Accusé ce mercredi par Donald Trump de “lécher le c… de la Chine", Emmanuel Macron a pour le moins surpris les observateurs quant à l’étendue des discussions engagées avec le président Xi. Retour sur un voyage aux allures gaulliennes, véritable pied de nez à l’hégémonie des Etats-Unis mais surtout l'affirmation d'une position stratégique originale.
51 points de discussions et d’accords
Accompagné d’une délégation de 60 responsables d’entreprises dont les poids lourds Airbus, Veolia, EDF ou CGA CGM, le président français n’est pas revenu les mains vides de sa visite chinoise, quelques 18 accords commerciaux étant signés, comprenant une commande de 160 avions Airbus assemblés en Chine, 50 hélicoptères du même constructeur, la livraison prévue par la Chine de 16 navires utilisant le gaz liquide comme carburant pour la CGA CGM. Mais c'est surtout une large déclaration jointe de 51 points qui marque cette visite d'état d'une durée inédite de 3 jours. Ce document publié sur le site de l'Elysée couvre des domaines de collaboration aussi divers que la lutte contre le réchauffement climatique, le dialogue stratégique, la sécurité et stabilité internationales, la non-prolifération des armes nucléaires, la coopération économie en matière agricole, énergétique, numérique et financière.
La France et la Chine s’accordent à approfondir les échanges sur les questions stratégiques
Plus surprenant encore, le point 4 de cette déclaration jointe: "La France et la Chine s’accordent à approfondir les échanges sur les questions stratégiques et notamment à approfondir le dialogue entre le Théâtre Sud de l’Armée populaire de libération de la Chine et le Commandement des forces françaises en Zone Asie-Pacifique (ALPACI), afin de renforcer la compréhension mutuelle des enjeux de sécurité régionaux et internationaux." Lorsque l'on sait combien cette zone est disputée, les Américains et Australiens construisant une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire avec le programme AUKUS, on mesure la portée stratégique de cette déclaration.
Trump accuse Macron de «lécher le cul» du président chinois Xi Jinping
— Le Parisien (@le_Parisien) April 12, 2023
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Une distanciation de la France par rapport aux Etats Unis
Autant dire que le tsunami diplomatique provoqué par cette déclaration est en décalage avec la position conventionnelle de la Présidente de ‘Union Européenne Ursula von der Leyen, annoncée comme candidate à la direction de l’OTAN (source Reuters 31/3/2023 et The Telegraph 1/4/2023). Après avoir critiqué ouvertement la politique chinoise dans la semaine qui a précédé sa visite à Pékin, jugeant ce pays « répressif à l’intérieur » et « agressif à l’extérieur », elle a essentiellement réitéré les demandes de ne pas soutenir la Russie engagée dans le conflit ukrainien, dénoncé les pratiques commerciales chinoises discriminatoires en Europe et la situation des droits de l’homme au Xinjiang. Dès jeudi soir, elle reprenait son avion de retour en petit comité tandis que le président français devait prolonger vendredi son séjour à l’invitation de Xi Jinping dans la ville de Guanzhou où une balade bucolique dans un jardin botanique a succédé à un bain de foule enthousiaste sur le campus d’une université locale. De quoi irriter à minima inquiéter les Américains, qui perçoivent comme une prise de distance de la France par rapport à leur allié Outre-Atlantique. Ces craintes ont d’ailleurs été confirmées quand les échanges avec les journalistes sur le vol retour et en particulier le journal Politico quand le dirigeant français a affirmé « devoir résister à la pression qui consiste à suivre les Etats Unis » et « éviter de se laisser entrainer dans une confrontation entre la Chine et les Etats Unis au sujet de Taiwan ».
La recherche d’une position stratégique indépendante pour la France
S’il est clair que la Chine est ravie de pouvoir rallier à ses initiatives d’autres pays et que la France correspond à un partenaire important au cœur de l’Europe et au bout de ce que l’on nomme « les nouvelles routes de la soie », Emmanuel Macron semble bel et bien rechercher à ce stade à sortir d’un engrenage politico-économique dont la France paie le coût sans retirer de bénéfices. Ainsi les conséquences désastreuses de l’engagement sur le théâtre ukrainien contre une Russie plus résiliente que prévu et qui se traduisent par une inflation à deux chiffres, artificiellement jugulée par l’intervention des états européens ou encore une fragilisation énergétique et militaire, posent aujourd’hui la question des choix en matière de sécurité et d’indépendance économique futures de la France. C’est ce type de postulat qui avait conduit un Général de Gaulle à se retirer du commandement militaire intégré de l'Alliance Atlantique en 1966. Ce même Général de Gaulle fut le premier chef d'état occidental à reconnaître en 1964 la Chine communiste, contre ou sans égard pour l’avis américain.
il s’agit d’un bond en avant dans l’autonomie stratégique -- Charles Michel
A un moment où la colossale dette américaine voit les choix géostratégiques de cette puissance se réduire comme peau de chagrin et ses alliés d’hier reconsidérer leurs alliances au regard du risque de dépendance par rapport au dollar, la position d'ouverture à la coopération avec la Chine apparait comme une décision rationnelle. Ce mercredi, le président du conseil européen Charles Michel saluait la position française par ces mots : « il s’agit d’un bond en avant dans l’autonomie stratégique en comparaison des années passées (...) Certains dirigeants européens ne diraient pas les choses de la même manière qu'Emmanuel Macron. Je crois que beaucoup pensent comme lui.». Reste à savoir si d’autres pays européens comme l’Italie, ce qui est probable, ou encore l’Allemagne, très affectée par le coût du conflit en Ukraine, soutiendront l’initiative audacieuse du président français. L’avenir nous le dira.