musiques pour ces films que j’aime tant, donc j’ai envoyé des musiques à certaines productions à Hong Kong. J’y suis allé au culot et ça s’est bien passé puisqu’on m’a présenté à Benny Chan, le célèbre réalisateur hongkongais. Et avec Joséphine, ma femme et collaboratrice, j’ai rencontré Benny Chan en 2007 pour la première fois pour Connected, et par la suite, j’ai fait, avec lui, Shaolin en 2011, un gros film avec notamment Andie Lau et Jackie Chan, un thriller chinois The White Storm, et le dernier, Raging Fire, un énorme succès, en 2021. Il m’a ouvert les portes du cinéma chinois, j’ai travaillé avec Jiang Wen pour Hidden Man, Larry Yang et la réalisatrice chinoise de films d’auteur, Li Yu.
Quand je voyage, ça me nettoie la tête
Est-ce qu’une ville comme Hong Kong vous inspire dans votre travail ?
Quand je voyage, ça me nettoie la tête. Avec Joséphine, on aime bien juste déambuler dans les rues, il y a une forme de fraicheur que je n’ai pas quand je travaille dans mon studio où je peux rester enfermé pendant plusieurs mois, tel un ours dans sa caverne. À Hong Kong, j’adore l’esprit, l’atmosphère de la ville. Il y a encore une mixité sociale qu’on ne retrouve plus spécialement dans d’autres grandes villes beaucoup plus cloisonnées et gentrifiées. Ici, les gens se côtoient, il y a du dialogue, c’est ouvert, tout le monde se fréquente. Ça donne une âme. Peut-être que j’idéalise mais on sent que c’est un port, un carrefour de cultures, très ouvert. Et puis, il y a des villes qui sont très photogéniques, cinégéniques, et Hong Kong en fait partie. On va à Mong Kok et tout de suite ça enclenche un imaginaire. Alors ça influence forcément sur la musique, sur la manière de composer, mais dans mon processus, c’est plus abstrait, ce sont plus les couleurs, les odeurs, les lignes graphiques, la skyline qui m’inspirent.
Je transmets des émotions par la musique
Quel est votre parcours ? Et comment définissez-vous votre métier ?
J’ai commencé le piano à 5 ans puis je suis allé à l’École normale de musique de Paris où j’ai fait du piano et je suis aussi allé en classe de composition avec un professeur génial. Parallèlement, j’ai fait des classes de musique électronique à Paris. Puis j’ai arrêté le classique et j’ai fondé deux groupes de musique électronique, Grand Popo Football Club et Rouge Rouge, dans la veine de la French Touch, dont les plus connus sont Daft Punk. Et petit à petit, je suis arrivé à la musique de films. Il faut être cinéphile pour faire ce métier, et en ce qui me concerne j’ai toujours écouté de la musique de films, déjà étant petit, j’en écoutais pour m’endormir. Enfin, je dirais qu’en tant que compositeur, je suis un storyteller, un raconteur d’histoires. Je raconte des histoires en musique, je transmets des émotions par la musique. C’est le film qui dicte, même le réalisateur, au bout d’un moment, est pris par son film. Je suis au service du film.
C’est très long la composition ça peut durer 4 ou 5 mois
Comment se passe la création de la musique d’un film concrètement ?
Le compositeur est le troisième auteur du film : il y a d’abord les scénaristes, le réalisateur ou la réalisatrice puis le compositeur ou la compositrice. J’essaye de continuer de raconter l’histoire avec un angle différent, d’aborder autrement les émotions. La musique influence fortement l’image. Sur une scène d’action très rapide, on peut choisir de poser une musique triste, lente et ça peut influencer fortement le sens, donner un contraste intéressant.
80 % du temps, je travaille seul sur la composition et ce sont seulement les derniers 20 %, le moment de la production, où l’on est très nombreux. La composition ce n’est pas uniquement faire des musiques, c’est savoir où on la commence, où on l’arrête, tout cela ça s’apprend, si on la commence plus tard, ça donne une autre émotion, les textures, il y a plein de subtilités. Aujourd’hui on mélange les textures et les techniques. C’est très sophistiqué. Il y a plusieurs couches, la couche électronique, celle avec des bruits concrets, et la couche classique avec de vrais musiciens.
Chaque film est une aventure différente mais il y a des points communs : le scénario, le tournage et l’après-tournage. C’est là que j’interviens. Le réalisateur m’envoie un premier montage, je commence par poser des musiques temporaires, juste pour voir si l’atmosphère matche bien. Ensuite, je compose la musique originale : c’est très long la composition ça peut durer 4 ou 5 mois. Quand le montage est quasiment bouclé, je commence à travailler plus précisément sur la musique. Quand je compose un morceau, il a un temps réel, donc il faut que le synchronisme avec l’image du film soit parfait. C’est l’aspect technique. En résumé, je travaille sur ordinateur, sur un logiciel et à la fin on transforme le fichier en partition pour que les musiciens puissent jouer. Et c’est seulement à la fin qu’on enregistre car c’est couteux, il y a beaucoup de gens, on fait venir un orchestre, parfois 60, 80 voire 100 musiciens. C’est très sophistiqué.
En Asie, on ne craint pas de faire pleurer
Y a-t-il des différences entre la composition de musique pour le cinéma occidental et le cinéma asiatique ?
Oui. Par exemple, les Américains ont tendance à illustrer la scène, à raconter en musique ce qu’il se passe à l’image et souvent en cinéma asiatique, il y a une volonté de contraster l’image par la musique et ça donne parfois une force incroyable au film. Globalement, l’approche culturelle est différente. Il y a une différence même entre Américains, Belges et Français de comment la musique est perçue. En France on est plus intellectuels, la musique viendra en second plan, après le texte. Et ici en Asie, on ne craint pas de faire pleurer, ils aiment l’émotion. On ne craint pas d’intensifier les émotions. Et puis, il y a bien sûr une influence des uns sur les autres. Par exemple les films d’action hongkongais se sont beaucoup inspirés du Français Jean-Pierre Melville. Avec Le Samouraï, entre autres, il a créé un univers très unique dans le cinéma français.
Quel projet de film vous a laissé un souvenir particulièrement marquant ?
Il y a un film qui m’a particulièrement marqué mais dans le sens triste. C’est le dernier film que j’ai fait avec Benny Chan, il y a deux ans, et malheureusement Benny était malade, et il n’a pas pu finir le film, il est décédé et on a dû finir sans lui. Ça a été extrêmement triste. C’est d’abord la perte d’un ami et puis de devoir finir son film Raging Fire, sans lui. C’est lui qui m’avait ouvert les portes du cinéma asiatique. C’est un souvenir qui m’émeut encore beaucoup. Et par ailleurs, grâce à mon métier je fais des très belles rencontres, avec John Malkovich, Jiang Wen, Li Yu…
L’un de mes rêves serait de travailler pour un ballet
Quels sont votre actualité et vos futurs projets ?
L’un de mes rêves serait de travailler pour un ballet. Je viens de terminer une série de Vincent Garenq, Tout pour Agnès, et en ce moment je travaille pour le prochain film de Frédéric Jardin, Survive avec l’actrice belge Émilie Dequenne, sur un film du canadien Ken Scott et je termine Le chemin du serpent du réalisateur japonais Kiyoshi Kurosawa. Ici, à Hong Kong, j’ai, en cours, deux films qui sortiront en 2024 et 2025.