Originaires du nord de la Chine, c’est par vague de migrations successives que les Hakkas sont arrivés à Hong Kong. Dès le XVIIe siècle, ceux-ci teintèrent donc la ville de leur culture, de leurs traditions et de leur riche histoire. Retour sur un peuple aux mille et une facettes.
Article rédigé par Karine Yoakim Pasquier en partenariat avec le magazine Paroles
Lorsque l’on part à la conquête des Nouveaux Territoires, que l’on s’aventure au-delà des zones urbaines, on découvre une population autochtone encore très présente, vivant dans les 500 villages de la région. Elle est notamment constituée de quatre communautés spécifiques : les Puntis, les Tankas, les Hoklos et les Hakkas. Parmi celles-ci, les Hakkas sont les plus nombreux. Ils ont façonné l’histoire, les valeurs et le paysage culturel de Hong Kong.
Un peuple migrant
Comme le mot Hakka (客家) l’indique (celui-ci signifiant littéralement « peuple invité » en chinois), ce groupement s’est constitué par des vagues de migrations successives. Originaires des plaines du nord de la Chine, c’est peu après la chute de l’empire Han, entre le milieu du IIIe et du IVe siècle, que les premiers exodes hakkas eurent lieu. Ils se poursuivront lors de la chute de chaque grande dynastie : fin des Tang, au Xe siècle, des Song du Nord, au XIIe siècle, des Song du Sud, au XIIIe siècle et encore des Ming, au XVIIe siècle.
Dans un premier temps, les Hakkas se sont établis dans les provinces du sud de la Chine comme le Guangdong, le Fujian, le Jiangxi et le Sichuan. Ce n’est qu’au XVIIe siècle que les premiers Hakkas se déplacèrent vers Hong Kong. Au tout début de la dynastie Qing, un ordre anti-insurrectionnel – appelé la Grande Évacuation (遷界令) exigea l’abandon des régions côtières du sud de la Chine afin de combattre le mouvement loyaliste anti-Qing basé à Taiwan, laissant le secteur sud de Hong Kong vidé de ses habitants. Une fois l’interdiction levée, entre 1669 et 1688, un programme de repeuplement fut mis sur pied, permettant ainsi à un nombre important d’immigrants hakkas de s’y installer.
Les Hakkas ne furent pas les seuls à élire domicile à Hong Kong. Les Puntis (本地人), qui étaient les premiers habitants de Hong Kong, rentrèrent chez eux et revendiquèrent en priorité une grande partie des plaines fertiles de la région, laissant les Hakkas se contenter des zones littorales moins accessibles et des recoins montagneux tels que les actuels Lai Chi Wo, Tai Po, Sheung Shui, Sai Kung et Yuen Long. Liu Tak Ian est un Hakka originaire de Guangdong. Ses parents ont émigré à Hong Kong dans les années 50. « Il y a énormément de Hakkas dans les Nouveaux Territoires, dans la région de Sai Kung. Les personnes portant le nom de famille Liu ou Tsang sont d’ailleurs majoritairement des Hakkas. »
Une cohésion communautaire forte
Contraints de se contenter de terres moins fertiles, les Hakkas compensèrent leur désavantage initial par un sens du travail remarquable, une résilience et une ingéniosité inégalées. En effet, pour contrebalancer leur instabilité géographique, la culture hakka a construit une cohésion communautaire forte, permettant ainsi aux villageois de réussir par l’entraide. Alors que la région était fréquemment soumise aux attaques de bandits et de pirates, ils s’abritèrent en créant des hameaux à l’architecture singulière. Si dans la province du Fujian, un exemple remarquable reste le tulou 土樓, ces bâtiments collectifs en forme de cercles, refermés sur eux-mêmes et ne disposant que d’une seule entrée, à Hong Kong ils prennent la forme de villages murés, avec également un accès unique, protégé par des canons, tours de garde et patrouille.
Outre la proximité physique induite par leurs villages murés, l’organisation de la société hakka elle-même était vouée au rapprochement. Les Hakkas se rassemblaient dans des salles et temples ancestraux pour les réunions de clans et les célébrations festives, ces lieux faisant aussi office d’écoles pour les enfants ou de lieux de marché.
Le clan correspondait à un groupement de personnes vivant ensemble et partageant des ancêtres communs. Les hommes du clan l’étaient à vie. Les femmes, lors d’un mariage avec un homme issu d’un autre clan, changeaient d’appartenance.
Par nécessité économique, les clans hakkas se sont réunis pour former des alliances. L’exemple le plus frappant reste l’Alliance des Dix (十約聯盟), un regroupement fondé au XIXe siècle comprenant 10 districts hakkas dans la région de Sha Tau Kok. Offrant une meilleure protection commune contre les pirates, il permit avant tout de créer un réseau financier fort, en bâtissant le marché de Tung Wo, qui servit de plateforme commerciale unique pour la vente de légumes et de poissons.
Comptant une centaine de boutiques à son apogée, ce lieu fut extrêmement prospère entre 1820 et 1930. Dans les années 50, l’industrialisation de Hong Kong débute : développement du secteur manufacturier, implantation d’usines et croissance urbaine, provoquant une disparition des modes de vie plus ancestraux, y compris chez les Hakkas. Les jeunes quittent la campagne, délaissant les villages.
L’afflux d’un grand nombre de réfugiés chinois entre 1960 et 1980 entraîne également une pénurie de ressources naturelles et augmente la concurrence sur le marché agricole local, rendant le secteur plus compétitif et difficile. Michelle est hakka. Elle vit à Hong Kong après avoir passé son enfance au Royaume-Uni. Ses parents — tous deux Hakkas de Hong Kong — se sont rencontrés en Angleterre, mais portent en eux cette identité forte : « Dans la famille de mon père, toutes les traditions hakkas sont encore très respectées. Mes grands-parents étaient fermiers à Hong Kong et résidaient près de Tai Mei Tuk.
Au fil du temps, le village a été de moins en moins habité, mais je me souviens des réunions dans les halls, le système de vote par exemple, ou ce sentiment d’appartenance propre à notre identité hakka. Toutefois, en étant une femme, certaines traditions ne nous étaient pas accessibles et je regardais ces rites d’un œil extérieur. J’ai quatre sœurs et pour moi c’est plutôt étrange de me dire que dans ma famille, ces traditions vont s’éteindre, car nous ne sommes pas des hommes. »
Une culture qu’il faut préserver
« La culture hakka est composée de divers éléments tels que sa langue, m’explique Liu Tak Ian. À la maison, les Hakkas parlaient le hakkanais, un dialecte. Mais cela a tendance à se perdre. » Le dialecte hakka fait en effet partie intégrante de l’identité de ce peuple.
Dans les Nouveaux Territoires, jusque dans les années 50, le hakka était d’ailleurs majoritaire. Cependant, l’utilisation du cantonais comme langue d’enseignement dans les écoles locales ainsi que l’évolution démographique de Hong Kong ont provoqué sa quasi-extinction, en l’espace de seulement deux générations. D’après une étude menée par Lau Chun Fat dans la revue International Journal of the Sociology of Language, le dialecte hakka serait même « considéré comme inutile, puisque minoritaire. […] ». Si de moins en moins de locuteurs maîtrisent cette langue, l’étude argue que la plupart des gens à Hong Kong ne voient pas le hakka comme faisant partie de leur culture traditionnelle, le « considérant simplement comme un obstacle à l’acquisition de l’identité hongkongaise, liée à la langue et à la culture cantonaises. »
Liu Tak Ian le regrette : « La culture hakka a tendance à se perdre avec les années — et à se dissoudre dans la culture hongkongaise en général. Les jeunes ne savent par exemple plus cuisiner hakka, ne maîtrisent plus notre dialecte… préférant l’usage du cantonais. »
Malgré cela, les rites hakkas tentent de subsister à travers le temps. C’est le cas d’Ice qui, si elle ne sait pas parler hakka, a reçu un riche héritage de la part de sa grand-mère maternelle : « Pour le Nouvel An chinois, nous nous retrouvions tous, avec les autres villageois pour préparer des gâteaux de riz traditionnels. C’était une coutume très vivante. Mais ce qui me touche le plus, c’est la “chanson des pleurs”, un chant traditionnel mêlant larmes et musique. On peut les chanter lors des mariages par exemple, pour exprimer la joie et la tristesse de devoir quitter ses parents… »
Liu Tak Ian confirme : « Notre culture est riche et variée. Il y a tout d’abord la cuisine, qui est particulière. Chez nous, nous mangions notamment du tofu farci et du porc à la moutarde marinée. Selon les festivités, il y a d’autres coutumes. Pour le Nouvel An chinois, nous organisons des danses du lion. On prépare des gâteaux de riz ou de radis ou encore des gao zi, ces petits raviolis farcis. » La culture hakka est en effet riche et porte en elle toute l’histoire migratoire de son peuple. Danse du Lion, du Qilin ou de la licorne, célébrations du Festival Ching-Ming, du Nouvel An chinois ou mariages, chaque événement est fêté d’une manière distinctive avec des activités spécifiques.
Pour Michelle, son identité hakka reste quelque chose de fort : « Si nous avons perdu nos traditions liées au culte des Dieux ou aux diverses fêtes, ce qui me relie à la culture hakka, c’est la cuisine ! Lors des grands événements, mes grands-parents préparaient des plats typiques. Mais, au-delà de la nourriture et des festivals, être hakka, c’est faire partie d’un unique groupe, d’une tribu. Le fait de parler hakka nous relie les uns aux autres. Même si nous avons des histoires mixtes et des chemins de vie différents, on a cette origine identique. »
Si la langue et le sentiment de cohésion dû aux modes de vie villageois disparaissent peu à peu, certains éléments subsistent et se réinventent. La solidarité du clan se fixe davantage sur les familles.
De même, bien que de nombreux Hakkas vivent désormais en ville, ils retournent dans leurs villages d’origine pour assister aux fêtes traditionnelles. Pour Michelle, la culture hakka est vouée à se modifier et évoluer : « Mais la question principale est : comment pouvons-nous la préserver ? La plupart des enfants, de nos jours, ne parlent plus le hakka. Ils se concentrent sur le cantonais et l’anglais. Avec la mondialisation, nous devons essayer de la garder vivante ! »
Où découvrir la culture hakka à Hong Kong ?
- Le village de Lai Chi Wo, un village hakka muré, très bien conservé, où quelques villageois coulent encore des jours paisibles, loin de la ville.
- Le musée Sam Tung Uk Museum à Tsuen Wan, construit au cœur d’une ancienne maison fortifiée hakka vieille de 200 ans, vous permettra d’en apprendre plus sur la culture et le mode de vie hakka, tout en découvrant une habitation traditionnelle préservée.
- Le Heritage Trail sur l’île de Kat O vous permettra de découvrir un village qui autrefois abritait l’une des premières colonies hakka de la région.
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